[LP] The Slow Sliders – Glissade Tranquille

Il ne faut que quelques minutes de leur set pour prendre la mesure de la virtuosité de ces quatre gamins venus du Finistère. Si sur scène, il est indéniable qu’une énergie folle se dégage du quatuor exporté à Nantes, nous n’avions que peu eu l’occasion de vérifier si une vive émotion persistait une fois leur musique dépecée de cette fougue dont ils savent inonder le public. Force est de constater que cet opus est à la fois puissant et touchant, preuve que The Slow Sliders sont aussi à l’aise face à une audience que dans le confinement intime d’un studio.

Les morceaux présentés au sein de « Glissade Tranquille » ont déjà été étrennés en concerts, et pour ceux ayant déjà eu l’occasion de les voir jouer, leurs sonorités prennent une nouvelle dimension dans la promiscuité d’un casque ou d’oreillettes. L’émotion tangible des compositions des Bretons est particulièrement retransmise à travers la voix tantôt fragile, tantôt puissante de Victor, chanteur et multi-instrumentiste. Ainsi, elle nous donne le sentiment d’une connexion toute particulière avec la musique des Slow Sliders. On partage avec eux les désillusions d’amours perdus, les élucubrations et angoisses existentielles, ainsi que les frustrations liées à la recherche de relations sincères, thématiques qui siègent, tant dans leurs textes candides et nostalgiques, que dans leurs mélodies aux gammes majoritairement mineures. On l’aura compris, une profonde mélancolie se dégage de ce premier LP du groupe de Lesneven, mais une mélancolie partagée par toute une génération désœuvrée sur la route d’une quête identitaire parfaitement illustrée par le morceau central, « Empty Days », où est clamée une volonté de réaffirmer qui l’on est intrinsèquement avec force et résilience.

Musicalement, tout y est, à qui aime aller à l’essentiel. Il n’y a que peu d’arrangements sur cet enregistrement, et on y retrouve, quasiment nues, les mêmes orchestrations que l’on peut retrouver sur scène ; à savoir, deux guitares, une basse, une batterie, parfois quelques synthés de-ci, de-là, le tout laissant la part belle au timbre remarquable de Victor, qui, même dans ses moments les plus fébriles, laisse transparaître un tel émoi que cela ne fait que renforcer la spécificité de ses vulnérables cordes vocales. S’il faut un exemple pour vous en convaincre, il vous faut écouter l’épique final, « I’m Dead Anyway », où dans ses envolées lyriques, la ligne de chant se fait parfois chevrotante, soulignant au passage le drame sentimental qui se joue derrière des paroles exprimant toute l’agonie d’un songwriter écorché vif.

Mais il n’est pas toujours question de tristesse dans cet album, et certains morceaux sont là pour nous aider à remonter la pente dans cette « Glissade Tranquille ». Ainsi, « Lesneu », qui rend hommage au Finistère natal de ce projet pop, nous permet de ne pas trop nous apitoyer sur notre sort après la douce complainte d’« Empty Days ». Le morceau « Pégase » poursuit sur la même lancée revigorante, avant de nous laisser sombrer dans la valse finale et dramatique de cet album, « I’m Dead Anyway », au titre évocateur. Dans ces morceaux plus enjoués, le talent des quatre musiciens s’exprime dans un autre registre : celui des tempos relevés, et des courses effrénées entre une section rythmique à la rapidité et à la précision chirurgicale et les galopantes phalanges d’habiles guitaristes. Nous sommes alors tels des témoins d’un véritable concours d’endurance entre les différents protagonistes, qui doivent aimer l’exercice à en juger par la folle vidéo live sortie à Noël dernier, où les quatre zigotos interprètent en boucle le même morceau durant plus d’une heure et demie.

Pour conclure, l’émotion prend vite le pas sur l’analyse. Des observateurs un peu tatillons pourraient trouver à redire sur le mixage de cette œuvre, ou peut-être sur l’aspect minimaliste et sans arrangements de la production, mais l’écoute de celle-ci nous détache rapidement de considérations très terre-à-terre, ou de jugements à l’emporte-pièce, très subjectifs, où l’on finit nécessairement par réfléchir la musique suivant ce que l’on aurait aimé entendre (voir jouer pour les musiciens parmi vous). Il n’en est rien avec ces huit titres qui nous transportent directement dans l’univers musical qui est le leur en nous faisant oublier nos exigences psychorigides de musicovores aguerris, tout simplement parce que « Glissade Tranquille » respire la sincérité, l’honnêteté, tant dans la démarche artistique, dans l’écriture que dans l’exécution forte et fébrile du quatuor nantais. Et n’est-ce pas pour cela qu’on aime toute création artistique dans le fond ? Pour la beauté d’une œuvre, mais également pour ses quelques failles qui nous rappellent son humanité ? Et pour ces simples raisons, on aime « Glissade Tranquille » et The Slow Sliders.

crédit : Simon Magad’

« Glissade Tranquille » est disponible depuis le 21 septembre 2018 chez Kythibong et Éminence Grise.


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Kãman Messaadi

chroniqueur né et élevé parmi les disques et les instruments de musique