Troisième et dernier jour à Rock en Seine, le dernier grand festival d’été avant la rentrée touche à sa fin. Les jambes se font lourdes et la température gagne encore trois degrés fatals. Dernière journée à figurer sold out, la programmation du dimanche est un peu en reste par rapport au début du week-end, sans ses mastodontes du rock. Mais les amateurs de musiques électroniques (Hot Chip, The Chemicals Brothers) et psychédéliques (Tame Impala, Pond, Fuzz, Kadavar) sont aux anges et auront de quoi passer la journée avec un éventail de ce qui se fait de mieux sur cette scène à l’heure actuelle.
Article écrit par Sébastien Weber, Fred Lombard et Noé Vaccari. Photographies par Fred Lombard
Arrivés sous le cagnard, ne sentant plus nos jambes, encore moins nos pieds ; après avoir gambadé deux jours durant entre les principales scènes du festival parisien, nous nous laissons, avec raison, tenter par le concert des très sympathiques Australiens de Pond. Le show est amusant, léger et immédiatement plaisant, et nous découvrons une pop psychédélique détendue, qui ne se prend absolument pas au sérieux. À l’image de son leader déluré et complètement perché, Nick Allbrook, qui vit ses morceaux comme un gentil fou échappé d’un asile. Et loin de sonner pour autant foutraque, le groupe originaire de Perth évolue avec maîtrise entre rock psyché, stoner et rock progressif, sans jamais immobiliser son jeu de scène. Pond est un groupe qui prend et nous donne du plaisir, et ça fait un bien fou !
Sous le soleil de plomb de la grande scène, My Morning Jacket, le groupe préféré de Stan Smith, semble à l’aise. Les Américains offrent une musique gorgée de soleil et qui rêve de grands espaces. Leur rock généreux teinté d’americana psychédélique fonctionne totalement. Le matériel technique moins, les privant de son pendant une petite dizaine de minutes. Loin de se démonter, le groupe propose alors une chanson voix/batterie/effluves de guitare via le micro. Avec sa serviette sur la tête, le chanteur ressemble à un prédicateur en mission.
Au même moment, c’était le rendez-vous rock made in France à ne pas manquer ce dimanche : Last Train ! Une présence de dingue, une prestation intense et hors du commun entre retenue et explosivité, les quatre musiciens de Mulhouse ont fait parler la poudre à Rock en Seine ! Attirant le public sur un générique de western façon Enio Morricone, Last Train n’a pas fait cavalier seul sur la scène de l’Industrie. Loin, très loin de ça, tant le public était venu en nombre pour admirer, saluer et encourager le nouvel étalon noir du rock’n’roll français. Galvanisé par la voix rauque et brisée de son leader Jean-Noël, les quatre musiciens donnent tout, jusqu’à plus soif, dégoulinant de transpiration tant le soleil tape sur leurs visages, et tant ils se dévouent à leur cause, armés de leurs guitares et percussions, devenus l’espace d’un concert des instruments de précision et de destruction. « Cold Fever », « Leaving You Now » et « Fire » font ici déjà figure de classique pour ce groupe qui vit et voue sa musique à l’expression et l’expressivité scénique. Last Train a conquis Rock en Seine, et nul doute que la prochaine étape de cette incroyable ascension sera de les retrouver bientôt en tête d’affiche des plus grands festivals de France et d’ailleurs. Un mystère demeure : comment font-ils pour jouer sous un soleil de plomb avec leurs vestes de cuir ?
Après Pond une heure plus tôt, nous retournons sur la scène Pression Live, suivant les conseils fort avisés de nos confrères, pour découvrir Natalie Prass. Et nous ne restons pas longtemps insensibles aux charmes de la guitariste et chanteuse américaine, protégée du génial songwritter Matthew E. White, et du soleil derrière ses lunettes aux verres fumés. Sa voix douce, aux aigus feutrés se laisse accompagner de blues, de soul, d’americana, et même d’un groove qui puise dans la musique traditionnelle africaine (Jazz). Mention spéciale, du côté des musiciens l’accompagnant au bassiste s’éclatant à vrombir sur scène comme ses lignes de cordes. Avec son charme d’antan sinon intemporel, sinon indémodable, la chanteuse virginienne a hypnotisé un public captif et capté par sa voix et son élégance pleine de mystère qui lui va si bien.
Pendant ce temps, la scène de la Cascade se remplissait petit à petit de jeunes aux cheveux longs, vestes en jean et pins de groupes de hard-rock : pas de doute, la présence de Fuzz se faisait sentir. Et à peine arrivés dans des accoutrements des plus excentriques, c’est sans introduction que le groupe se lance dans sa démonstration musicale à coup de riffs acérés et vifs, de chansons déjantées qui s’envolent dans un rythme effréné. Portés par la batterie prédominante de Ty Segall, les tubes comme « What’s In My Head » et « Sleigh Ride » mettent la foule en transe dans ce qui est probablement le plus gros mosh-pit de tout le week-end. Et les membres du groupe n’hésitent pas à alimenter cette énergie de l’audience en jouant avec le public (leur demandant d’amener en crowd-surfing un membre du public jusqu’au bout de la foule et de le faire revenir, sous peine de partir s’ils le laissent tomber). Un concert vrombissant et électrisant qui fit bouger et transpirer tous les spectateurs présents.
Drapée dans un long kimono rouge lui donnant une allure de prêtresse, la Suédoise Seinabo Sey déploie ensuite sa voix puissante et imposante sur la scène de l’Industrie avec une grâce infinie. Entourée par trois musiciens dévoués à leur tâche, la chanteuse de 24 ans évolue habilement sur une électronique minimaliste et soignée, plutôt austère, mais parfaite pour souligner sa voix passionnante. Entre soul, RnB, électronique et gospel, nous sommes emportés par la ferveur fiévreuse de la divine chanteuse d’Halmstad.
Après un concert relativement décevant, car machinal à la Route du Rock, la faute certainement à un horaire très tardif, celui donné par Jungle à Rock en Seine nous a définitivement rabibochés avec la formation nu-funk anglaise. Portée par des musiciens à nouveau complices, l’énergie propagée sur la scène de la Cascade en direction du public massif, réuni devant la scène jusqu’à plusieurs centaines de mètres, transpire de fraîcheur, d’authenticité et de joie. Quel plaisir de voir les deux chanteurs danser avec leurs guitares au contact des choristes, de constater que le public comme les musiciens sur scène prennent sans conteste leur pied. Jungle nous a fait danser et chanter, et nous a procuré les meilleures ondes qu’on pouvait attendre d’eux. Une bonne surprise !
Sous la chapiteau des découvertes, raisonne le rock ambiance garage lo-fi du projet lorrain Marietta. Sa musique, noyée d’effets, démontre, malgré un rock relativement sage, beaucoup d’envie et de panache. Ce qu’il appelle son « reflux folk » s’avère très efficace en live, notamment grâce à la présence d’un batteur assez affolant. Le groupe confirme surtout que Rock En Seine a toujours le nez creux pour les groupes émergents français. Jessica93, Feu! Chatterton, ou encore Petit Fantôme : autant de projets du cru terriblement excitants que nous avions pu entendre en 2014. Cette année, ce sont Iñigo Montoya!, Last Train et donc Marietta que nous aurons eu la chance de découvrir ou revoir.
Avec son désormais statut de star du rock psychédélique, confirmé par la sortie de son troisième album « Currents », Tame Impala atterrit sur la Grande Scène. Le public débarque en masse et ne montrera à aucun moment de signes de faiblesse chantant en chœur les plus grands tubes de la formation australienne : « Let It Happen », « Mind Mischief », « The Less I Know The Better » ou encore le superbe « ‘Cause I’m A Man » . La formule live est intéressante : deux claviers, un rythmique basse/guitare, mais aussi et surtout un Kevin Parker à la guitare, utilisant souvent l’instrument et ses milliards d’effets comme un véritable synthé. Pieds nus, timide, mais passionné, Parker invente un espèce de Woodstock d’un monde parallèle électronique, avec sa musique psychédélique doublée de son écran stroboscopique. Les seuls défauts seraient peut-être à la longue une certaine similarité dans les textures et les ambiances (une voix toujours voilée). Et aussi et surtout (mais ça n’est pas de sa faute) l’absence d’obscurité, avec ce jour encore trop vif, qui aurait fini de transformer ce bon concert en grande messe.
Attendu de pied ferme par une foule colossale, Alt-J commence par un grand frisson : « Hunger Of The Pine », amené tout en volupté, avec un jeu de lumière exceptionnel. Le groupe est alors quatre silhouettes noires et mystérieuses. Ils ne seront éclairés que la moitié du temps d’ailleurs, laissant l’autre moitié à leurs contreparties ténébreuses. Pendant une heure, Alt-J enchaîne donc avec une élégance remarquable une dizaine de titres qui captivent l’auditoire (Mathilda, Left Hand Free). L’alchimie entre les musiciens et ses (très) nombreux fans est assez fascinante, lui qui connaît chaque titre par cœur et n’hésite pas à suivre le projet de Leeds jusqu’au bout de ses idées ; pas évident pour une musique qui n’hésite pas à être alambiquée. On peut regretter l’absence d’un petit grain de folie, mais le propos n’est pas là. Tout est ultra-sophistiqué et concerné. La nuit qui aura manqué à Tame Impala enveloppe moelleusement la prestation des Anglais.
« We want to make tonight a good night for you » disait Killer Mike entre deux chansons ; c’est définitivement réussi ! Devant une foule étonnamment foisonnante, le concert de Run The Jewels sur la scène de l’Industrie n’a été rien de plus qu’un souffle destructeur décimant toute tristesse sur son passage quant à la fin du festival. Il n’en fallait pas beaucoup pour convaincre la foule dès l’arrivée triomphale sur scène des deux rappeurs chantant « We Are The Champions » ; un plaisir mutuel qui n’a fait que s’accentuer tout au long de la setlist (un mélange parfaitement équilibré entre des chansons du premier et du deuxième album). La foule dansait à corps perdu sous les basses atomiques et les snares redoutables du DJ pendant que le duo développait son flow qui lui a valu sa renommée. Bien plus qu’un excellent concert de hip-hop, c’est aussi l’intimité entre le groupe et le public qui rend ce concert si spécial : les New-Yorkais ne perdent pas une occasion de rappeler à quel point ils ont plaisir d’être ici, de faire participer chaque festivalier, allant même jusqu’à complimenter la foule et la prévenir de ranger tout objet précieux avant l’extraordinaire « Close Your Eyes (And Count To Fuck) ». Après un faux départ avorté par la foule clamant son nom, Run The Jewels revient en rappel avec « Angel Duster » où les deux MCs descendent finalement dans la foule pour serrer la main du premier rang et faire leurs adieux à Rock en Seine par la même occasion. Un concert énergique, parfaitement structuré qui nous laisse avec comme seul regret celui d’en voir la fin.
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