À l’ère post-covid Rock en Seine est devenu plus intense sur quatre jours, mais c’était sans compter sur l’édition 2024 étendue sur cinq jours et plus de 90 artistes. L’année institutionnalise également la première journée 100% féminine avec une grande tête d’affiche : Lana Del Rey. Entre concerts pop cultes et découverte des nouvelles têtes françaises ou anglo-saxonnes, reportage en texte et en photos au grand festival de Saint-Cloud.
Le concert le plus vénère
Dans la catégorie hardcore, Destroy Boys devait réjouir de nombreux festivaliers pour la deuxième journée de l’édition. Et cela n’a pas manqué : pour sa première dans la capitale, la formation californienne punk-garage, au verbe féministe (avec un nom pareil aussi !) épate au Bosquet avec ses deux chanteuses androgynes qui s’échangent le micro d’un titre à l’autre tantôt rugueux, tantôt plus hardcore, le tout dans l’exaltation des identités queer. En écho avec son pendant pop, The Last Dinner Party, sur scène juste avant, les vociférations et les guitares aiguisées en plus, le groupe mixte de Sacramento en a profité pour exposer son dernier album tout frais « Funeral Soundtrack #4 », plus sombre, mais tout aussi dense et puissant que les précédents. Destroy Boys a ainsi l’expérience des scènes américaines avec lui, après plus de huit ans d’activités avant de débarquer à Paris. Un vrai coup de cœur : autant vindicative que disruptive, c’est bien la première performance rock en scène !
French pop sous acid
Réputée pour l’effet de ses champignons savamment cultivés sur scène, Pomme a produit pour la journée d’ouverture de mercredi plus que les sensations escomptées : le premier set très attendu de cette édition a été une expérience pour le moins hallucinogène dont témoignent fortement nos photographies (pas du tout retouchées, c’est promis !). Accompagnée par un live-band aguerri sur la Grande Scène, dont la rutilante Michelle Blades à la basse, l’artiste a été l’auteure d’un set french-pop aux contours psychédéliques inattendus. Une entrée en matière satisfaisante où ses partitions éthérées sont bien mises en valeur ; soit par des autoharpe-voix, soit par des arrangements plus pêchus qui donnent une dimension live réjouissante. On se laisse embarquer gaiement dans cette atmosphère poétique en respirant les sonorités psychotropiques de la nouvelle idole d’une chanson française délicate et en velours. Magicienne aux accents folkloriques, Pomme remarque pertinemment que les décors du set de Lana Del Rey prédisposés s’ajoutent subtilement à sa propre scénographie : comme si entre enchanteresses, elles se complétaient et s’accompagnaient mutuellement. Une première partie idéale avant la diva de New York.
La rave party de Saint-Cloud
Canblaster, DJ échappé de Club Cheval, a tenu la promesse de clôturer notre festival au Bosquet comme sorte d’alternative à LCD Soundsystem. Ce n’est probablement pas le set qui a rassemblé le plus de curieux, mais l’éventail de sonorités électroniques proposées et sa dimension festive valait largement le coup d’œil (et d’oreille). Des nappes synthétiques aux inspirations house, en passant par des samples urban, la machinerie complexe et volumineuse présentée par le Français sur scène a suivi son cours en piochant dans plusieurs décennies électro aux couleurs et ambiances diverses. Un tournant drum’n’bass vient ajouter à l’intensité du set avant que les nuques se contorsionnent totalement sur les sonorités techno et plus sombres du final, qui évoque cette fois-ci la touche des compilations de feu Bromance Records. Le voyage ainsi proposé est éclectique et tortueux, mais fonctionne comme un growler méthodique et calculé pour susciter une transe collective. Un des grands moments électro de cette édition qui fait de la (dernière) nuit à Rock en Seine un environnement particulier et à part.
Le banger disco
Pour du son funky il fallait essayer Say She She en ouverture du vendredi sur la Grande Scène. Peu de festivaliers encore à 15h30, mais cela n’inquiète guère ce trio de Brooklyn venu placer ses harmonies pop en pas de danses synchronisées à la Confidence Men. Plein soleil et adapté à la frénésie estivale, la formation diablement catchy égraine des sonorités rétros entre disco et soul, avec un full band survolté par les trois chanteuses au micro. Sorte de Parcels au féminin et à la New-Yorkaise, Say She She ( « Chi chi » en hommage à Nile Rodgers ?) donne la bougeotte sur son nouveau banger « C’est si bon » : l’énergie et l’enthousiasme des trois artistes nous embarquent en effet facilement sur des refrains à la Bee Gees. Un potentiel tubesque qu’on espère vite retrouver dans les salles parisiennes parce que « C’est si bon, c’est Chi chi, c’est trop chou, ça c’est chaud, c’est pas grave, c’est chouette ! ».
Jungle « Still gon’ bring the heat »
Auréolé du titre de « Best Band » aux derniers Brit Awards, Jungle revient en habitué du festival, mais avec un nouveau statut qui lui vaut d’être propulsé sur la grande scène. Porté par le tube de son 4e album « Back on 74 », le band a entamé une mutation vocale pour laisser place au chant de Lydia Kitto, nouvelle arrivée dans le projet aux voix de tête vocodées. Si le projet « Volcano » n’est peut-être pas leur plus belle réussite, c’est en tout cas le tournant porteur d’une forme de consécration pour que les Britanniques trouvent leur public, et notamment en France. Avec des productions tantôt plus électro, tantôt plus urban (en multipliant les featuring avec divers MC), Jungle troque son nu-disco smooth si caractéristique pour une pop énergisante et catchy. Si les incroyables danseurs de leurs clips entraînants ne les suivent pas sur scène, la prestation a justement pour but d’être une invitation à se trémousser dans le public, au point de transformer le parterre au pied de la Grande Scène en dancefloor géant. C’est ainsi toujours ce qu’on trouve éternellement grisant et addictif en retournant voir Jungle : se laisser saisir par la frénésie dansante et le potentiel tubesque de ses productions, savamment construites et suggérés dans ses vidéos où chaque son se voit attribuer une chorégraphie experte et tout simplement contagieuse. Les nouvelles partitions, jouant d’ailleurs sur des boucles instrumentales plus taillées pour les clubs, finissent par hanter notre esprit à l’image de l’idée répétitive qu’elles nous inspirent. Encore !
Le supergroupe français inattendu
Clara Kimera est le nom de la moitié d’Agar Agar et de la meneuse de Cannery Terror. C’est la vraie nouveauté affichée au festival, au point d’être un concert inédit : aucun son n’est encore dispo à l’écoute, et elle produit sa toute première performance live au Bosquet, ce qui a le mérite de susciter la curiosité des amateurs. On découvre avec étonnement un duo de choc sur scène pour accompagner la chanteuse : Gabrielle Cresseaux de Keep Dancing Inc se retrouve à la batterie, Camille Delvecchio de Grand Blanc à la guitare. Trois visages connus qui lèvent ainsi le voile du mystérieux projet, dont on anticipe déjà la nature très rock. Et c’est globalement l’impression que la prestation nous a donnée : un ensemble de titres en anglais aux guitares tantôt catchy, tantôt plus pointues, et prêts à être sortis ou du moins à être enregistrés en studio, et qui ne ressemble en rien aux deux autres projets de la chanteuse française. Des hymnes pop aux mélodies bien senties et, déjà, une certaine complicité entre les trois musiciennes qui laisse espérer que cette formule à trois ne reste pas éphémère entre projet solo et “supergroupe”.
Ceci n’est pas un groupe belge
Avec le souvenir en tête d’un set fou à l’Industrie en 2016, il était nécessaire de revoir Soulwax. Propulsés sur la Cascade, les Belges n’ont pas fait dans la dentelle, avec une scénographie impressionnante empilant leurs matériels électroniques. Trois batteurs habités viennent s’ajouter au line-up, perchés en hauteur sur une sorte d’échafaudage futuriste, assurant un show électrisant visuellement impressionnant. Le set est monté en puissance tout au long du concert, best of d’une discographie riche en tubes entre électro et rock. Dans une ambiance de club rythmant les pas d’une foule en transe, les beats addictifs de la formation sont ainsi inscrits parmi les plus beaux moments électro du festival.
C’est presque sans surprise que le lendemain nous retournions sur la même scène pour 2manydjs, pour retrouver les frères Dewaele dans un format duo en DJ set : une heure de remix audacieux et improbable, tout en projetant derrière eux les pochettes des disques choisis et en les animant par une IA. Passant par exemple par de belles transitions de Wet Leg à Charli XCX, le tandem a parfaitement manié sa science du dancefloor pour confirmer l’essai de la veille pour clôturer la plus longue nuit du festival.
L’Occitanie en Seine
Si les nouvelles sensations franciliennes se sont emparées de la scène Île-de-France, au Bosquet on pouvait voir un peu plus loin avec Madam, formation de Toulouse produisant un rock furieux et abrasif. Venu défendre son premier album « Thank For The Noise », le trio en mode riot grrr a séduit pour sa spontanéité et son style très direct. Ses diatribes hargneuses en anglais ont réussi à embarquer les curieux présents venus découvrir en nombre l’une des découvertes garage-punk de l’édition : un rapide sondage effectué par le groupe à main levé a en effet permis de constater que la grande majorité des festivaliers ne l‘avait encore jamais vu à l’œuvre. Pour l’après-midi, la plus chaude du festival, Madam a su répondre présent et incarner la fibre Rock en Seine comme ont sait l’apprécier (surtout quand elle se fait plus rare dans la diversité des genres musicaux désormais présente chaque année). L’ascension des Toulousaines est une bonne nouvelle, car le succès rencontré à Saint-Cloud pourrait désormais les porter dans les salles parisiennes.
La diva toujours à la bourre
Voir Lana Del Rey en festival est un événement rare qu’il faut savoir apprécier. Peu reconnue pour ses talents de bête de scène, ses quelques sorties parisiennes n’ont pas toujours été concluantes à ses débuts. On moquait souvent une artiste mal à l’aise, un peu gauche qui ne parvenait pas à prendre ses marques ou à assumer sereinement certaines postures vocales (au point de ne jamais interpréter la moitié de son premier album). L’Américaine a ainsi su évoluer sur scène en même temps que sa musique, sans jamais renier une esthétique et une ambiance rétro-chic qui lui est chère : l’ère « Norman Fucking Rockwell » (2019) et toutes celles qui ont suivi étant une forme de déclencheur autant dans sa discographie que sur scène ; tellement elles marquent les plus beaux moments de ses concerts. Ses performances se vivent désormais comme un vrai show (en témoigne un retour tonitruant à l’Olympia à l’été dernier) à gros budget de danseuses et choristes cathédrale, de déco à l’esthétique glamour et d’arrangements classieux. Sa force réside dans sa capacité à toujours rester fidèle à son univers pop baroque et de velours, au point d’abuser de cette nonchalance planante qui la rend tout autant majestueusement présente qu’absente par moment : par exemple, en sautant des couplets ou des bridges, en assumant des silences en pleine interprétation, ou en se reposant beaucoup sur un public qui s’époumone tout du long à reprendre ses hits, sur quelques bandes-son salvatrices et des choristes de première catégorie. Tout en avouant (dès ses débuts) être une artiste de studio, Lana montre qu’elle peut désormais user de ses qualités autant que de ses manques sur scène (la ponctualité ?) pour transporter et envouter, en restant toujours sur un fil dont l’équilibre est parfois prêt d’être rompu. Cela ne permet jamais d’obtenir le concert parfait, mais elle reste toujours fidèle à l’image qu’elle se donne, sans forcer, de pin-up lynchienne intemporelle.
Photos par Cédric Oberlin. Tous droits réservés.
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