[Live] Rock en Seine 2023

Deuxième édition post-covid du grand festival francilien qui s’étale désormais sur quatre jours, dont une sorte d’avant-première réservée aux artistes féminines et portée par l’épatante Billie Eilish. Formule ensuite plus classique pour le weekend, où ce ne sont pas tant les têtes d’affiche qui ont tiré leur épingle du jeu. Petit tour d’horizon des sets qu’il ne fallait pas manquer, en neuf catégories.

Sebastian Murphy (Viagra Boys) et Julien Baker (Boygenius) © Cédric Oberlin

Le groupe en chantier

« Nous sommes ici pour représenter les métiers du bâtiment. » C’est ainsi que commence le set le plus étrange de cette édition. Dalle Béton, le très bien nommé, a en effet l’intention d’en poser une belle sur le sol du festival, grâce à son apprenti Arthur, une bétonneuse et tous les gilets orange de travail nécessaire. La satire se veut en vérité très politique, puisque les punks bretons viennent surtout jouer les bonnets rouges sur scène à coup de punchlines simples, drôles, et efficaces, toutes déclamées en cadence sur des boucles instrumentales rugueuses : « Mange ton compost dans ton tiers lieu », « CPF (compte professionnel de formation NDLR), du cash pour les fumiers », « Manuel Valls suce des pelleteuses ». Clairement le seul groupe à jouer sur ce terrain aussi explicitement pendant ces quatre jours de concerts, au point de faire résonner la voix de la Première ministre avant de jouer le banger de chantier « 49.3 » ou de jeter des fleurs (des cônes de signalisation ?) à Darmanin entre deux partitions graveleuses. Inutile d’aller chercher trop loin musicalement et vocalement, entre les différentes scènes, quand des slogans bien trouvés suffisent à donner la banane et de se lancer dans un pogo enflammé. Le tout en retapant même la voirie. Que demande le peuple !


Le concert sur pneus durs

Dans la catégorie bien vénère et en français dans le texte, Pogo Car Crash Control détient la palme du chouchou depuis quelques années (souvenir d’une claque électrique au Printemps de Bourges 2017). En mode Hellfest, où le groupe s’est déjà produit, le set prend des accents metal entendus nuls par ailleurs sur les scènes de Saint-Cloud. Branché sur son bien nommé « Fréquence violence », PCCC transcende le public de la Firestone par sa frénésie de cordes piquantes, son phrasé haut débit, et son esprit déconneur. Réunion immanquable pour ceux qui regrettent le manque (parfois) de « rock » en Seine, le shoot est intense : déluge de cheveux longs et de nuques brisées, slam énervé, wall of death, c’est-à-dire des sensations fortes pour chaque hymne adapté : « Aluminium », « Crève », « Criminel potentiel ». Et même si la scène paraît désormais trop petite pour les grands enfants de Gojira, ils paraissaient satisfaits de repartir avec des pneus neufs !


Le set première fois

Un groupe qui débarque en France est toujours un événement, d’autant plus quand il s’agit de Boygenius, concentré de singer-songwriters de talent made in USA : la très talentueuse Lucy Dacus, la chouchoute des mélancoliques Phoebe Bridgers et la très populaire punk Julien Baker. Un supergroupe de rêve à hauteur de l’attente suscité par le très grand « the record » en pôle pour figurer dans toutes les « year-end-list » anglo-saxonnes de 2023 : les trois plumes et voix combinées y égrènent un folk-rock hanté par leur présence magnétique autant que leur vulnérabilité émotionnelle. « Not Strong Enough » est ainsi un hymne déjà susurré par des hordes de fans hardcores. En chœur ou chacune à leur tour, en guitare-voix ou en full-band, elles démontrent comment une musique d’écorchée vive peut rendre heureux. Les rockeurs de Turnstile et de Viagra Boys (dont les performances sont à souligner !) ne s’y sont pas trompés quand ils sont intervenus brièvement pendant le set pour leur piquer le micro. Après ce passage direct par la grande scène, il ne reste plus qu’à trouver pour Boygenius des salles à leur mesure pour qu’elles reviennent enchanter la musique vivante parisienne.


Le banger Netflix

Artiste trop peu souvent présente sur les scènes parisiennes, Noga Erez réjouit pourtant par son alt-pop aux sonorités incisives tout droit importées de Tel-Aviv. Corrosive et frondeuse, elle fait appel à autant de beats urbains et minimalistes que de boucles électros bien senties sur les hymnes politiques de ses deux albums. Sa voix chaude et grave qui expérimente la pop autant que la trap résonne aujourd’hui dans « Quiet », puissant thème du générique du James Bond au féminin « Agent Stone » sur Netflix (incarnée par sa compatriote Gal Gadot), et qu’elle ne manque pas d’interpréter sur la scène de la Cascade. Elle pose son phrasé limpide de rappeuse (déjà) chevronnée sur des machines électroniques aux percussions métalliques dans un style assez unique et jouissif, concoctée avec le producteur Ori Rousso comme pour un vrai duo. Déroutante en studio, l’Israélienne confirme l’essai par une présence scénique séduisante, par son charisme magnétique et sa facilité déconcertante à se mettre le public dans la poche.


Le moment d’ébriété

Le dimanche pour l’apéro, le rendez-vous était donné à Snail Mail qui s’est fait le plaisir de nous accompagner, elle aussi, une bière à la main. Dans cette ambiance alcoolisée, l’Américaine n’avait pas l’air totalement dans son assiette et même émue de nous annoncer qu’elle avait viré sans regret un de ses musiciens. Le public ainsi hébété n’était probablement pas la cible de Lindsey Jordan qui, incapable de faire tenir son micro, est surtout venue se produire pour les fans et les connaisseurs. Il faut dire qu’on se laisse toujours séduire par sa voix éraflée, à peine maîtrisée, et toujours sur un fil sur les titres débordants d’émotions du génial album « Lush ». Jeune singer songwriter prometteuse à l’image de ses compatriotes de Boygenius, Snail Mail manque cependant de souffle sur son second LP « Valentine » qui rend le set assez hétérogène. Qu’importe, finalement, si elle parvient à nous embarquer sur les intenses et catchy « Full Control » et « Speaking Terms ». À la tienne, Lindsey !


La reine des cœurs brisés

Nous avions découvert Silly Boy Blue à Rock en Seine pendant la gestation d’un premier album de pop mélancolique autour du concept de « Breakup Songs ». La revoici quatre ans après, non pas résignée, mais piquante, quand il s’agit d’interpréter de nouvelles chansons d’amour et de ruptures aux productions électro planantes d’inspiration anglo-saxonne sur la scène du Bosquet. Elle transforme en hymne rétro un ex-relou dans « Not a Friend » avant de tourner en (auto)dérision le « Stalker » débordant d’amour à sens unique. La catharsis prend ici une allure dynamique et combative tant la Nantaise s’agite avec ardeur sur scène. Elle l’arpente de long en large, sautant comme une boxeuse sur le ring avant de glisser ses uppercuts d’une voix certes suave, mais que propulsent des beats catchy et des vagues synthétiques. Elle en défend avec enthousiasme les idées auprès du public, s’ouvrant sur le sens et l’objectif à atteindre par ses chansons comme pour mieux l’entraîner dans les émotions qui transparaissent, à la fois personnelles et universelles. Ce n’est pas un hasard si de là émerge un potentiel hautement tubesque.


La grosse claque nordique

Échappée de The Knife depuis 2009, Karin Dreijer alias Fever Ray a fait sa première à Rock en Seine à la Cascade. Un beau pari pour déployer sa pop alternative et expérimentale qui n’a pas forcément encore touché la même audience que son projet de base. La surprenante Suédoise soigne la scénographie avec ses deux acolytes chanteuses, avec qui elle transcende sa discographie. Le trio hanté et étrange, synchronisé dans une chorégraphie structurée et fascinante, une Dreijer grimée façon Joker, en costume blanc joue de sonorité froide ou dansante. Envoûtant et passionnant, le set prend de l’ampleur avec les interprétations déroutantes des tubes « I’m Not Done » et « If I Had a Heart » ; ce dernier étant d’ailleurs très apprécié des fans de la série Vikings. C’est probablement l’un des concerts les plus séduisants de l’édition par sa capacité à nous embarquer dans un univers hypnotisant alors que le groupe ne semble pas forcément être en terrain conquis au départ.


Le comeback de folie

Dix ans que Yeah Yeah Yeahs n’était pas revenu en France a suscité une grande attente. La scène de la Cascade n’a jamais été aussi saturée de spectateurs que pour les Américains, qui réapparaissent un an après la sortie de leur cinquième album « Cool It Down ». Karen O débarque dans une grande tenue de cuir colorée avec un immense chapeau pour marquer le coup visuellement, puis le show monte en température en déclinant sur la setlist tous ses tubes rock : « Mosquito » n’y est absolument pas présent tellement le band du guitariste Nick Zinner s’est employé à laisser la place aux partitions des trois premiers albums retravaillés. Un retour en mode best of avec ses moments de grâce, due à l’énergie de Karen O et à un public déchaîné sur les classiques tels « Heads Will Roll » repris par des milliers de spectateurs l’index levé. Un grand moment de festival qui risque de donner envie au groupe de revenir plus souvent !


La vraie bonne tête d’affiche

C’est très sûrement le mercredi d’ouverture du festival qu’il fallait chercher le concert le plus fédérateur, avec Billie Eilish. Figure de proue de l’édition, en exclusivité française pour cette année, l’Américaine a été annoncée en grande pompe, payée à prix d’or. La moyenne d’âge des festivaliers s’est radicalement réduite, le spectacle a été au rendez-vous, mais au-delà de ça, on a retenu une vraie proposition artistique : la jeune femme, seule sur scène (avec son band un peu caché dans le fond) se suffit à elle-même par son jeu de scène. Quelques visuels psychédéliques projetés, une estrade inclinée, un habile jeu de lumière qui ne l’empêchent pas de faire dans la simplicité et de se mettre à nu avec beaucoup de générosité. En 1h30 de show, elle a su varier les mood, les ambiances, avec une palette de son assez touffue voire schizophrène qui sans totalement perdre en consistance, lui permet d’embrasser large, tous azimuts. Les plus sensibles apprécient les guitares-voix délicates et délicieusement écrites pendant lesquelles elle se fait accompagner de son grand frère et coproducteur. Les plus fêtards se dandinent sur ses tubes électro-pop qui visent toujours juste, avec talent (« Bad Guy »). Les explosions de flamme et les feux d’artifice du bouquet final paraissent ainsi presque anecdotiques !


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens