[Interview] Requin Chagrin

On connaissait Requin Chagrin pour ses sonorités entre new wave et surf rock avec deux premiers albums solaires. Le projet de Marion Brunetto est revenu cette année avec « Bye Bye Baby » ; un disque plus mélancolique et rêveur, une pop un peu plus nuageuse mais toujours parfaite pour l’été. Rencontre avec la Varoise pour évoquer les secrets de sa dernière production.

crédit : Cédric Oberlin
  • D’où viens-tu Marion ? Si tu as commencé à jouer dans la capitale, je ne crois pas que tu sois parisienne…

Marion Brunetto : Je suis du Var, de Ramatuelle. Je suis arrivée à Paris en 2008, pour faire mes études de dessin. J’étais à l’ISAA, une école d’arts appliqués, dans le 6e, ça me branchait pas mal et donc fallait que je déménage pour la capitale. C’est à Paris que j’ai rencontré les Guillotines, où je faisais de la batterie et un peu de chœur : cela m’a appris à jouer en groupe. En fait, je n’avais pas encore joué dans le Var, j’y ai juste appris la musique et la guitare. Et avec ce groupe, je me suis vraiment nourrie de nombreuses influences garage-pop très sixties ou plus actuelles à la Black Lips. C’est une période qui m’a beaucoup ouvert l’esprit, au niveau du son, des mélodies, de la scène, c’était hyper riche !

  • « Bye Bye Baby », c’est le troisième album, et tu fais tout toute seule, écriture comme enregistrement. Comment fonctionne ton processus créatif ?

En fait, Requin Chagrin au départ, c’est mon idée de faire des chansons centralisées sur un projet personnel, en puisant tout ce que j’avais écouté avec les Guillotines, mais aussi par moi-même : des trucs plus new wave, punk et compagnie. Quand j’ai commencé il y avait beaucoup de gens qui s’enregistraient tous seuls avec des enregistreurs cassettes, j’ai trouvé ça très ludique et efficace. Puis, je l’ai accompagné d’un logiciel plus pour l’électro qui s’appelait FruityLoops et qui était très peu utilisé dans ce genre de musique. La méthode, c’est donc que je suis toute seule avec des appareils un peu anciens !

  • Pour ce nouveau projet, tu as davantage travaillé en studio ? Au début, tu étais plus dans une démarche « DIY »…

J’ai fait qu’une semaine de studio à la toute fin, lorsque j’avais mes maquettes abouties le plus possible. Il s’est passé de longs mois avant que j’aille au studio, j’ai dû faire des tonnes de démos ! Puis, en studio, j’étais accompagné de mon claviériste parce qu’il y a plus de claviers sur cet album. Et même si je m’étais bien amusée à le faire, lui, il a plus d’expérience. Il a fait des claviers additionnels et c’est une oreille de confiance aussi, puisqu’on peut se perdre dans un truc assez immense avec des possibilités presque infinies quand on travaille avec ce type d’instrument. C’était bien, du coup, d’avoir un binôme comme ça. Et donc, en une semaine, j’ai fait toutes les batteries que je ne pouvais faire chez moi, les voix avec un bon micro, etc. En fait, tout ce que je ne pouvais pas faire toute seule ! Et puis c’est bien aussi d’avoir un ingénieur du son hyper calé quand t’es en studio.

  • C’est intéressant, car sur la scène anglo-saxonne, ceux qui fonctionnent comme ça, assument davantage le côté un peu Do It Yourself, le son un peu garage, avec des impuretés, on parle même de « bedroom pop ». Alors que toi, si on exclut la phase La Souterraine à tes débuts, dès le second album, on sent que le son devient assez pur et que tu cherches à le perfectionner.

Le premier album était hyper fougueux, je l’ai fait hyper vite, je l’avais même mixé à la maison, donc totalement Do It Yourself ! En partant de cette base-là, j’ai toujours voulu enrichir et améliorer mes sons. Vu que je ne bosse plus totalement toute seule, je me suis dit qu’il faudrait faire un peu mieux. Je me disais parfois en exportant certaines pistes pour l’envoyer pour le mixage que ce n’était pas très catholique ! Entre chaque album, je ne cesse de m’acheter du nouveau matériel, pour aiguiser un peu le son. Au début, c’était plus du matos style guitare, alors que maintenant il y a beaucoup de synthés. Ça me plait de progresser, d’apprendre de cette manière. Parfois j’écoute des trucs et je me dis : « waouh, comment ils ont fait pour ça ? ». Et du coup, je me prends la tête pour améliorer ce que je produis, et je ne m’ennuie pas : comme une sorte de quête éternelle.

crédit : Cédric Oberlin
  • Par contre avec toi, le texte et la voix arrivent plutôt en bout de course, quand tu as structuré le son, la mélodie. Autant tu produisais pas mal de refrains plus instrumentaux jusqu’à ce disque, autant là, pour moi, le texte prend plus de place… Penses-tu arriver à un processus créatif où tu partirais de textes ?

Les textes arrivent toujours au même stade, donc vers la fin. La différence c’est que sur cet album, j’avais envie que l’on comprenne un petit peu plus les textes, avec une voix un peu plus devant. J’avais envie d’avoir un truc plus pop sur ce disque, de plus direct, en travaillant les mélodies aussi bien sur les instruments que sur la voix. Il y a parfois des mélodies de voix qui arrivent directement quand je compose : pour certaines chansons, cela commence en fait par un guitare-voix avec une boîte à rythmes. Au début, c’est du pur yaourt, car l’idée est juste d’attraper la mélodie, mais parfois il y a des mots qui sortent de cela, de manière inconsciente et c’est assez drôle. Je les garde parfois, car cela va bien avec l’idée que les gens doivent s’approprier eux-mêmes les textes. J’aime bien qu’ils ne soient pas trop clairs, avec de doubles sens.

  • Sur cet album, je trouve que le synthé prend une place bien plus prépondérante, alors que sur « Sémaphores », tu mettais plus la guitare au centre, avec de longues séquences instrumentales. Est-ce que le synthé est passé au point de départ de tes compos ?

Ça dépend ! C’est le cas pour « Juno » justement, ou « Love ». D’autres démos aussi, mais que je n’ai pas gardé sur le disque. J’aime bien l’effet de surprise, quand j’ai un instrument que je ne connais pas. Le clavier en particulier, ce n’est pas un instrument que je joue beaucoup, puisque je suis guitariste à la base. Cela casse certains automatismes, et comme je travaille seule, d’autres instruments me permettent de trouver d’autres inspirations, car je ne l’avais jamais fait avant. Par exemple, « Première vague » est vachement chargée, je mets pas mal de disto sur quelques notes, et cela sonne comme des guitares saturées.

  • Si on n’y réfléchit bien, t’es une singer-songwriter avec un live band. Pourquoi le nom du projet ne te met-il pas davantage en avant ?

Au début, je ne me voyais pas m’appeler par mon nom, j’avais envie de trouver un nom un peu totem, et je n’avais pas envie de me mettre en avant du tout. Je n’osais même pas le faire écouter à mes potes en fait. Je faisais comme si de rien n’était. Le projet c’était juste Requin Chagrin à Paris, et c’est tout quoi. Au début, les gens se demandaient si c’était une fille ou un garçon qui chantaient, je trouvais ça drôle !

  • Et donc comment tu passes à la scène avec tes sons ? Cela implique des arrangements avec tes musiciens ?

Généralement au début, on fait vraiment le disque en fait. Je pense que c’est une base. Mais il y a toujours de nouvelles choses qui viennent après, et donc j’aime bien laisser la porte ouverte à ce genre de truc en « jamant» par exemple. Quand on joue tous les quatre, on trouve de nouvelles choses à apporter, en fonction de comment cela sonne sur scène. Le tout premier concert qu’on a fait a été filmé et donc figé pour Arte, sans public. Donc ça met une petite pression supplémentaire. D’autant plus que mes musiciens changent beaucoup depuis 2015 ! J’ai une nouvelle section rythmique sur ce disque, dont je suis très contente d’ailleurs.

crédit : Cédric Oberlin
  • Je trouve que ta musique évoque beaucoup de sonorités très anglo-saxonnes, dream pop, surf rock… comme une nostalgie ?

Je pense que je suis de nature nostalgique en fait, j’adore travailler avec du matos ancien, alors que je pourrais tout faire avec un Mac et GarageBand. J’aime bien la nostalgie par les instruments, en me disant qu’est-ce qu’ils ont pu enregistrer, qui a pu jouer dessus. Leur esthétique aussi est intéressante, y a des synthés qui te renvoient presque dans des trucs à la Star Wars. J’utilise par exemple un Juno, un synthé des années 80 qui produit des sons qui évoquent des groupes d’un autre temps, et j’aime bien ce sentiment-là. C’est pour ça que j’ai donné ce nom à un des titres du disque.

  • C’est quoi tes références musicales du moment ?

J’adore le label Sub Pop, ce genre de truc. Au Canada, j’adore Corridor, en France, Halo Maud. Récemment, j’ai redécouvert ce que faisait Italians Do It Better, le label de Johnny Jewel. Je le trouve vachement fort, il est assez maboul. Le catalogue est très années 80, même un peu disco, vite fait. MGMT, j’aime bien aussi. Il y a dix ans, ils ont fait d’énormes tubes que j’ai écouté comme tout le monde, et je l’ai vu y a pas si longtemps à Paris et ils ont vraiment encore un truc. Il y a deux ans, j’ai découvert John Maus, j’ai écouté toutes ses chansons dont je suis assez fan. Les Raveonettes aussi, que j’ai réécoutés : tu vois je suis dans la nostalgie !


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens