[LP] Radiohead – A Moon Shaped Pool

C’est avec une foule de sentiments que nous découvrons « A Moon Shaped Pool » : crainte, excitation, jubilation… Et pour cause : l’album précédent de Radiohead, « The King Of Limbs », aura échoué à tous les tests, y compris à celui du temps. Boursouflé jusqu’à la moelle, il était constitué d’une moitié de musique électro moche et dénuée de toute mélodie, et d’une moitié acoustique fadasse, sans inspiration. Pour le groupe le plus créatif de ces dernières décennies, il était impossible de trouver ça suffisant, même pour le fan le plus hardcore, obligé de constater là une baisse inquiétante dans la qualité d’une discographie jusqu’à présent toujours innovante et sans tache. Obligé de s’interroger sur la possibilité d’un déclin, idée qui ressemblait à un véritable crève-cœur tellement nous pensions Radiohead éternel. Le seul moyen de privilégier la théorie de l’accident était tout simplement de voir de quel bois serait fait son successeur.

Radiohead - A Moon Shaped Pool

Disons-le tout de suite : faire la chronique d’un album aussi complexe seulement une semaine après sa sortie est de la folie pure. Un disque d’une telle richesse s’apprivoise bien évidemment sur la longueur, et regorge de surprises ou de détails qui se dévoileront au fil des écoutes. Mais une écoute assidue permet déjà d’avoir une idée claire du fond comme de la forme. Ce qui frappe avant tout dans « A Moon Shaped Pool », neuvième essai du groupe d’Oxford, c’est le paysage sonore, plus fourni que jamais. Écouter ces onze morceaux au casque est une expérience fascinante. Les guitares et les nappes synthétiques arrivent et repartent, s’entremêlent, se contrebalancent, pour étourdir et enivrer l’auditeur. Mais tout cela serait vain si les morceaux n’avaient pas cette base mélodique forte, qui faisait tant défaut à son prédécesseur. Ces fameuses nappes synthétiques ne représentent plus la base des chansons, mais seulement leur enrobage. Les chansons, donc, parlons-en.

Le premier extrait, « Burn The Witch », rassurait déjà sur sa capacité à proposer quelque chose d’intéressant sur des bases plus traditionnelles, et montrer que Radiohead était encore capable de proposer une musique plus seulement fondée sur des effets de manche. Mais avec « Daydreaming », l’autre clip balancé en avant-goût, les choses restaient très proprettes, et pas plus engageantes que cela.

Ce sont les autres morceaux qui vont témoigner d’un Radiohead nouveau et qui se remet à surprendre. Toutes ces pistes sont autant d’aventures qui évoluent sans cesse durant leur progression dans un fabuleux tourbillon d’émotions. Il n’y a qu’à écouter « Decks Dark », tétanisante ballade au piano qui se pare de chœurs d’outre-tombe avant de proposer une dynamique irrésistible. De même, « Identikit » démarre sur un groove de basse presque caduque, déchaîne l’enfer, puis se referme sur lui-même, sur un modèle presque similaire à « Ful Stop », autre bombe pleine d’un groove noir et agressif. Sur « The Numbers », c’est presque un folk à l’ancienne qui sert de prétexte à balancer, dans sa deuxième partie, une orgie de cordes digne de Melody Nelson. Tout navigue ainsi entre noirceur et lumière, yin et yang musical. Les états d’âme de Thom Yorke ajoutent à la tension ambiante. Chanteur touché, il évoque dans cet album sa rupture avec sa compagne. « You really messed up everything », se lamente-t-il, puis d’éructer ailleurs tel un mantra « Broken hearts, Make it rain », renforçant l’impression de malaise.

En réalité, il s’agit d’une œuvre tellement extrême dans tout ce qu’il propose que nous sommes forcés de nous interroger sur notre façon de l’appréhender. Dès lors, nous pouvons nous demander s’il est décemment possible d’écouter cet album avec détachement. Pouvons-nous vraiment l’écouter d’une oreille, sur une chaîne hi-fi ou notre ordinateur, en ne nous y consacrant pas intensément ? La substance de ces morceaux est telle que leur principal intérêt est d’assister à leur éveil sonore, de s’extasier sur la manière dont ils se développent ; comme une fleur en train d’éclore, avant de se refermer sur elle-même.

« A Moon Shaped Pool » est une expérience exigeante ; mais qui, pour qui s’y prête et s’y abandonne, devient tellement gratifiante. Ainsi, écouter « Tinker Soldier », distraitement, peut nous faire passer à côté du formidable travail sonore et mélodique qui envoûte la chanson. La batterie, à peine audible, est pourtant un élément épique placé en arrière-plan, entouré de tous ces chœurs et violons.

crédit : Alex Lake
crédit : Alex Lake

Clairement arrivé au bout d’un processus créatif, incapable de progresser sans se réinventer complètement, Radiohead parvient au final à renaître, une fois de plus, de ses cendres. Et c’est alors que nous ne l’attendions plus que le quintet d’Oxford redevient plus pertinent que jamais. Le Roi est mort, vive le Roi !

« A Moon Shaped Pool » de Radiohead est disponible depuis le 8 mai 2016 chez XL Recordings


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Sébastien Weber

chroniqueur attaché aux lives comme aux disques d'exception