Ce qui est impermanent n’est pas satisfaisant. L’impermanence, dite « anitya » en langue Sanskrit, est, selon le bouddhisme, l’une des trois caractéristiques de toute chose. C’est aussi une promesse de changement, le progrès sur la voie spirituelle. Concrètement, avec ce premier projet en solo, Peter Silberman nous guide sagement vers la patience et le silence – deux choses en peine dans ce monde en secousse. Dans ce flot céleste qu’est « Impermanence », chaque note, chaque temps et chaque pause sont d’une beauté immaculée, éblouissante et silencieuse, comme les lumineux acouphènes que l’écoute de ces six merveilles semble parsemer. Sont-ils physiques ou fantomatiques ? Certainement les deux.
L’introduction de « Impermanence » ne pouvait pas mieux nous initier à la lenteur spirituelle de Peter Silberman. « Karuna », qui désigne l’une des quatre morales dites « incommensurables » du bouddhisme, ouvre la voie à des émotions que nous ne serons pas prêts d’oublier. Conduit par la puissance minimaliste du jeu et des arrangements, amenés crescendo par la voix cristalline de Silberman, le compte-goutte temporel de cette première piste résume à lui seul le travail de fond de « Impermanence ». Bien qu’elle soit assimilée à de la mélancolie dès les premiers instants, la langoureuse tristesse du projet prend son essor dans la spiritualité, s’appuyant sur la reconstruction physique et mentale de l’auteur. « L’album est attribué à une blessure inattendue qui m’a forcé à tout reconsidérer », avoue-t-il. « Il y a quelques années, j’ai développé une déficience de l’ouïe qui a entraîné une perte auditive totale temporaire dans une oreille et une sensibilité atroce au quotidien. Afin de trouver le repos et le calme, j’ai quitté mon appartement de Brooklyn pour un cadre isolé dans l’État de New York. »
« Il m’a fallu un certain temps avant que je ressente complètement le silence, à cause d’un blizzard constant d’acouphènes. Quand le silence a cessé d’être disponible pour moi, je suis venu à le penser comme un luxe de la perception bien calibrée. Nous le percevons à tort comme rien, mais il est précieux, d’une entité profonde. » « I plug my ears » (Je branche mes oreilles), chante Silberman. Pas étonnant qu’au fur et à mesure des pistes, le silence soit le béton armé de l’album. Richesse méditative, il est d’autant plus fort quand nous prenons le temps de nous l’inséminer, et l’auteur nous y force tant le tumulte externe est fort, augmentant doublement sa rareté et sa préciosité. « J’étais conscient de ne chanter que ce qu’il fallait dire. Les six chansons ont une économie d’expression. Les espaces entre les mots sont aussi importants que les mots eux-mêmes. J’ai souvent pensé à cette citation de Miles Davis : « Ce ne sont pas les notes que vous jouez, ce sont les notes que vous ne jouez pas. »»
« Avec mon ami et collaborateur Nicholas Principe, nous avons taillé un espace sonore sacré, allongeant la distance entre les notes et les accords, en utilisant des arrangements minimaux pour permettre à la salle de respirer. Avec l’aide de l’ingénieur de mixage Andrew Dunn, nous avons répété plusieurs fois des pistes à travers des bandes vieillies jusqu’à ce que les chansons elles-mêmes se décomposent. » Et l’ambiance de « Impermanence » s’en retrouve transpercée de toutes parts en restant cohérente de bout en bout, sans jamais baisser le régime de son doux miroitement dont « Maya » est la reine mère. Mais bien sûr, au-delà des expériences en ambiance, l’album fait foi des valeurs humaines et métaphysiques de Silberman, nous plongeant dans une intimité loin d’être fermée à double tour. Une intimité en demi-teinte, éreintée et tranquille, dans le recueillement de sa prière qui cartographie le cours circulaire entre la douleur et la paix, transformant ainsi sa guérison en un immense et véritable chef-d’œuvre.
« Impermanence » de Peter Silberman est disponible depuis le 24 février 2017 chez Transgressive Records / [PIAS].
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