[LP] Nonkeen – Oddments Of The Gamble

Suite du premier volume de leurs retrouvailles, paru en février dernier chez R&S Records, les membres de Nonkeen replongent dans les jams post-rock et les secousses jazzy, avec treize morceaux qui ne sont en réalité qu’une seule et même mélodie électronique, abstraite et fantasmagorique.

Nonkeen - Oddments Of The Gamble

Après huit ans de longues sessions expérimentales, Frederic Gmeiner, Nils Frahm et Sepp Singwald nous ont offert « The Gamble », une série de premières prises virevoltantes flirtant avec le modern classical, le jazz électrique et les expérimentations électroniques.
« Oddments Of The Gamble » est la suite directe de ce disque, provenant des mêmes enregistrements et prolongeant cet esprit ludique, qui guette la beauté au hasard de l’enchaînement d’une note avec une autre. Ils triturent leurs instruments analogiques, fouillant çà et là dans le but de faire jaillir les harmonies et les rythmes d’une longue pièce instrumentale transportant l’auditeur d’une autre galaxie.

À la fois plus euphorique, mais également plus chanceux, cet album doit avant tout son existence à la faveur du public. Devant une matière sonore bien trop dense pour en faire un seul disque, les musiciens ont choisi de couper et d’agencer ce bouillonnement électronique en plusieurs volumes. A pile ou face, il fut décidé que les morceaux du premier opus seraient publiés mais, grâce au succès rencontré, il nous est désormais possible d’écouter d’autres fragments de leurs aventures à trois.

La musique de Nonkeen se situe au croisement d’ambitions multiples, arpentant des courants comme l’ambient, le jazz, le rock, les musiques électronique et classique, sur un immense terrain de jeu où les limites se diluent et les esprits s’ouvrent à la contemplation, et ce, dès le grésillement introductif de « Kassenttenkarussell » qui se transforme en post-rock mélancolique, à la manière des œuvres de Tortoise.

L’éclatement des sonorités et des réflexes musicaux fascine, comme sur « The Journey Of Hello Peter », dans lequel s’entrecroisent math-rock et vibrations free jazz. Survient alors un instant de musique simplement mémorable en la présence du titre « Diving Platform ». Un léger riff de guitare électrique ponctue çà et là une série de nappes ambient qui se télescopent comme des vagues. Un piano et une batterie viennent intensifier l’ensemble, donnant vie à une envolée post-rock azuréenne.

L’album comprend aussi de petites bulles oniriques comme « Happy Juno » ou « Back And Forth », qui ne sont pas sans rappeler les volutes new age de Klaus Schulze. Les pistes s’enchaînent et nous emportent dans une spirale, qui alterne jazz électrique (« The Monkey In The Machine ») et post-rock illuminé (« World Air »), surprenant même avec une pop-song jazzy terriblement nostalgique en conclusion (« Schwertfisch »). Une coupure brusque, le grésillement d’une enceinte et, soudain, plus rien.

« Oddments Of The Gamble » est une expérience assez intéressante, dans le sens où elle semble plus cohérente et plus accomplie que la première1 sortie de Nonkeen. Les reliefs ont été ciselés avec brio dans une matière sonore dense. Et, même si « The Gamble » y parvenait également, il n’y avait pas la même maîtrise, celle-là même qui leur permet de tracer vers d’autres horizons, afin d’avoir cette mosaïque sonore qui dépasse les contours du jazz électrique et de l’ambient. Au final, à travers bien des aspects, Nonkeen tire son énergie du krautrock des seventies, également appelé à l’époque « Kosmische Musik », cette musique planante mise au point en Allemagne lors de la vague psychédélique, à l’aide des nouvelles machines de musique électronique. Le patrimoine de cette école musicale, et plus précisément de formations comme Tangerine Dream, Neu! ou Can, se trouve revisité et mélangé aux énergies du post-rock moderne. Nostalgie, mélancolie et joie de vivre s’entremêlent dans un juke-box kaléidoscopique, minutieusement recomposé, à vivre comme un voyage en apesanteur vers des climats cinématographiques, en parcourant cette floraison d’images mentales qui germe au fil de l’écoute.

Nonkeen
crédit : Julia Soler

Les atmosphères se suivent et se répondent sans jamais se bousculer et, si de nombreuses ressources musicales sont déployées pour servir une vision de haute volée, le disque résiste à la tentation de l’hermétisme. Les expériences restent avant-gardistes, dans un paysage électronique bien trop souvent répétitif, sans pour autant s’enfermer dans le solipsisme. Compréhensible des initiés comme des amateurs en mal de contemplation et d’œuvres sonores pleines d’humanité, on souhaite une longue vie à Nonkeen, probablement le projet le plus enthousiasmant de Nils Frahm, qui défriche la musique vers des sensations inexplorées.

« Oddments Of The Gamble » de Nonkeen, sortie le 15 juillet 2016 chez R&S Records.


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Etienne Poiarez

Étudiant en master d’information-communication à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Éternel adepte de Massive Attack et passionné de cinéma, d'arts plastiques et de sorties culturelles.