Cet été à Saint-Malo et dans ses environs avait lieu la traditionnelle Route du Rock, dont c’était la 29e édition et la huitième d’affilée où nous étions présents avec indiemusic pour couvrir le festival. Sur trois jours et deux sites (plus un warm-up le mercredi soir où nous n’étions pas présents), le festival breton alignait une programmation à la fois populaire et pointue, entre grosses têtes d’affiche pour faire danser les foules, sensations rock et psyché du moment, belles découvertes indie et exigence électronique. Retour en mots et en images sur le deuxième soir de cette trilogie presque malouine.
Article écrit par Maxime Antoine, Sébastien Michaud et Maxime Dobosz
Alors que nous arrivons sur le site à l’ouverture et que nous profitons de l’étrangeté procurée par le simple fait de fouler ces étendues de gravier désertes sous un ciel menaçant en dansant sur les choix audacieux des DJs qui meublent entre deux concerts (de mémoire, ça allait de Talk Talk à Dashiell Hedayat), les musiciens qui composent Foxwarren, sorte du super-groupe super discret de folk rock très chill emmené par Andy Shauf et D.A. Kissick, prennent calmement position sur la petite scène des remparts. Leur show sera une bonne surprise un peu gâchée par la météo qui se déchaîne à mi-parcours, obligeant la foule à vêtir une multitude de k-ways colorés pour affronter le crachin devant des folkeux particulièrement tranquille. Le son est irréprochable, et les compos se traînent nonchalamment entre élégance et ennui (poli), jusqu’à un léger sursaut en fin de set avec une légère incursion psychédélique sur un titre qui s’étend un peu plus que de raison et sort des sentiers sages et battus jusque-là empruntés par les musiciens. Côté présence scénique en revanche, on repassera ; à part la silhouette étonnante de cet immense bassiste un peu gauche au milieu de la scène, le concert s’apprécie tout aussi bien en imitant ses comparses musiciens : en baissant les yeux.
C’est à une heure où l’apéritif transforme les corps alanguis par une journée de plage (très nuageuse, certes, mais de plage quand même) en une meute de festivaliers prêts à battre de la semelle et brailler en cœur que déboule l’Américain Tim Presley et son projet White Fence. Au pire moment, donc, pour résumer, car la musique de notre homme est loin de faire dans l’évident et le rentre- dedans. Mais le miracle a lieu et son folk psyché un brin déglingué parvient à capter l’attention d’un public de plus en plus encapuché. Esprit de Syd Barrett : 1, météo bretonne : 0.
Après une demi-heure de pause plus judicieusement placée que celle de la veille (serait-ce un stigmate de l’annulation de Beirut ? Il est vrai que ce deuxième jour semble un peu faiblard sur le papier, et peuplé d’outsider et de curiosités…), nous retrouvons sur la même scène les sensations néerlandaises du moment, Altin Gün. Ils n’ont de néerlandais que le pays où ils se sont établis, car le combo qui se présente à nous, à défaut de venir avec le soleil, vient du pays du soleil, la Turquie en l’occurrence. Énorme et quasi incompréhensible succès depuis la sortie de leur premier album il y a deux ans, les Turco-Hollandais se présentent devant nous forts d’un excellent deuxième opus « Gece » et font, mine de rien, office de sérieux concurrents pour le statut de tête d’affiche de la soirée à en juger par l’ampleur et l’enthousiasme de la foule qui se presse devant la scène du Fort. Dès les premières notes de « Yolcu » le public est en terrain familier et les gens se mettent à danser, sourire aux lèvres, sous une pluie battante. Rebelote à chaque nouveau morceau, qu’il soit chanté par Merve Dasdemir, la jolie chanteuse rousse qu’on entend par exemple sur le single « Leyla », ou par le ténébreux Erdinç Ecevit Yıldız, multi-instrumentiste aux yeux cernés de khôl, et le public entre peu à peu dans une transe et une liesse irrésistible.
https://youtu.be/UyRXR-ORNK8
Les rangs se brisent, n’obéissent plus à la monotonie totalitaire de la ligne droite imperméable, mais se plient, ondulent, suivent les mouvements de la musique, dansante, psychédélique et anatolienne. Merve n’en revient pas ses yeux, et, émue, nous fait par de sa surprise de voir le groupe dont elle fait partie à ce point bien reçu par le public et ce malgré une météo de plus en plus maussade. Mais c’est que la pluie a cessé d’exister à la seconde où les musiciens frappèrent leurs percussions ou caressèrent leur saz, leur basse, leurs claviers. Le concert enchaîne les tueries, de la percutante « Kolbasti » aux breaks presque hard rock à des passages plus dansants, comme les deux tubes imparables du groupe, « Goca Dunya » et surtout « Supurgesi Yoncadan », sorte d’hybride disco-rock anatolien taillé pour la scène et que les musiciens ont le très bon goût d’étirer et de muscler un peu pour faire vriller tout le monde. On sort de là avec l’envie d’embrasser son voisin, le cerveau complètement paralysé par une vague d’euphorie pas prête de retomber. Merveilleux moment.
Nous n’attendions pas beaucoup Hot Chip dont les derniers efforts étaient fort décevants : quelle erreur ! Hot Chip, c’était finalement l’inverse de Tame Impala la veille. Les shows étaient pourtant assez similaires avec ces grosses installations de lumières et ces lasers qui en mettent plein les yeux. La différence est qu’Hot Chip ne donne pas l’impression de jouer sur des bandes, on a affaire ici à un groupe de rock qui n’a qu’un seul objectif : faire danser ! Ce qu’on peut dire, c’est que cela marche comme sur des roulettes, la joie du groupe est communicative et il est tellement plaisant de voir un groupe avec autant de belles machines et de vieux synthétiseurs analogiques jouer tout cela live, à la manière d’un LCD Soundsystem par exemple. Bien sûr, il y a de petites erreurs par-ci, par-là et tant de matériel sur scène fait qu’il est difficilement possible de produire un son parfait, même si nous n’en sommes pas si loin ; par contre, force est de constater que la pop des Anglais a raison de nous et envoie de bonnes ondes à qui veut les recevoir. La cerise sur le gâteau était cette surprenante reprise du « Sabotage » des Beasties Boys avec un Alexis Taylor aux abois prêt à gueuler autant que faire se peut. On écoutera les prochains albums du groupe avec un petit peu moins de médisance.
Il se nomme James Cox. Et on ne voit que lui. Sur la scène des remparts, le jeu de lumière mis au point pour l’arrivée de Crows met en valeur une haute silhouette menaçante, plongée dans la pénombre et prête à en découdre. En toisant longuement la foule et en plantant son pied de micro au sol comme un cheyenne sur le sentier de la guerre plante sa lance, Cox affiche d’emblée son appartenance à la famille des grands allumés du rock’n’roll, pour qui l’expression « gimme danger ! » ne rappelle pas qu’un titre inscrit au dos de la pochette de « Raw Power »… Du danger, oui, voilà ce que les Crows ont à revendre. Danger pour les tympans comme pour les os d’un public des premiers rangs soumis à un pogo sans fin. Signés sur le label d’Idles, les Londoniens font preuve durant une (trop courte) quarantaine de minutes d’une rage non feinte assortie d’une puissance de feu exceptionnelle. Punk ? Post-punk ? Psyché ? Garage ? Au-delà des étiquettes forcément réductrices (comme Jaz Coleman, de Killing Joke, doit aimer ce groupe !), ces quatre-là font dans le noir. Le très noir.
Deux ans après leur inoubliable passage sur la scène du fort pour un choix « black & white » dément multipliant les batteurs et les prouesses de mise en scène, les deux gars de Soulwax revenaient cette année pour un DJ Set sous leur autre nom, celui sous lequel ils n’ont pratiquement jamais rien enregistré d’autre que des mix lives qui ont fait leur réputation. 2manyDJs donc, mais pas des masses à se mettre sous la dent. Si ça démarre fort avec un « I Wanna be Your Dog » des Stooges qui contente le public tout juste sorti de l’ouragan Crows sur la scène d’en face, rapidement le duo montre qu’il ne sait pas vraiment sur quel pied il veut nous faire danser ? Techno ? House ? Tech-house ou carrément rock ? Les morceaux se suivent et ne se ressemblent pas, mais ce qui pourrait fonctionner pêche ici pour deux raisons : les transitions se font uniquement dans la rupture et non dans la continuité, brisant systématiquement les élans du public pour « entrer » dans la musique, et la scène extérieure est bien trop grande pour ce genre d’exercice qui pourrait marcher en club. Résultat, on apprécie la technique et l’érudition musicale des deux gaillards qui balancent tout de même quelques pépites de ci-delà, mais on se fatigue vite, et la dernière moitié du show, hystérique, tape carrément sur le système façon bruits d’avion et stridences agaçantes. Un répit pop malicieux vers la fin toutefois, où le groupe décide de cajoler les survivants de la déflagration qui vient de les saisir en leur passant le remix par Soulwax de « Let It Happen » (tiens donc) puis le classique presque trop téléphoné de New Order, « Blue Monday ». Peut mieux faire.
Crack Cloud est un groupe canadien qui développe un post punk comme les Anglais savaient si bien le faire. Ils sont nombreux sur scène, sept musiciens au total dont un batteur chanteur à la métrique impeccable. Le concert commence avec un enchaînement de trois morceaux peu avenants si nous ne connaissons que peu le groupe et sa folie, puis petit à petit le band se révèle d’une efficacité rare et emporte tout le monde sur son passage, même les plus frileux. De plus en plus géniaux quand leurs chansons sont métronomiques et jouissant d’un son précis et puissant, on est pris par cette batterie droite et ces guitares répétitives qui laissent la place à un saxophone décérébré. Malheureusement la pluie, la fatigue et une pause encore trop longue avant son set nous privent de Paula Temple dont on se doute que la techno racée a su trouver un public nombreux et connaisseur, et on rentre se terrer sous la couette pour recharger les batteries.
Une deuxième soirée un peu inégale donc, manquant de réelle grosse tête d’affiche et handicapée par l’annulation de Beirut, mais qui nous aura offert de belles consolations et de bonnes surprises.
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