[Live] Hinds et Sun Club au Périscope de Lyon

Dire que le petit Périscope affiche complet ce soir de 18 janvier 2016 est un doux euphémisme : un retard de 15 minutes me vaudra la sanction d’être relégué au comptoir du bar à l’arrière d’une salle pleine à craquer. C’est que la centaine de personnes massée dans ce petit hangar plein de charme espère trouver en cette nuit de grand froid un peu de chaleur au contact du soleil ibérique de Hinds, quatre rockeuses madrilènes qui surfent allègrement sur la hype créée par quelques singles l’an dernier avec la sortie en ce début d’année de leur premier album, « Leave Me Alone ».

crédit : Francesca Allen
crédit : Francesca Allen

En parlant de soleil, les cinq jeunots assurant la première partie en promettent au programme, puisqu’il s’agit des Américains de Sun Club, venus promouvoir leur nouvel album « The Dongo Durango ». Le chanteur a osé les rouflaquettes, osons donc les superlatifs : planant, sautillant, énergique… En entendant des percussions africanisantes très rythmées rencontrer des voix cliquetantes, on pense d’abord à Born Ruffians ou Akron/Family : même tendance à croiser immédiateté pop et rythmiques déstructurées pour un résultat au punch communicatif. Mais soudain, la batterie s’évapore dans une nappe électronique envoûtante, les voix s’harmonisent au pays de l’étrange, et l’influence majeure, presque écrasante, saute aux yeux : Sun Club se place plus que clairement sous le haut patronage d’Animal Collective, cette tête chercheuse de Baltimore qui mélange avec bonheur freak-folk et électro-pop, jusqu’à parfois imiter parfaitement les décollages hypnotiques de « Sung Tongs » ou de « Feels », disques les plus charnels et organiques d’AnCo. Même la voix singe Avey Tare dans les moments électriques, et Panda Bear dans ceux suspendus, une impression confirmée quand le groupe interrompt le flot de son concert pour nous informer qu’ils nous viennent tout droit… de Baltimore ! N’en jetons plus. À un tel niveau de pastiche, difficile de crier à l’originalité et encore moins au génie, mais la prestation est suffisamment dynamique (les morceaux s’enchaînent presque sans temps mort avec une belle fluidité), cohérente et enthousiaste pour convaincre un public déjà plus que réceptif.

Sun Club

Mais si l’accueil pour ces imitateurs talentueux fut en effet chaleureux, ce n’est rien à côté du triomphe démesuré réservé par le Périscope à l’arrivée des quatre héroïnes du soir, transperçant la foule en t-shirt-jeans (ou salopette pour la bassiste) casual sous les ovations pour venir se placer sur scène. C’est le moment pour moi de vous faire une confession : le premier album de Hinds est loin de me convaincre. De riffs simplistes et caricaturaux en structures forcées (ces changements de rythme incessants et maladroits qui finissent par devenir méchamment répétitifs et prévisibles), de voix criardes et mal harmonisées en mélodies un peu rudimentaires, le disque me paraît jouer avec pas mal de roublardise sur une esthétique lo-fi décontractée qui cache un indéniable manque de substance et d’inventivité. Sans compter que la fraîcheur vantée ici et là du groupe est toute relative, tant leur style girly minimaliste a de précédents pas si lointains (Dum Dum Girls et Vivian Girls viennent immédiatement à l’esprit).

Qu’à cela ne tienne, le public a l’air de n’avoir que faire de ces réserves, et c’est tant mieux, car il aura à charge d’animer toute la première partie d’un set assez bancal, qui confirme un peu ma crainte : la « spontanéité » du groupe est surtout un artifice de production et de composition, une succession de gimmicks qui s’écroulent un petit peu au contact de la scène. En effet, les premiers morceaux sont joués les yeux rivés sur les guitares, et l’obsession du groupe à reproduire à la note près chaque morceau contredit la nature pseudo-déglinguée de leurs chansons : au fait, en lieu et place de la décontraction attendue, on a affaire à un groupe assez tendu et distant pour les quelques huit premiers morceaux (qui piochent entre les inédits « Warning with the Curling » ou « Between Cans » et quelques extraits de « Leave Me Alone » comme « Warts » ou « Fat Calmes Kiddos »), à l’évidence moyennement sûr de sa force. Et pour ne rien arranger, la qualité médiocre du son (batterie trop forte), qui noie sur les premiers morceaux presque entièrement les voix, nous fera ensuite regretter les ajustements micros : poussés à fond dès le troisième morceau, les vocals gueulards et dissonants de Ana et Carlotta passent d’un peu irritant sur disque à carrément agaçant, tellement stridents et apprêtés (l’éprouvant « Chili Town ») que l’on se prend à largement préférer l’apaisement d’une petite ballade charmante, la reprise du « When It Comes To You » de Dead Ghosts, où Ana pose enfin sa voix pour un moment d’apaisement mélancolique qui donne envie de voir Hinds calmer le jeu un peu plus souvent. Si la prestation n’est pas en soi mauvaise, elle peine en tout cas dans cette première demi-heure à susciter en moi l’enthousiasme qu’elle semble provoquer chez un public déchaîné : les cris se multiplient de la part d’une audience qui ne demande qu’à interagir avec deux chanteuses bien discrètes, et décrochent quand même quelques sourires reconnaissants à la charmante Carlotta. Dans un français parfait, Ana commente tout de même la progression du groupe, passé pour leur retour à Lyon d’un « petit bateau » (le public reprend en cœur : « le Sonic !! », elle acquiesce) à une salle pleine (leur premier concert « sold out » à l’avance, nous dira-t-elle) en à peine un an.

crédit : Salva López
crédit : Salva López

Un déclic cependant vient égayer la deuxième moitié du set, et souligner l’habileté de la setlist. « Bamboo », tube pourtant un peu simpliste dans son imitation light des Black Lips, vient porter le coup de grâce à un public déjà conquis : les premiers rangs, peuplés vraisemblablement de pas mal de gens sous emprise, commencent à lascivement lever les bras au plafond et à remuer, les cris s’intensifient, et Hinds se libère enfin. Carlotta se permet un premier moment de lâcher-prise avec une anecdote sympathique de la soirée Karaoké qu’elles et les membres de Sun Club ont passé la veille à chanter les plus grands tubes des années 90, avant d’entonner, vite rejointe par un public extatique, une version a capella du refrain de « Don’t Look Back In Anger » de vous-savez-qui. Dès lors, le quatrième mur définitivement brisé, le groupe enchaîne ses meilleurs titres, ceux où les refrains sont les plus robustes et entraînants (« San Diego »), les riffs les plus tranchants (« Garden », efficace morceau d’ouverture de l’album). On approche de la fin, et c’est à la fois tant mieux, car le public éméché est sur le point de passer de chaleureux à un brin odieux (un énergumène assez lourd ose un infâme « à poil » que Ana préfère sagement ignorer), mais aussi regrettable tant les biches (hinds) ont enfin trouvé leur rythme de course : « Castigadas en El Granero » (« Punies dans la grange », sic), peut-être la pièce maîtresse de « Leave Me Alone », conclut de manière assez réjouissante le set principal. Un vrai bon morceau plein de menace avec des couplets posés et solides, une belle complémentarité des voix dans le refrain, et une construction avec un crescendo en bonne et due forme, de plus interprété énergiquement par quatre musiciennes qui semblent désormais jouer plus libérées. Avec une salle aussi remontée à bloc, impossible cependant d’échapper au rappel : ce sera « Davey Crockett », un des morceaux responsables de l’explosion au grand jour du groupe, une reprise enthousiasmante et électrique de l’irrésistible rockabilly de Thee Headcoatees.

L’on aura donc fini sur une bonne note un concert qui, à l’image de « Leave Me Alone », fut un peu bancal et parfois même faiblard, mais où une ambiance réjouissante et quelques moments forts auront tout de même assuré une bonne soirée. Cependant, face à la concurrence d’autres groupes de rock ibérique déjà plus acérés (l’on pense aux gamines – 17 ans ! – de Mourn et leur punk sauvage), il faudra que les Madrilènes musclent leur jeu de scène, améliorent leurs prestations vocales, et surtout laissent place à plus de spontanéité et transcendent un peu leurs gimmicks lo-fi pour laisser une trace plus pérenne. Car si leur charme brinquebalant a plus ou moins fait le travail dans un Périscope chauffé à blanc, il n’y a pour l’instant pas non plus de quoi leur bâtir des châteaux en Espagne.


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Julien Campagna

J'habite à Lyon et j'aime le rock.