[LP] Evgueni & Sacha Galperine – Grâce à Dieu (OST)

Sous ce titre ironique, qui pose aussi un certain questionnement, le nouveau film de François Ozon déferle sur le cinéma et l’actualité avec une justesse incomparable, étale une distance et une pudeur remarquables, imbrique la fiction et le réel pour ne former qu’un bloc brûlant, sensible et révoltant. Il y a des décennies qu’un cancer pédophile ronge l’Église, que l’omerta règne en son fort au gré d’innombrables blessures à la profondeur invisible. « Grâce à Dieu » retrace le parcours de justice et de reconstruction d’hommes meurtris et révoltés, prêts à tout pour lever le voile noir avec l’association « La parole libérée ». Sous les images sensationnelles d’Ozon, Evgueni & Sacha Galperine s’éprennent du mouvement d’émotions pour composer une bande originale à la fois tendue et élégiaque, fidèle à leur manière de marier l’orage des sons à la douceur des images.

Avec le souvenir très marqué de l’incroyable travail sonore réalisé sur le chef-d’œuvre russe d’Andrey Zvyagintsev, « Nelyubov » (Faute d’amour), les promesses laissées ne pouvaient anticiper que de beaux projets. C’est ainsi, qu’en autres, François Ozon s’intéresse à leur travail et leur glisse le scénario du film entre les mains. « Nous l’avons lu le soir même et étions impressionnés par son côté incroyablement sobre et documenté, puis par sa narration très novatrice en trois chapitres qui finissent par se rejoindre en une seule histoire », raconte Evgueni. « Dès les premières discussions avec François, nous avons évoqué comme source d’inspiration la musique religieuse, mais qui serait ancrée dans notre époque, donc avec une approche plus moderne, plus minimaliste et épurée. Il a été également évoqué que la musique devait représenter la lumière que les protagonistes de l’histoire cherchent en se battant pour la vérité, de souligner le côté digne et volontaire de leur combat. La chorale des garçons nous a rapidement paru être la couleur idéale pour évoquer la lumière, mais également la pureté et l’innocence de l’enfance. Nous pensions que, par contraste, cela soulignerait d’autant plus le fait que l’enfance de nos trois héros a été salie et gâchée. »

La bande originale s’ouvre justement sur des chœurs ; « Aucun loup dans la bergerie » annonce d’emblée la vision de nos auteurs, sublimée par les cordes frottées et l’orgue dans l’autre morceau étendard « Cœur d’enfants ». Ces deux pistes résument parfaitement leur direction sonore, mais une en particulier résonne dans toutes leurs compositions : « La déposition ». Au même titre que leurs travaux sur « Baron noir », « L’homme qui voulait vivre sa vie », « Paterno » ou comme déjà énoncé « Faute d’amour », le titre déploie la signature des deux compositeurs, une balance formelle entre tension et mélancolie, qui évite tout malencontreux pathos, où une note de clavier se fait intempestive pour mieux relever la cinétique des images, pour soulever l’émotion enfouie, mettre en sourdine les sons dans un crescendo qui ne demande qu’à exploser. Ces effets crépusculaires pointent un doigt sur une singularité admirable et nécessaire dans le brouhaha de la musique de film actuelle.

« Il était clair qu’il ne fallait surtout pas tomber dans le larmoyant, ni l’héroïque ou le trop dramatique. La principale difficulté était de travailler sur un film où la voix off est très présente et où la musique n’est souvent qu’une partie du flux sonore. Le grand chalenge était d’essayer de faire que la musique soit assez discrète et qu’elle puisse cohabiter avec la voix off en racontant quelque chose d’important et chargé émotionnellement. » Avec un sujet écrasant et des personnes haut en émotions, Evgueni & Sacha Galperine ont réussi le pari de la complémentarité. L’association au détriment de la disparition : l’un des combats les plus durs dans la réalisation de bandes originales de films. L’intensité hors-champs et psychologique de « Grâce à Dieu » se plait à côtoyer le génie des deux auteurs à équilibrer la balance de la magie filmique et musicale, marquant ainsi nos esprits à la sortie des salles obscures, durant des heures et même des jours, comme le fantôme d’une éternelle et passionnante ritournelle.

crédit : Ayumi Sakamoto

« Grâce à Dieu (Bande originale du film) » de Evgueni & Sacha Galperine, disponible depuis le 15 février chez Mandarin Production.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante