L’été a (presque) passé, un Premier ministre a été nommé et sera sûrement (espérons-le) censuré, mais la Terre ne s’est pas pour autant arrêtée de tourner, ni la musique de résonner. Alors entre épisodes caniculaires, orages, brat summer, Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, inondations dans le sud, vacances, reprise puis rentrée, quels sont les 13 albums qui ont marqué notre été 2024 ? La réponse ci-dessous.
[LP] Communicant – Harbor Song
5 juillet 2024 (Bingo Master Records)
Commençons cette sélection en douceur, avec cette petite pépite de pop-folk orchestrale et psychédélique, tout en piano délicat et cordes somptueuses, mais pas sirupeuses. L’introduction de l’album évoque un peu le Air de Virgin Suicides revisité à la sauce soft-rock. Ce deuxième effort du groupe basé à Los Angeles navigue en des eaux brumeuses, bercées des lointains souvenirs de la pop baroque des sixties (Beatles, Beach Boys et consorts). Un très disque de confirmation pour Dylan Gardner, tête pensante de Communicant.
[LP] Black Diamond – Furniture of the Mind Rearranging
5 juillet 2024 (We Jazz)
Nous l’avons déjà répété plusieurs fois dans ces colonnes, mais 2024 semble être une grande année pour le jazz, du moins dans ses veines les plus free, les plus fusion, les plus spiritual, et cet album ne nous fait pas mentir. Les compositions sont plutôt courtes (moins de six minutes en moyenne), mais nombreuses, car le disque pointe presque à 80 minutes. C’est un album touffu, exigeant, dans une tradition plus hard bop (les trois quarts du disque en formation quartet) à peine perturbé d’un souffle mystique (« Mycelium », en duet) ou de tentations modales et free discrètes. Le duo de saxophonistes et flûtistes Artie Black et Hunter Diamond nous livre ici un solide morceau de jazz contemporain, un petit monument de minutie et de complexité subtile.
[LP] Afla Sackey & Afrik Bawantu – Destination
5 juillet 2024 (Wah Wah 45s)
Restons encore dans le jazz, mais cette fois dans une veine très différente, nettement plus marquée afrobeat et ethio jazz. Sur « Destination », le chanteur et percussionniste ghanéen Afla Sackey, basé à Londres, et son groupe Afrik Bawantu, nous proposent ni plus ni moins qu’un voyage musical démarrant en douceur et nostalgie sur un titre (« Togetherness ») aux polyrythmies teintées de reggae, pour durcir progressivement le ton dans un jazz-funk de plus en plus irrésistible et endiablé (le justement nommé « Shake Da Booty »). En cet été finissant, un disque qui fait du bien et donne une sacrée pêche.
[LP] AURORA – What Happened to the Heart?
7 juin 2024 (Decca)
Certes, le nouvel album de la chanteuse norvégienne est sorti début juin, mais nous l’avons écouté un peu plus tard et il est parfait pour une sélection estivale. Disque le plus ambitieux de son autrice à ce jour, d’une part en raison de sa durée, de l’autre pour la grande diversité de styles abordés, « What Happened to the Heart? » s’impose assez facilement comme son meilleur album à ce jour, quelque part entre une version moderne de l’art pop d’une Kate Bush et une réponse dance accessible, mais sans compromission aux expérimentations électroniques de The Knife / Fever Ray ou de certains titres de Björk. Un disque pétri de références (principalement scandinaves ou celtiques) bien digérées et qui nous démontre que le nord de l’Europe est toujours une mine d’or pour les pépites de synth-pop intelligentes, mais diablement efficaces.
[LP] Lord Buffalo – Holus Bolus
12 juillet 2024 (Rare Ear Studios)
Changement de registre avec le nouvel album de Lord Buffalo, groupe texan officiant dans des terres musicales boueuses, une sorte de dark country très southern gothic qui sur ce remarquable nouvel album « Holus Bolus » s’éclaire d’un rock psychédélique un peu noisy que ne renierait pas Wovenhand. Le chant rauque évoque quant à lui Michael Gira de Swans. Pas le disque le plus estival de la sélection, mais une belle réussite pour les amateurs du genre.
[LP] Oruã – Passe
19 juillet 2024 (Transfusão Notes Records)
Voilà un album qu’il nous paraissait important de signaler, car ce n’est pas tous les jours que le Brésil nous offre un disque de garage psyché de cette qualité. Pensez à un croisement musical d’Os Mutantes et de Ty Segall, de Thee Oh Sees et de Caetano Veloso. La production est cradingue, mais c’est ce qu’il faut pour qu’un disque de ce genre fonctionne aussi bien. Des riffs, de l’énergie, du sale et une bonne dose de fun et de bizarrerie pour un groove étonnamment jouissif. Un groupe de cariocas à suivre.
[LP] JPEGMAFIA – I LAY DOWN MY LIFE FOR YOU
1er août 2024 (Awal Recordings)
Autant l’année 2024 est marquante pour le jazz, autant jusqu’à présent elle fait pâle figure aux côtés de 2023 dans le domaine du rap et du hip-hop, avec peu d’albums marquants du côté des grands noms – et nos connaissances en ce domaine sont trop limitées pour dégoter des pépites du côté des productions indépendantes ou confidentielles. Le dernier JPEGMAFIA, moins d’un an après l’album collaboratif « Scaring the Hoes » avec Danny Brown (une déception chez nous), est à ce titre une belle exception – et peut-être son meilleur opus à ce jour. La durée de l’album est particulièrement digeste (41 minutes), la production inventive et éclectique (on y retrouve des éléments de rock voire de metal, d’indus, etc.) et le débit du MC sont inarrêtables. Il se passe manifestement beaucoup de choses dans la tête de Barrington DeVaughn Hendricks, mais quand il parvient à les restituer sous une forme aussi excitante et convaincante, on ne peut que s’en remettre à l’évidence : il y a du génie dans son œuvre.
[LP] ØKSE – ØKSE
9 août 2024 (Backwoodz Studio)
Il suffisait de râler sur l’absence relative de grands disques de hip-hop cette année pour qu’une poignée d’entre eux se manifestent. Preuve en est avec le premier album de ce projet, ØKSE, qui défie les genres, les frontières et propose un maelström musical poétique inouï autour de longues compositions free jazz marquées par des digressions électroniques et des verses posés par quelques grands noms du rap contemporain, Billy Woods himself en tête. Musiciens de jazz scandinaves (norvégiens et danois), sessions à Oslo et New York, participation de ELUCID ou de Maassai, le tout supervisé donc par mister Woods. Le résultat est ce petit chef-d’œuvre inclassable d’une richesse folle. Quel dommage que le disque soit aussi mal distribué.
[LP] SAULT – Acts of Faith
6 juillet 2024 (self released)
En parlant de collectifs qui échappent à la classification et dont la musique est par nature élusive et difficile d’accès (au sens littéral du terme), SAULT a publié un nouvel album début juillet, avec comme d’habitude un petit jeu de piste à base de liens de téléchargement avec date d’expiration rapide pour accéder au graal. Cette fois heureusement, le disque a été en parallèle uploadé sur YouTube et semble s’y maintenir. Au programme de cet opus, une seule track de 32 minutes divisée en neuf « actes » qui nous emmènent en des terres neo soul, R&B et smooth jazz particulièrement sexy et suaves. Une de leurs plus belles réussites, après les égarements de musique contemporaine des précédents titres.
[LP] Jack White – No Name
2 août 2024 (Third Man Records)
Continuons dans les projets improbables, avec cet album surprise de Jack White, dont le monde a appris l’existence après que des copies test pressing ont été distribuées aux clients de la boutique Third Man Records à Nashville – on vous laisse imaginer 1) le buzz suscité 2) le prix atteint par ces exemplaires sur le marché aujourd’hui – avant une sortie physique limitée fin juillet ou début août (dix disquaires en France initialement concernés, depuis Warner a « retrouvé » du stock comme par magie). Si le procédé peut être agaçant (générer un buzz artificiellement puis restreindre l’offre pour faire augmenter la demande), il fait aussi référence à la façon dont White distribuait à l’origine les tout premiers enregistrements des White Stripes, cachant des exemplaires dans le rembourrage des canapés qu’il réparait à l’époque (oui, oui…). Côté musique, on ne va pas y aller par quatre chemins : c’est son meilleur album solo depuis « Blunderbuss » ou « Lazaretto », on retrouve enfin un son blues organique boosté par une énergie garage de sale gosse, et débarrassé des affèteries excentriques du guitar hero mégalo qu’il était peu à peu devenu. Un retour à l’essentiel donc, et pour une fois on ne va pas bouder notre plaisir.
[LP] Magdalena Bay – Imaginary Disk
23 août 2024 (Mom + Pop)
Parfait complément américain à la synth pop scandinave de AURORA évoquée plus haut, le second album de Magdalena Bay est un disque emblématique de la tendance actuelle qu’ont les meilleurs groupes de pop (et d’autres genres musicaux) de brasser un large éventail de styles et de références pour trouver leur propre son. Dance, indie rock, space rock, neo psychédélia, synth pop, tout cela à la fois et sans doute plus sont au programme de ce disque racé en forme de petite odyssée sonore et sensuelle. Un grand album estival au sens noble du terme, bardé de tubes imparables. Le duo californien est donc une valeur sûre qu’il faudra suivre avec intérêt dans les années à venir.
[LP] KA – The Thief Next to Jesus
19 août 2024 (Iron Works Records)
Figure importante du rap US indépendant depuis son premier album « Iron Works » en 2008, KA, de son vrai nom Kaseem Ryan revient cet été avec son neuvième album studio, « The Thief Next to Jesus ». Pour l’heure uniquement disponible en téléchargement payant, ce nouvel opus est un condensé de rap conscient qui s’ouvre d’ailleurs sur un discours ou un prêche puis une instru très old school et soul. Le genre d’album paradoxalement assez facile à écouter tant son flow nous berce, mais qui s’apprécie d’autant plus livret en main pour suivre le cours des pensées de son interprète, fortement marquées de considérations politiques et spirituelles (les titres du disque et des morceaux sont assez explicites). L’année rap 2024 n’est peut-être pas si décevante finalement ?
[LP] Jon Hopkins – RITUAL
30 août 2024 (Domino Recordings)
Le nouvel album de Jon Hopkins, figure de proue de la techno progressive des années 2000-2010, semble avoir été conçu à la fois comme un hommage au minimalisme cosmique de l’école de Berlin et de la kosmische Muzik des Tangerine Dream et autres Klaus Schulze, et une tentative un brin mégalo de concept album / voyage électronico-cosmique dont la grandeur revendiquée tutoierait celle des grandes heures de Jean-Michel Jarre. Si c’est bien la première de ces deux tendances qui nous séduit le plus (remarquable ouverture et montée en puissance du disque, conclusion apaisée), force est de reconnaître une indéniable maîtrise dans ses effets de la part du DJ britannique. Un album idéal pour les psychonautes en recherche de nouvelles sensations, et un disque curieusement palpitant, qui nous saisit et ne nous lâche plus avant l’atterrissage. « Fasten your seat belts, it’s going to be a bumpy night! »