[LP] Charlie Cunningham – Lines

Rouge, bleu et vert. « Outside Things », « Breather » et « Heights ». En trois couleurs et trois EPs, Charlie Cunningham avait sondé les deux parts les plus excitantes et complices de notre mélomanie, la part chaleureuse et l’autre mélancolique. Deux parts génératrices d’émotions exquises, intenses et addictives, qui faisaient de ces sons les doses d’une drogue douce quotidienne. Maintenant détenteurs d’une grosse fournée, nous sommes les témoins de notre chute. Une chute vertigineuse dans laquelle il est dur de refaire surface. « Lines » est la ligne que nous franchissons volontiers, sous l’impulsion du new-folk céleste de ce petit génie fragile et purement charmeur, nous prouvant une fois de plus que la beauté se suffit à elle-même.

 

Comme indiqué dans les précédents papiers (piqure de rappel), la créativité solaire de Charlie se jauge sur son expérience en outre-mer, qui fut fondamentale et riche pour sa condition de musicien. Pour ainsi affiner le jeu de sa guitare, il a déménagé à Séville quelques années pour profiter et s’enivrer du soleil andalou, mais pas que. En prenant les techniques percussives de la guitare flamenca, celles utilisées pour le flamenco – d’origine espagnole et gitane, Charlie a commencé à filer ses premières mélodies et paroles en produisant son premier EP, et surprenant l’assemblée médiatique par son originalité lumineuse et pleine de vivacité. En tout bon catalyseur, ce premier disque a laissé la main à deux autres qui dénombraient toujours autant de floraisons frénétiques et d’ajouts luxuriants. Mais tout de même, Charlie ne perd pas le nord et insémine dans ses œuvres la mélancolie de sa terre natale, reconnue et promue par d’innombrables auteur-compositeurs torturés de l’humeur.

Fini les disques frustrants par leur longueur d’écoute, Charlie Cunningham sort « Lines », un premier LP cohérent et à l’inertie magnifique. Dès les premières minutes, il est incroyable d’entendre à quel point cette nouvelle sortie est le dernier sommet (pour l’instant) d’une trame évolutive juste et subtile, déjà enclenchée dans son deuxième EP. Cette particularité se doit d’être relevée et saluée. Au fil des années, le mot « album » perd de sa vraie nature et devient plus un objet qu’une œuvre à part entière. Nous avons trop souvent l’impression d’entendre aujourd’hui une succession de bons titres sans véritables cohérence les unes avec les autres, sorte de compilations déterrées d’un temps où l’on gravait encore un CD pour notre autoradio. Pour « Lines », Charlie a contribué à ce processus dès le morceau d’ouverture « An Opening », son plus beau à ce jour, et nous déclare à juste titre : « C’était censé́ être un morceau d’essai afin de voir si Duncan Tootil et moi-même pouvions travailler ensemble. Peu après cela, Duncan s’est retrouvé à la production de l’album dans son intégralité́. C’est une subtile progression de style par rapport à mes EPs, mais en revanche, la musique la plus électronique que je n’ai jamais créée. Elle définit vraiment l’ensemble de l’album. »

Comme son auteur l’indique, et en plus de sa dimension acoustique, « Lines » surprend dans ses résonnances et ses arrangements analogiques. Pour ainsi s’immerger amplement dans le nuage mélancolique de l’artiste, pratiquement tous les titres ont été pensés et travaillés sous des ondulations droniques ou encore de subtils ajouts de cuivres. Mais pour que la balance solaire soit équitable, Charlie a interféré dans son somptueux brouillard des titres à l’humeur rythmique irrésistible, comme sur « Minimum » et « You Sign », qui seront indéniablement sujettes à de nombreuses lectures. Sinon, que dire du reste – c’est un pur enchantement, une remarquable plongée dans un monde qui reste, à ce jour, authentique et très singulier. « Je crois que ce qui m’a ralenti dans mon travail c’était de m’arrêter et de trop réfléchir au moindre petit détail possible. Désormais, je sais que si quelque chose me paraît juste, alors je dois croire en mon instinct. » Nous ne retrouverons pas un autre Charlie Cunningham, ni même de fortes influences car, avec sa force et son obstination à nous faire rêver, le britannique s’élève dans les hautes sphères de la musique. Non pas dans des sphères parfaites qui se penchent quelques fois au bord de la stérilité, mais celles qui contemplent l’amour et l’humain dans tout sa splendeur. Sans crier gare, c’est ainsi qu’il nous plante son génie en plein cœur.

crédit : James Leighton

« Lines » de Charlie Cunningham, disponible le 27 janvier 2017 chez Dumont Dumont.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante