[Platine #1] Budapest

L’aventure d’un média musical passe, au fil des années, par de nombreuses réflexions, d’envies à concrétiser, de caps à définir, de pas à franchir. Nous avons toujours eu à cœur, au sein de la rédaction d’indiemusic, avec lenteur et une certaine précaution ou, à l’inverse, sur un simple coup de tête, pris d’une urgence soudaine, d’expérimenter, de construire de nouveaux formats éditoriaux, avant tout à l’écrit. À travers ces contenus que nous espérons originaux et riches d’intérêt pour nos lecteurs, nous nous sommes pris de passion pour les histoires des musiciens que nous avons la chance de côtoyer quotidiennement. Offrir une tribune à ceux qui la font est aujourd’hui devenu essentiel pour nous. Après avoir proposé à un grand nombre d’artistes de nous confier leur Entourage (un des formats dont nous sommes le plus fiers), nous lançons aujourd’hui Platine, une nouvelle aventure où les artistes nous parlent de leurs disques essentiels et fondateurs : ceux qui ont influencé leur écriture, leur manière de composer et qui constituent, d’une certaine manière, l’essence de leur projet. Pour cet épisode pilote, nous avons donné la parole à un groupe qui incarne parfaitement l’idéal des rencontres. Sublimé par les voix, passionnées, complémentaires et tumultueuses de Perpetue Minali Bella et de Holy Louis Boot et le jeu de guitare plein de fougue d’Hervé Bezemat, le quintet mystique Budapest profite de la sortie prochaine de son second album « Paramoon », entre trip-hop, pop, soul, folk et rock progressif, pour nous raconter, à cœur ouvert, ses amours discographiques.

crédit : Pierre Wetzel

Frank Ocean – Blonde

Hervé :  Un des albums que j’ai beaucoup écouté pendant l’écriture de « Paramoon », c’est le dernier opus de Frank Ocean, « Blonde ». On a découvert Frank Ocean en 2014 en studio pendant l’enregistrement de notre premier album ; un groupe présent dans le studio faisait écouter quelques titres de « Channel Orange », son disque précédent. Honnêtement, cela suscitait pas mal de critiques (trop cheesy, autotune, etc.), mais j’étais assez intrigué et finalement fasciné par le mood et l’utilisation débridée de sa voix. « Blonde » est très intérieur, personnel et quasi schizophrénique dans l’utilisation des voix : l’artiste se dévoile, mais ne s’expose pas. J’ai l’impression qu’il lance un défi à ses auditeurs ; c’est comme cela que j’interprète le visuel de cette pochette. Je considère cet album comme froid et lointain, mais cela résonne, paradoxalement, d’une manière très viscérale et émotionnelle. J’imagine que c’est le propre des grands que d’abolir les distances culturelles, générationnelles et toucher au plus profond de nous.


Arto Lindsay – Invoke

Hervé :  Un autre artiste qui a pas mal influencé le son de Budapest est Arto Lindsay. Il a grandi au Brésil, vit à New York, précurseur de la no wave vers la fin des seventies. Ses albums solos sont une rencontre entre lo-fi, bruitisme et pop chatoyante, un chant suave et des rythmiques implacables, joués par la crème des musiciens de la scène new-yorkaise downtown. S’il ne fallait en choisir qu’un, ce serait l’album « Invoke » de 2002. Le visuel m’évoque New York, sans que je sache bien pourquoi ! Le premier titre, « Illuminated », illustre la richesse musicale de cet album ; et on sent bien que, derrière l’apparente ironie, l’humour acerbe et ce regard décalé sur le monde, la sensibilité affleure et la tendresse domine…


TV on the Radio – Return to Cookie Mountain

Hervé :  TVOTR nous accompagne depuis nos débuts ; c’est aussi une grosse influence pour nous, on les a un peu perdus de vue depuis, mais ça a été un vrai choc sonore quand on les a découverts en 2008 ! Le premier truc, c’est que le groupe est artistiquement indépendant, le producteur est l’un de ses membres, ils gèrent eux-mêmes les visuels… Ce fût une des premières fois qu’on s’est dit : « Une musique aussi ambitieuse peut être faite sans aide extérieure, à la maison… » On s’est senti pousser des ailes ! La production est super riche, ça part vraiment dans tous les sens, il y a des trouvailles sur chaque morceau, c’est original, surprenant, les influences sont larges, du gospel au punk, du rock psyché au trip-hop. On sent bien que le groupe est New-Yorkais. En un mot : décomplexé… Cet album est un melting pot jouissif !


Radiohead – OK Computer

Irwin : Album OVNI, tant par les techniques qu’il a empruntées que par ses idées organiques, électriques et électroniques. Un résumé sonore teinté de fragilité, de crainte, de chaos et d’espoir sur ce passage dans le troisième millénaire. Je me souviens l’avoir découvert lorsque ma sœur est revenue d’Espagne en me racontant qu’elle avait entendu le plus beau morceau de sa vie. Elle parlait de « Paranoid Android ». Elle l’a cherché sur le CD dès que je lui ai dit que je l’avais acheté. C’est avec cet album que nous sommes devenus des fans incontournables de la bande à Thom Yorke. Pour ma part, c’est sur « Let Down » que j’ai flashé.


Pink Floyd – Meddle

Holy : S’il y a une œuvre sensible, c’est sans aucun doute celle-là. Je l’ai découvert dans les disques de jeunesse de ma mère ; j’avais 12 ans. Il a veillé sur moi, d’une certaine manière. Avec le temps, tout en restant pluriel et pourtant très simple, il revêt une absolue douceur. Je le garde et l’écoute comme un ami de longue date. Bien sûr, c’est l’avant-garde d’une époque ! 1971. Bien sûr, c’est Pink Floyd ! Oui, mais j’aime faire le bruit du vent dans un morceau, j’aime le son poussiéreux et sableux qu’il émet, et c’est ainsi qu’il s’ouvre. Ensuite, les espaces, les architectures, la transe, l’énergie, les miaulements sauvages du chat, l’éternité, les hymnes, les siestes endimanchées, les caresses, les rêves éveillés… tout y est ! En seulement six titres, sur deux faces. La face B est entièrement occupée par « Echoes », qui est véritablement une expérience lorsqu’on a 12 ans. Une expérience visuelle aussi, en se plongeant dans l’artwork d’Hipgnosis qui joue sur les contrastes avec son oreille géante immergée dans les ondes à l’extérieur ; LA photo majeure de Pink Floyd à l’abri, à l’intérieur.


Un an après la sortie de l’EP « L’ombre amoureuse », préliminaire magnétique à ce nouvel album à venir, Budapest introduit une nouvelle pièce dans son grand échiquier avec « Ambres Blancs ». Le quintet y présente un attrape-rêve musical attirant les corps dans la nuit. Pour un album, « Paramoon », dont le nom évoque sans hésitation les astres et les jeux d’illusion, sans vous promettre d’emblée la lune, nul doute que vous ressortirez du visionnage de ce premier extrait des étoiles plein les yeux. Osez donc l’abandon et la rêverie.

« Paramoon » de Budapest, sortie le 3 avril 2020 chez Black Stamp Music et Slow Down People Records.
En concert à l’International le 23 avril 2020.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques