[LP] Batuk – Música da Terra

Les producteurs de renoms Spoek Mathambo et Aero Manyelo s’amourachent du chant de la chanteuse et performeuse Carla Fonseca, afin de nous convier à un banquet solaire prénommé Batuk, super-groupe d’afro-house dont le premier album, baptisé « Música da Terra », est une véritable fulgurance sur le dancefloor.

Batuk - Musica Da Terra

En pleine effervescence électronique, l’Afrique du Sud nous convie régulièrement à la découverte de nouveaux langages musicaux. Ce réveil post-Apartheid, également appelé « Mzansi Sound », continue d’envahir le monde ; et ce n’est pas le projet panafricain Batuk qui va freiner cette avancée phénoménale. Aux commandes, on retrouve l’électro-star Spoek Mathambo, seulement 30 ans et déjà deux albums et quelques collaborations prestigieuses (l’« Africa Express » de Damon Albarn ou le super-groupe Fantasma). À ses côtés, Aero Manyelo, artisan talentueux d’une house survitaminée, et Carla Fonseca, interprète mozambico-sud-africaine dont le chant portugais alimente chaque note de Batuk. À noter également, la présence régulière de la chanteuse Nandi Ndlovu au sein de cette osmose artistique.

Et c’est justement cette idée de lier tous ces artistes africains, leurs savoirs et leurs imaginaires, à travers une seule et même entité, qui est à l’origine de ce disque. Batuk puise dans les énergies de musiciens en provenance de l’Afrique du Sud, de l’Ouganda (Annet Nandujja, Lebon, Giovanni Kiyingi, Nilotica) et du Mozambique (Grupo Zore, Grupo Makarita), afin de tisser les contours d’une explosion créative qui submerge presque la scène sud-africaine, devenue un véritable eldorado électronique.

Deux singles de l’album ont également été accompagnés d’EPs collectant les remixes d’autres artistes. La communion semble ainsi sans limite. De Johannesburg, épicentre de la nation arc-en-ciel, Batuk trace le cheminement artistique d’une diaspora qui vibre au diapason de langues et de sonorités s’entrelaçant afin « d’élever les hommes vers quelque chose de supérieur et de les faire sortir de leur corps » comme dirait Mathambo. « De la musique religieuse à la musique électronique, ça n’a pas changé » (extrait des Inrockuptibles).

« Música da Terra » nous accueille avec une mélodie d’afro-house minimale baptisée « Força Força », distillant une série de boucles percussives tribales et de samples vocaux, qui invitent les corps à la transe. De même, « Daniel », le premier single apparu sur le Net et que l’on retrouve sur le disque, nous emporte lui aussi dans cet espace coloré et tellurique, à base de kwaito et de chants traditionnels.

À l’inverse, « Me Toque » et « Call Me Naughty » distillent les ondes envoûtantes d’une house cérébrale et délicate, proche des créations occidentales. Les lignes de basses profondes se conjuguent à des nappes délicates et à une bonne dose de groove. Cette écriture musicale trouve son absolu lorsque se déroule le tapis de beats métronomiques et hypnotiques de « Lavandra », sorte de fragment mélancolique d’afro-house aux arpèges saisissants.

Les carcans et les horizons s’entrechoquent et se brisent, provoquant les fusions insaisissables et fascinantes d’un monde nouveau. Mais les membres de Batuk ne sont pas uniquement les architectes d’un exutoire sonore ; en témoigne l’existence de « Gira », track dont les rythmes et les beats servent un discours contestataire, s’attaquant avec virulence aux interminables conflits et violences envers les différentes populations africaines. Les basses cogneuses de « Puta » alimentent le chant rageur contre le harcèlement sexuel de rue, touchant de nombreuses Sud-Africaines.

Les atmosphères, à la fois violentes et vaporeuses, se suivent et s’enchaînent sans fausse note, alternant l’hédonisme et la contestation au sein d’un projet contemporain de haute volée. « Música da Terra » incarne, dans son nom comme dans son contenu, un disque-monde porteur d’une rare humanité, qui rassemble les imaginaires d’une nouvelle génération d’artistes, allant de la soul à la township-tech en passant par le kwaito, le zouk, la tribal/afro-house et les chants traditionnels africains.

Les esprits se lient et communiquent au sein d’une house music charnelle et dansante. Un voyage qui dévoile une écriture électronique poétique et des visions synthétiques où le rythme ne prend jamais l’ascendant sur les trames mélodiques. Et si certains sont prompts à classer cette aventure dans la world music, Mathambo répond : « C’est un peu old school de parler de world music. Il y a quelque chose de raciste derrière ce terme : il ségrègue tout ce qui n’est pas occidental ». Sans compromis, nous allons devoir apprendre à lire et ressentir la musique autrement.

Batuk

Ce premier album de Batuk frappe fort et juste, en devenant l’ouverture sur un univers si différent, que nous avons encore du mal à percevoir avec d’autres grilles de lecture que les nôtres et que nous n’interprétons qu’en fonction de nos schémas artistiques. Un monde dont les lignes de fuite sont autant d’appels au refus de l’uniformité. « Música da Terra » incarne cette carte hallucinée, dessinée par Mathambo, Anyelo et Foncesa, dans le but de nous inviter à une fête riche et hétérogène, en marge de ce nous connaissons, où les horizons se diluent et les esprits se libèrent. De quoi, me direz-vous ? Tout simplement de la peur de l’inconnu.

« Música da Terra » de Batuk, sortie le 27 mai 2016 chez Teka Records.


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Etienne Poiarez

Étudiant en master d’information-communication à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Éternel adepte de Massive Attack et passionné de cinéma, d'arts plastiques et de sorties culturelles.