[LP] Amiina – Fantômas

1913. Le cinéma est bien parti. À la veille de la première guerre mondiale, Louis Feuillade lance la série des films « Fantômas », adaptés de la figure emblématique de la littérature populaire de la Belle Époque. En s’appuyant sur le souffle originel du 7ème art, Amiina compose une sorte de bande originale des premiers volets mettant en scène le journaliste Fandor et l’inspecteur Juve. S’en suivra alors un mélange somptueux entre l’ancien et le moderne, entre la sophistication et l’innocence, où les bruitages instrumentaux des islandais tendront le fil narratif de l’énigmatique silhouette encagoulée.

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Nous avons tous ce mot en bouche. Fantômas. Dans leur imaginaire collectif, les récentes générations ont surtout en tête la très libre adaptation comique que livre Jean Marais et Louis de Funès dans les années 60, « Fantômas se déchaîne », avec un Louis de Funès déjanté et désenchanté comme à son habitude. Mais nous irons plus arrière avec Amiina, quand le cinématographe crépitait de son mutisme et dirigeait le spectateur avec des écriteaux policées art déco. Composé comme une bande originale, les islandais reproduisent les thèmes et leitmotivs des premiers films pour que l’auditeur éprouve délicatement chaque morceau comme une entité complète et récurrente – en écho permanent avec le fantastique du cinéma de Méliès et le réalisme de celui des frères Lumières. Musicalement, Amiina ne peut être comparé. Si, peut-être avec d’autres priseurs de froid comme Múm ou Sóley pour leur sound design homemade, mais il s’avère que ces groupes sont tout de même plus à l’aise avec l’électronique et leur voix. Non, Amiina reste – et restera – singulier et outrageusement riche de sons : le violon, le violoncelle, les tambours, les percussions, le métallophone, la harpe, le ukulélé et les divers bruits électroniques constituent la source foisonnante et infinie de « Fantômas », avec son utilisation intelligente et imaginative d’instruments et de textures diverses et infinies.

Composé à l’origine d’un quatuor à cordes – toutes des filles dont le nom se termine évidemment par dóttir – le groupe a collaboré durant la dernière décennie avec les superstars Sigur Rós. Le premier album des islandaises sort en 2005 sous le nom de « Kurr », acclamé de toute part pour leur sens inné de confronter avec justesse la sophistication avec l’innocence. En 2010, à l’occasion de leur deuxième album « Puzzle », Amiina s’infuse au masculin avec le percussionniste Magnús Trygvason Eliassen et l’artiste électronique Kippi Kaninus, membres permanents depuis 2009. Ces derniers musiciens ont permi à la musicalité du groupe de prendre un nouveau tournant peut-être plus accessible et vigoureux cette fois qu’à son début. De ce fait – et le résultat est flagrant avec « Fantômas » – la sonorité d’Amiina s’est assombri et gagne en maturité, mélancolique et éthérée, pourtant plein de suspense, martelant des rythmes et hantant les mélodies. Les aficionados du groupe ne seront pas déçus, et Louis Feuillade aussi.

En reprenant les visages estompés en noir et blanc du générique originel, la pochette de « Fantômas » nous jette d’emblée dans l’ambiance de l’époque. Et la musique en sera le fil conducteur. Elle suit les pas de Fandor et Juve saccadés par l’image, modernise le suspense d’antan et édulcore les personnages fantasques de la série. Enrobés de vieilles nappes fantomatiques – que les premiers films de science-fiction ont aussi utilisées à outrance – les onze titres de l’album est une ode à l’univers du cinéma, mais se distingue comme l’étendard du message que l’œuvre a porté à sa sortie. « Fantômas » fut le premier exemple d’interaction entre l’intellect d’avant-garde et la culture de masse encore toute nouvelle à l’époque. Bien des artistes des années 20 ont considéré cette œuvre comme majeure, en particulier les surréalistes comme René Magritte et Guillaume Apollinaire que ce dernier expliquait : « Du point de vue imaginatif, Fantômas est l’une des œuvres les plus riches qui existent. » Et encore aujourd’hui, l’œuvre continue d’émoustiller les artistes, au point qu’un projet comme Amiina veuille le transpose en musique, lui rendant le plus digne des hommages qu’il soit, dans la lignée des plus belles et touchantes bande-originales de l’art cinématographique.

crédit : Ísleifur Elí Vignisson
crédit : Ísleifur Elí Vignisson

« Fantômas » d’Amiina, disponible le 25 novembre 2016 chez Morr Music / Mengi


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante