Le groupe Willow convoque, à travers son premier LP, le rock indépendant des années 90, et notamment celui des mythiques labels Touch and Go et Amphetamine Reptile. Formé au début des années 2010, le trio américain basé à Providence, la capitale de Rhodes Island, assume toujours l’étiquette, pourtant encombrante du « math rock », mais va ainsi chercher un nouveau souffle dans les plus beaux chapitres du rock indé.
Dans les années 90, le terme à la mode était celui de post-rock pour définir ces groupes, qui à travers de longues plages instrumentales s’éloignaient des formats calibrés de l’industrie musicale et des exigences médiatiques. Le post-rock avait très vite été placé, par les journalistes sous l’ombre tutélaire mais quelque peu surfaite du groupe américain Slint et de son emblématique « Spiderland », (pourtant loin d’être uniquement instrumental) sorti doit-on le rappeler en 1991. Le groupe de Louisville n’avait pas venu venir comme beaucoup avant lui, l’impact qu’allait engendrer son disque sur la création à venir (et pour être tout à a fait honnête, surtout l’impact des groupes de l’après-Slint). Des années plus tard, la diffusion massive du terme « math rock » a ajouté une dimension technique quasi-chirurgicale à ce refus du grand barnum rock’n’roll. Au-delà des étiquettes, des groupes majeurs comme Don Caballero, Tortoise ou dernièrement Battles ont imposé des personnalités singulières à travers un refus créatif de la norme et des chapelles, tout en ouvrant de nouvelles perspectives pour la musique un peu partout sur la planète.
Les sept morceaux de « Nocturnal House » s’inscrivent dans le son post-rock et le rock noisy des années 90, tout en gardant cette saveur math rock, parfois difficile à cerner. Dès « Pleasure Pallet », le mur du son s’élève, un chant délicieusement murmuré est enseveli sous un déluge de guitare et de basse. Willow se découvre sous un jour plus sale et bruyant. L’humeur est presque psychédélique. Elle n’est pas sans rappeler les intonations du rock garage australien et certains énergumènes comme Magic Dirt. Le trio providencin ne tombe pourtant pas dans les excès de la déclinaison à la mode du stoner. Le morceau trouve même un second souffle dans un break aéré, qui relance la dynamique. Chez Willow, un morceau n’est pas qu’une idée déclinée à l’infini, un morceau est avant tout une construction.
Très rapidement dans ce disque, Willow évoque un sacré groupe américain, Polvo. Dans les années 90, en toute confidentialité, ce dernier avait inscrit son nom en lettres capitales sur la scène alternative et indépendante américaine. Le parallèle avec l’album « Shapes » sorti en 1997 (sur Touch and Go) et les nouveaux titres de Willow semble pour le moins évident. Polvo et Willow partagent cette capacité à transposer des intentions pop dans un contexte en tensions, en forme de labyrinthe sonore et rythmique, noyé sous la fuzz et la distorsion. Sur le plus apaisé, « Inside », Willow convoque même le fantôme sonique de My Bloody Valentine, qui habitera le disque jusqu’à la fin, comme sur le très shoegaze « Awake ».
« Nocturnal House » s’impose par sa cohérence et ses choix esthétiques, parfaitement assumés. Le groupe conclut son nouvel effort par le très efficace instrumental « Lola » que n’aurait pas détesté, un certain Jay Mascis de Dinosaur Jr, mais qui nous rappelle également que Willow est toujours un groupe technique et incisif (à la différence de certaines légendes des années 90, dont nous tairons par respect, mais aussi par amour, les noms).
Willow apparaît comme un groupe toujours plein de promesse et de potentiel, mais peut être voué à rester cet éternel second couteau du rock indépendant. Le trio séduit néanmoins par la sincérité de sa musique et son absence de concession. En écoutant ce disque parfois presque timide dans ses nouvelles intentions, nous ressentons pourtant toute la passion qui anime le projet, passion qui est l’essence même du rock « garage » et le moteur du rock indépendant. L’histoire officielle du rock est aussi une succession d’accidents artistiques et d’opportunismes, que les plus malins de la bande ont su provoquer et saisir avec intelligence, parfois avec beaucoup de talent, mais aussi avec beaucoup de cynisme et de calcul. Des figures aussi médiatiques que David Bowie ou les musiciens de TV On The Radio en sont les parfaits exemples.
Loin des préoccupations de l’industrie musicale et de la hype, il ne nous reste plus qu’à souhaiter à ces artisans du rock indépendant, cette sortie de route, cet instant magique, qui avait permis à Slint de passer du statut d’outsider à celui de groupe culte, à la seule force d’un disque, qui définit encore aujourd’hui certains contours du rock actuel.
« Nocturnal House» de Willow est disponible depuis le 11 décembre 2015.
Retrouvez Willow sur :
Facebook – Bandcamp – Soundcloud