[LP] Tor Lundvall – A Dark Place

Tor Lundvall est un musicien unique en son genre, développant prolifiquement au cours de la dernière décennie une musique sombre, décharnée et répétitive à base de samples, semblant toujours à mi-chemin entre la bande-son d’un Silent Hill et le minimalisme étouffé de Grouper ; un univers musical singulièrement lugubre qu’il a judicieusement nommé lui-même « ghost ambient ». Avec « A Dark Place », les murmures fantomatiques prennent une apparence plus humaine que jamais, ne faisant plus que toucher l’obscurité du bout des doigts, mais nous y plongeant totalement.

Dès l’accueil délicieusement morose des textures grisantes de « Quiet Room », rapidement rejointes par des percussions nébuleuses qui ne nous quitteront plus de l’album, Tor Lundvall cristallise l’obscurité et l’exprime sous sa forme la plus purifiée, la plus fervente. L’artiste affine son travail caractéristiquement minutieux sur les atmosphères, sa manière de donner à chaque note l’allure d’une bougie s’éteignant brusquement, en les développant comme toiles de fond sur lesquelles le minimalisme oppressant des mélodies forme l’équivalent sonique d’un clair-obscur. « The Moment », le morceau le plus proche de ses travaux précédents, est ainsi dépouillé de toute mélodie de manière à ne laisser que le martèlement successif des samples orageux pour porter l’oraison funeste qu’elle inspire. Les notes sont rares, éparpillées, mais pas dorénavant plus isolées : son goût pour le piano, acquis progressivement au fil des années, donne une force spectrale au rythme somnambule de « Haunted By the Sky », la poignée de notes opaques répétées inlassablement semblant mener une procession de mélodies diurnes apparaissant et disparaissant de manière embrumée du paysage sonore.

Mystérieuse et contemplative, la musique de Tor Lundvall prend un air nouveau en associant cette maîtrise atmosphérique à de nouvelles idées, notamment des percussions et des lignes de basse aussi réduites qu’omniprésentes dans le mix. L’éloquence dark pop de la basse réverbérée de « The Void », danse macabre à elle seule, ou l’accumulation mélodique des deux arpèges syncopés de « The Next World » prouvent cette évolution esthétique radicale, cette prise de force des mélodies qui se recomposent, se répètent et s’imposent. Dans « Negative Moon », l’artiste produit un équilibre époustouflant et insondable entre slowcore et bedroom pop, se rapprochant de la sensibilité mélancolique du « Pygmalion » de Slowdive. En d’autres termes, l’album dégorge d’une beauté palpable, mais subtilement dissimulée derrière un rideau rouge ocre.

Plus qu’un sublime condensé de ténèbres, « A Dark Place » est un album déchirant et introspectif : composé et enregistré la nuit, il émane avant tout des états d’âme nocturnes de Tor Lundvall. La présence de parties vocales est inhabituelle dans sa discographie : non pas utilisées comme les samples, elles prennent le rôle d’une ancre sentimentale, d’une manière de ne plus seulement nous envelopper d’un brouillard froid, mais de nous y accompagner. Dans la chanson éponyme, chaque syllabe proclame un chagrin asphyxié, la nuée de notes flottant autour de la voix paraissant rajoutée à son désespoir ; alors que dans « The Invisible Man » les mots sibyllins se fondent dans le décor désespérément décharné, paraissant accompagner le battement chronique des aiguilles d’une horloge qui ne pourra cesser que lorsque celle-ci se disloquera.

crédit : Tor Lundvall

« A Dark Place » est un chef d’œuvre de retenue, d’obscurité et d’intimité : c’est en toute simplicité que Tor Lundvall prouve encore une fois qu’il est possible de continuer à creuser la musique ambient pour en déterrer de nouvelles sonorités, de nouvelles manières de nous faire attendre contemplativement le soleil apparaissant à l’horizon.

« A Dark Place » de Tor Lundvall est disponible depuis le 23 février 2018 chez DAIS Records.


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général