Shannon Wright – In Film Sound

Un album sorti il y a deux mois est-il un album dépassé ? Est-ce avoir un train de retard de le chroniquer seulement aujourd’hui ? Répondre par l’affirmatif serait donner raison à la masse nauséabonde de musique qui abonde et qui chaque jour balaye celle de la veille. Sortir toujours plus. Oublier et passer au suivant. Alors je réponds « non ». Non, « In Film Sound » sorti en mars dernier n’est pas un disque dépassé. Loin de là. Shannon Wright nous offre là un dixième album, d’une pure merveille qui laisse sa trace dans la longévité. Qui se fait aimer, même après plusieurs semaines d’écoute.

Shannon Wright - In Film Sound

L’album commence là où tout aurait dû finir. Tout aurait pu finir dans le chaos inaugural. Chaos de cymbales. Chaos des guitares furieuses. Le son est dense, compact, jusqu’à en être oppressant. On ne semble pas pouvoir aller jusqu’au bout du chemin, tant la pluie tombe en trombe et les rafales nous giflent le visage. Pas de place au silence.

« Noise Parade ». Défilé de sons lourds qui avance à contre-courant. Contre vent et marrées. Éprouvant. Épuisant. Une voix qui est loin d’être rassurante. Qui plante la lame dans la plaie. Qui se plaît à nous l’enfoncer toujours plus profond. De tout son poids. De toute la terreur qu’elle peut laisser transparaître. Morceau qui se ferme sans aucun signal. Brutal.

crédit : Jac Robert
crédit : Jac Robert

Faisant place à « The Caustic Light ». Ici on semble entendre le timbre d’une voix qui va s’éteindre. La voix du dernier soupir. La voix avant la fin. Même lorsque la musique s’est soulagée de toutes les ténèbres qui pouvaient l’envelopper, Shannon Wright semble encore porter toute la détresse des ruptures, des confrontations, dans ce grain. Et si ce morceau commence tel un apaisement, il n’est ici question que de mirages et de faux semblants. La détresse ne fait que grandir. Ça s’entend dans une guitare qui monte en puissance. Ça s’entend dans cette voix qui semble pousser tellement plus loin.

Là comme dans la plupart des autres titres de l’album, c’est cette voix qui paralyse. Qui nous retient. Shannon Wright semble aller la chercher au fond de son corps.
À la fois tellement éteinte et tellement puissante. Je vous l’accorde, c’est un étrange paradoxe. Mais là est le mystère. Shannon Wright chante comme si son corps n’en pouvait plus d’avoir crié des jours durant. Des pleurs durant. Atténuée, affaiblie, mais forte dans l’émotion.

Là où semble apparaître l’esquisse d’une éclaircie, c’est sur le piano/voix de « Bleed ». Une voix qui se fait moins dure quand elle se répond dans le refrain. Shannon Wright se découvre de toute sa belle brutalité. À fleur de peau, on la découvre sous un nouveau temps, à mi-album. Elle semble prendre le temps de nous donner ce qui peut paraître de plus intime. Tellement introspectif.

Puis les guitares repartent. Même si le son semble, sur « Mire », plus joué. Secousses énervées entre deux stabilités. Tremblements. Parfois, la place est laissée à un jeu plus mélodique. Pas longtemps, certes. Shannon Wright nous fait passer, au rythme de la musique et de sa voix, à des émotions qui nous creusent, nous abiment. Nous réjouissent, nous apaisent.

crédit : Alice Nisbet
crédit : Alice Nisbet

Dans « Captive To Nowhere » elle se fait prisonnière de sa musique. Où les riffs et la batterie se déploient comme une avalanche. Instinct de survie, Shannon Wright tiendra jusqu’à la fin. Nous tiendra, car ici impossible de se détacher de ce chaos si fascinant.

« Manson & Hamlin » clôture l’album. On laisse les guitares et les cymbales. Adieu tristement musical, joué sur les notes pleurantes d’un orgue. Instrument signant si justement la fin.

Brutal, voir frontal, « In Film Sound » n’est pas tendre. Ni facile. Shannon Wright nous sert sa colère. Que dis-je ? Nous envoie sa colère dans les dents. Il est vraisemblable que l’écoute est éprouvante, si on veut y être attentif.
Mais là est une nouvelle sensation, rien n’est purifié, rien n’est intellectualisé, Shannon Wright propose un son, où l’auditeur a encore quelque chose à faire : sentir, résister aux abîmes. Peut-il encore choisir de s’y laisser sombrer…

« In Film Sound » de Shannon Wright est disponible depuis le 18 mars 2013 chez Vicious Circle.

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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes