[Live] Pitchfork Avant-Garde 2016

Après une première tentative réussie l’an dernier, le Pitchfork Music Festival Paris a développé cette année son concept de soirée itinérante dans la capitale. Pour cette édition 2016, l’Avant-Garde a en effet été étendue sur deux jours et dans sept salles, afin de nous préparer au mieux avant le « Main Event » prévu quant à lui au sein de la Grande Halle de la Villette. Récit de notre voyage musical entre Bastille et la Gare de Lyon, du Badaboum au Supersonic en passant par la Mécanique Ondulatoire.

Kaitlyn Aurelia Smith - crédit : Jean-Marc Ferre
Kaitlyn Aurelia Smith – crédit : Jean-Marc Ferre

Mardi 25 octobre 2016

C’est au projet rock un brin branleur Get Inuit qu’a été donnée la charge de lancer les hostilités à la Mécanique Ondulatoire. Mené par son chanteur surexcité, un petit brun à grosse lunette aux airs faussement intello et qu’on s’amuse à situer entre Car Seat Headrest et Rivers Cuomo de Weezer, le groupe britannique délivre une grande décharge garage dès la première chanson. Dans la salle souterraine étroite au plafond en voûte pavée, chaque note de guitares est ainsi démultipliée au point de générer un brouhaha aussi agressif que jouissif pour nos oreilles. Une introduction pleine de fun et de fraîcheur pour ce début de festival où la fosse très clairsemée aux premiers instants a finalement vu le public accourir progressivement pour nous mettre dans le bain d’une ambiance survoltée plus représentative de la salle. Avec ses chansons courtes et efficaces, Get Inuit ne semble pas trop se prendre au sérieux et déclenche de nombreux sourires au cours de ce premier set aussi décalé que fédérateur qui donne le tempo de cinq nuits de concerts.

Autre salle, autre ambiance, Mabel fait, elle, sa première en France au Badaboum, à deux pas de là, pour présenter ses douceurs RnB aux sonorités 90’s. Une influence qu’on ne saurait retirer à la fille de Neneh Cherry, qui dans une tenue rose pompon et au visage juvénile (elle a tout juste 20 ans) sait déjà jouer avec facilité de sa voix sensuelle pour semer en nous l’image d’un futur grand talent en gestation. L’artiste qui a passé sa vie entre Malaga, Stockholm et Londres n’a malheureusement pas pu faire l’étalage de toutes ses productions groovy, son set réduit à une petite demi-heure. Nous avons pu cependant entendre quelques-uns de ses tubes pop tels que « My Boy My Town », ou « Thinking Of you » dont le vibe rétro semble réjouir les nostalgiques de la génération précédente. Il faudra néanmoins attendre son premier long format pour se donner une idée plus complète du projet de la fille du producteur de Massive Attack.

Nous opérons un virage sur la rue de Charonne pour découvrir une salle bien cachée dans la géographie musicale parisienne dans laquelle se produit la Norvégienne Okay Kaya. Il ne faut effectivement pas manquer le petit écriteau du n°77 indiquant « La Loge », au-dessus d’une vieille porte derrière laquelle figure un lieu assez coquet, donnant sur une cour rectangulaire bordée d’étages et de balcons au teint rouge magnifique. Une entrée dérobé sur la droite donne accès à la Loge où nous la découvrons. La grande brune y est seule avec une guitare électrique, pinçant des cordes et caressant de sa voix fragile un petit comité de curieux. Tout le monde s’est assis à même le sol, comme pour mieux supporter cette douce claque, avec une artiste qui se livre à fleur de peau, non sans timidité, devant un public presque figé dans sa respiration. Le concept de concert intimiste n’avait jamais fait autant de sens qu’à cet instant précis, tellement les visages fixés sur la silhouette de l’artiste ont témoigné d’une proximité touchante. Cela a même semblé déstabiliser la première concernée, à en croire son sourire gêné.

Parmi les nouveautés de 2016, Alex Cameron fait partie de ceux qui nous ont laissés incrédules. Chansons sur sa condition de looser, look décalé, déhanchement déjà culte, l’Australien n’a laissé personne au hasard tellement son album « Jumping the Shark » produit des réactions contrastées. Sur le programme du soir, un tel profil annonçait bien le concert qu’il ne fallait pas rater. Et nous avions vu juste tellement il a été laborieux de se glisser dans un Supersonic saturé, au point de devoir faire la queue au dehors pour avoir une chance d’apercevoir le grand chanteur aux cheveux gominés autrement que par la vitre de l’extérieur du bar. Fidèle à ses clips déroutants, Alex Cameron est venu jouer seul avec son micro et son pas de danse, une instrumentation minimaliste en bande-son, ainsi que son inséparable saxophoniste Roy Molloy en réserve pour glisser quelques notes ça et là. Indécis après l’écoute de son album, on s’est largement réconcilié avec le chanteur lors de son concert, le plus long, mais également le plus achevé de cette première nuit. Le public n’y est d’ailleurs pas étranger, décrochant même la palme de l’excitation en cherchant à jouer des coudes pour voir une mèche de cheveux de l’Australien, que ce soit depuis l’étage, sur les marches de l’escalier ou sur la pointe des pieds pour ceux acculés à la porte d’entrée. L’inimitable artiste a ainsi prouvé qu’il a déjà fait son petit trou dans la sphère indé, répondant à son public bouillant par sa chorégraphie délirante et enchaînant les longs discours entre chaque titre.


Mercredi 26 octobre 2016

Pour débuter ce deuxième jour de festivités musicales, le Badaboum était le lieu tout trouvé pour accueillir Skott, jeune inconnue de la scène scandi-pop mais dont les premières compositions annoncent un envol certain dans les sphères mainstream. On découvre ainsi une chanteuse charismatique à la robe rouge sang, qui chante et se meut déjà avec l’assurance d’une grande diva. Sa voix de velours martèle des hymnes dansants avec un grain qui évoque facilement Lana Del Rey. Un premier set parisien qui remue aisément les festivaliers sur des productions électros qui ont transformé la salle en dancefloor assumé. Attention, la pop a peut-être trouvé sa prochaine reine, pour le meilleur et pour le pire. Et ce ne sont pas ses propres pairs qui vont affirmer le contraire, puisque certaines telles que Lorde lui ont déjà donné leur bénédiction.

Dans le même registre nous découvrons également Anna of the North, dont l’électro pop se fait plus froide, au diapason de ses origines norvégiennes. À coup de beats et de synthés rêveurs ou entraînants, elle ne nous passionne pas moins lors de sa prestation dans La Loge. La native d’Oslo a notamment fait raisonner des productions déjà très virales telles que « The Dreamer », « Sway » ou le tout récent « Us », tous séduisants par sa voix perchée et les beats froids l’accompagnant. Pour son deuxième passage à Paris, elle a du aller à l’essentiel avec sa petite demi-heure de set, encore insuffisante pour saisir toute l’ampleur d’un album annoncé comme une prochaine révélation. Anna a cependant promis de revenir dès que possible pour en présenter tous les aspects au cours d’un concert plus complet.

De son côté, la championne 2016 des expérimentations électroniques n’a pas déçu : l’Américaine Kaitlyn Aurelia Smith est venue dans La Loge avec tout son équipement de laboratoire. Un étalage dantesque, au point de ne pas quitter sa table de travail pendant tout le set et de mettre une forme de distance entre elle et les spectateurs, même la complexité technique de sa musique l’explique assez largement. Entre boîte à rythmes, synthés, claviers, ordinateurs, samplers et autres machines étranges garnies de câbles et boutons colorés (on a même repéré un smartphone), la compositrice a eu raison de s’équiper d’un casque à micro pour libérer ses mains censées bidouiller cet inventaire avec une certaine célérité. C’est ainsi que peuvent émerger jusqu’à nos oreilles les sonorités déroutantes d’« Ears », son cinquième disque où s’entremêlent électronique et instruments classiques (flûtes, saxophone, clarinette…). Profonds ou aériens, un panel de sons d’une autre planète qui interpelle nos sens par sa richesse et ses bizarreries. Kaitlyn Aurelia Smith y ajoute par ailleurs des éclats de voix trafiquées au vocodeur pour troubler un peu plus nos perceptions, bien aidée également par un jeu de lumières et d’images psychées projetées dans son dos.

L‘instant rock de cette double soirée Avant-Garde était principalement assuré par le projet Cherry Glazerr. À nouveau, la Mécanique Ondulatoire était la salle la plus adaptée pour ce délire de guitares même s’il a fallu se serrer un peu dans cet espace restreint. Le groupe, lancé par le label indé très garage Burger Records, est venu faire sa première date française maintenant qu’il est signé sur le très sérieux Secretly Canadian (The War On Drugs, Suuns, Antony and the Johnsons). Il n’en reste pas moins furieux sur scène, voir hystérique à l’image de sa chanteuse aux cris rageurs Clementine Creevy ou de son batteur agressant sauvagement les percussions. La formation de Los Angeles a ainsi transmis sa folie garage, entretenue déjà depuis trois ans par deux albums aussi appréciés pour leurs mélodies pop que pour leurs accents punk. Comme Alex Cameron la veille, Cherry Glazerr nous offre la plus belle performance du jour, où les festivaliers ont transformé la moitié de la fosse en pogo interminable à chaque explosion ordonnée par sa leadeuse et guitariste. Les Américains ont ainsi fait durer le plaisir près d’une heure ; une exception dans cette soirée aux concerts raccourcis.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens