[LP] Nursery – Eugenia

La folie communicative de ce disque électrique et agité démontre avec force la transformation qui s’est opérée chez le trio nantais depuis 2014. Comme le suggérait déjà le clip de « Porn Life », pour une très belle exclusivité dans nos colonnes fin 2019, Nursery devient à travers cet album un groupe incontournable du revival post-punk qui s’empare de la France et de l’Europe en général.

Depuis 2014 et un premier album éponyme très prometteur en 2016, ces trois garnements n’ont pas chômé avec plus de 125 concerts survoltés, où ils ont vraisemblablement affiné leur formule dévastatrice, leur permettant certainement de développer ce groove vicieux absolument grisant, à la manière des excellents Girls Against Boys, qui illumine « Eugenia ». Si la singularité du groupe s’explique en partie par la présence au chant et à la batterie de Paul Gressien, elle est aussi due à la grande complicité qui s’exprime entre ses trois musiciens (avec Julien Dumeige à la guitare et Jean Duteil à la basse), réunis par leurs obsessions musicales communes et une certaine idée du rock indépendant, déviante et indisciplinée. Le tracklisting d’ « Eugenia » est marqué par une efficacité redoutable, un dynamisme survitaminé, se caractérisant par une basse impérieuse et implacable, une guitare clinique et assassine, une batterie décomplexée et hargneuse. Ainsi, les compositions des Nantais en appellent surtout à notre rapport physique et cathartique à la musique. Autrement dit, le but à peine dissimulé est de nous faire décrocher le cerveau, pour mieux nous entraîner dans un univers parallèle foncièrement schizophrène. Sur un morceau comme « Where Evil Hides Its Way » par exemple, le rythme impose sa métrique disco sur cette chimère esthétique qui réunirait les Pixies et !!! un soir de pleine lune. Bien sûr, un tel album pourrait fonctionner par flamboyance et marquer le coup sur la longueur.

Sans jamais rompre l’intensité vivace de ce continuum bruitiste et bruyant, les brûlots incendiaires s’enchaînent sans relâche, mais non sans nuances et détours. Premièrement, le mot d’ordre est donné avec l’inaugural et planant « Physical » dont on se demande en permanence quand il va réellement exploser au fur et à mesure de sa montée en tension progressive. La dynamique se poursuit à travers une séance d’aérobic tambour battant pour zombies affamés et extraterrestres désœuvrés sur « Alien for me ». Au cœur de l’album, « Sober Tender » et « Cut » afficheraient en apparence un espace de répit, avec ces faux-airs de Breeders sous psychotropes pour le premier et sa lente litanie new wave pour le second, la résultante étant tout de même une bascule démoniaque dans le chaos d’un noise abrasif comme les aimeny les Anglais de Spectres. Logiquement, « Porn life » s’impose ensuite comme le tube en puissance de ce LP, un peu comme l’a été « Pop » sur le mythique premier album de Sloy, « Plug ». La comparaison avec les Bittérois (désormais actifs en duo au sein de 69) n’est pas anodine. Dans une scène rock indé française en pleine ébullition, Nursery se distingue, comme leurs illustres aînés au milieu des années 90, par sa fraîcheur, son originalité, et l’urgence de sa musique. Sans jamais se renier, ils rivalisent sans problème avec la rage sombre et lancinante des Psychotic Monks (« Empty Heaven »), avec l’élégance naturelle et sensuelle des MNNQS (« Tight »), la candeur bouillonnante des Fabulous Sheep (« Eugenia », « Skyline »). Ainsi, l’espace-temps se fissure à l’écoute de ces 36 minutes d’où l’on ressort lessivé, vidé, le regard illuminé, le sourire idiot, la bave aux lèvres, osant à peine imaginer ce que l’expérience du live pourrait produire sur notre mental, notre raison et nos petit corps boudinés.

Le label Kythibong, décidément toujours aussi pertinent dans sa volonté de montrer un visage différent et exigeant de la scène rock alternative, se rapproche avec cette sortie encore un peu plus de ses modèles américains, et notamment du mythique label de Chicago Touch & Go, dont les trois garnements de Nursery reprennent à leur compte l’esprit percutant et aventureux.

crédit : Stéphane Tasse

« Eugenia» de Nursery, disponible depuis le 31 janvier 2020 chez Kythibong.


Retrouvez Nursery sur :
FacebookBandcamp

Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.