[LP] Nesles – Permafrost

Un disque vraiment pas comme les autres, et de la plus belle des manières ; « Permafrost » de Nesles établit un dialogue d’une maturité et d’une précision rares entre paroles, chant et instruments, cet ensemble cohérent portant les poèmes à la fois crus, idylliques et réalistes d’un artiste aimant rester en équilibre sur le fil, alors que le vide pourrait rapidement l’attirer. Le résultat, œuvre hybride et complète, provoque chez l’auditeur un impact tellement intense qu’il est difficile de s’en remettre, ou d’écouter autre chose pendant de nombreuses heures.

« Permafrost » est une conversation entre plusieurs individus, chacun représenté par son langage le plus sincère et pur : cordes, voix, batterie, guitare, arrangements ; un à un, les intervenants saisisent leur place, s’asseoient autour d’un feu de camp au milieu du froid, et attendent que la conversation démarre. Nesles prend alors la parole, guide et fonctionne en totale harmonie avec ses compagnons de route, les amenant à illustrer ses propos de vagues émotionnelles aussi sèches qu’immédiatement frappantes. Dire que le disque est un choc est encore loin de la réalité qui s’expose devant nous ; une révélation, une révolution, seraient deux mots bien plus révélateurs et proches de la vérité.

L’homme apparaît pourtant fragile sur « Montagnes vallées revisitées », victime de l’éloignement d’une nature qu’il va tenter de reconquérir au fil de l’album. Une épreuve du feu et de la glace où le timbre grave de Nesles se mêle à des accompagnements sonores parfaits et justes, sans être étouffants. « Quand ça me blesse et quand ça saigne, suis-je bien normal ? » La question demeurera constante au fil des onze titres de cette formidable quête aussi personnelle que digne d’une vocation offerte à ceux qui voudraient, à leur tour, franchir les limites du repli sur soi. Appelant l’amour à dépasser ses limites et à effacer les traces de son passé (« Chardons », « Tes sentiers »), revendiquant la terre comme seule source de vie et de vibrations inspirées et sensorielles (« Mes forêts » ou le sublime et inoubliable « Le dur, les cailloux », pur moment de rêve autant qu’inoubliable déclaration sentimentale à laquelle il est difficile de résister). « Dors, Sisyphe » permet au mythe de s’écarter en tant que solution irrémédiable dans un instrumental sensible et caressant, de même que « Permafrost » laisse résonner ses ondes pour couvrir nos blessures et que « Meurt le chagrin » voit apparaître une lueur, faible d’abord, mais encourageante puis réchauffant nos âmes tourmentées par le périple que nous venons de vivre. L’essence de Nesles réside dans toutes ces unions entre l’organique, le poétique et le changement constant des visions que l’on a de ses créations.

« Permafrost » devrait être enseigné, sans fausse flatterie, dans les écoles de composition et d’écriture ; car Nesles apporte une inspiration bienveillante et intérieure à ces couches gelées qui ne demandent qu’à se cristalliser, à ces épaisseurs que l’âme humaine entasse autour de son cerveau pour ne pas ressentir la blessure de l’agression physique et verbale. Dépasser la passivité, laisser exploser la lave créatrice résidant en chacun de nous ; voilà ce qui nous est donné ici, d’une façon exemplaire et admirable. À nous, maintenant, d’entretenir la flamme.

crédit : Matthieu Dufour

« Permafrost » de Nesles est disponible depuis le 29 septembre 2017 chez Microcultures / Differ-Ant.


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Raphaël Duprez

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