[LP] Moddi – Unsongs

Même si formellement, la musicalité de ces chansons soulève peu d’originalité, leur fond n’en reste pas moins honorable. Le Liban, la Chine, Israël, le Mexique et tant d’horizons défilent dans les « Unsongs » de Moddi, un album folk-pop qui défie la censure mondiale tout en prêchant de bon cœur des textes bannis de leur pays, miroirs de faits d’hommes immensément courageux qui se sont battus sans relâche pour l’intérêt de leur peuple. De sorte, parce qu’il peut prétendre être universel, cet album est un véritable contre-pouvoir musical exemplaire, digne et nécessaire, qui sonne comme une évidence dans une société éprise d’injustices et d’absurdités.

Moddi - Unsongs

C’est dans l’air du temps. Nous ouvrons de plus en plus les yeux sur les problèmes d’ailleurs alors que d’autres l’ont fait bien avant nous, pleins d’effroi et de stupeur. C’est une triste réalité, mais devons-nous pour autant culpabiliser ? Nous n’irons pas jusqu’à là, même s’il nous paraît impassable que de tels droits et devoirs, ceux qu’on nous assène depuis que nous mangeons de petits pots, soient encore réfutables. Au fond, nous aimerions les savoir universels, eh bien non. Le tiraillement civil, le déchirement politique, la souveraineté absolue ou encore les dictatures nous paraissent appartenir à un temps désormais révolu. Faire l’autruche est confortable, tant que nous n’en déterrons pas la tête. De ce fait, parce qu’il est toujours bon de le rappeler à nos semblables biens chaussés (et à soi-même par la même occasion), le Norvégien Moddi prend les devants pour incriminer cette absurdité qui régit encore notre monde, et se place en véritable porte-parole d’activistes, poètes, écrivains et vrais hommes de paix qui se sont battus toute leur vie pour instaurer – ou restaurer – un semblable d’équité et d’égalité entre les hommes. Au fil des brûlots de « Unsongs », Moddi affirme la volonté première de son projet : celle de critiquer la censure et d’exposer les censeurs.

Moddi, du haut de sa tignasse blonde, s’insurge en étendard politique. Il met en scène musicalement douze textes qu’il chante sous les champs d’une musicalité épurée, un folk-pop acoustique et minimaliste, comme il nous l’avait tendrement offert sur son chaleureux et mélancolique « Floriography ». Mais comparé à la poésie contemplative de ce dernier, « Unsongs » relève davantage de la poésie engagée. De cette belle idée se concentrent des histoires pour la plupart assez méconnues du grand public. Tout démarre en 2014 lorsque Moddi annule un concert à Tel-Aviv en protestation contre l’occupation israélienne en Palestine. Il écrira par la suite sur son site officiel un message bref, mais plein de sens : « Le silence peut quelquefois être plus fort que la musique ». Après cette annulation, la chanteuse norvégienne Brigitte Grimstad contacta Moddi pour lui parler d’« Eli Geva », une chanson parlant d’un officier israélien qui a refusé de lier ses forces dans le Beyrouth de 1982 alors que la guerre civile fait rage, et deviendra ensuite une icône du mouvement de paix. En cette même année de 2014, Grimstad fut mise en garde pour venir chanter cette chanson en Israël – l’ambassadeur de Norvège lui avait même promis de la rapatrier si ce fut le cas. Ces circonstances attisèrent l’inspiration de Moddi qui décida de faire sa propre version d’« Eli Geva », présente dans « Unsongs ».

Une succession d’autres évènements sont ainsi relatés dans chacune de ces contres-chansons. Pour les plus bouleversantes, tant dans le fond que dans la forme, « June Fourth 1989: From The Shattered Pieces Of A Stone It Begins » met en musique la poème  de l’activiste, poète et prix Nobel de la paix Liu Xiaobo. Ce dernier écrira cette œuvre en commémoration du massacre sur la place de Tian’anmen en Chine, où il est absolument interdit d’écrire ou de parler publiquement de ce terrible évènement dont un grand nombre d’intellectuels, d’étudiants et d’ouvriers chinois ont trouvé la mort sous le feu de l’armée le 4 juin 1989, pour mettre fin aux manifestations qui dénonçaient en partie la corruption exacerbée du régime. L’homme, condamné à onze de prison en 2009, est devenu une figure emblématique de l’opposition chinoise et un symbole pacifiste dans la défense des droits de l’homme.

crédit : Jørgen Nordby
crédit : Jørgen Nordby

Autre exemple avec le troisième morceau de l’album « Punk Prayer » qui est le nom que les Pussy Riot, groupe de punk rock féministe russe, ont donné à leur exhibition jugée profanatoire dans une église orthodoxe. Trois d’entre elles seront condamnées en 2012 à deux ans d’emprisonnement en camp de travail pour vandalisme et incitation à la haine religieuse. Dépouillée de bruit et de scandale, cette touchante chanson de Moddi se rapproche des racines mélodiques de l’Ave Maria de Rachmaninov, dont les paroles n’en restent pas moins subversives.

Dans une tout autre position, « Parrot, Goat And The Rooster » change de défense. Cette chanson est à l’origine une narcocorrido, littéralement traduit par « ballade de la drogue ». Le narcocorrido est genre de musique folk traditionnelle du nord du Mexique. Nées sous l’essor des cartels de la drogue, ces chansons font l’apologie de narcotrafic et tirent généralement un portrait assez flatteur des narcotrafiquants. Une unité de police a même pour mission de traquer la diffusion ou la promotion de ces chansons. Ici, Moddi n’essaye pas de valoriser ces messages, mais plutôt de légitimer la liberté d’expression. C’est un faire-valoir qui symbolise également la censure sous un autre angle.

« Cet album m’a fait prendre conscience que les gens sont fatigués d’entendre de la musique pop sans fond », déclare Moddi. « Pour moi, cet album est une porte sur le monde, à une époque où les murs sont en cours de reconstruction et de nouvelles portes se ferment chaque jour. Ces chansons m’ont fait un peu plus apprécier le monde. Bien que son sujet soit grave, il me remplit d’espoir. Pour moi, au moins, cet album m’a prouvé que la musique est plus forte que le silence. » Tant d’autres histoires oubliées restent à découvrir parmi ces douze travaux – qui ont tout de même été extraites d’une liste de quatre cents évènements – nombre en effet inquiétant et alarmant. De 1830 à aujourd’hui, ces flambeaux musicaux forment une chronologie exemplaire de la censure mondiale, à la douceur du respect immense de son auteur qui dépasse haut la main tous les pseudo projets superficiellement engagés qui jaugent le bas fond commercial. Moddi est un modèle que devraient suivre tous ceux qui osent encore chanter sur l’identité nationale, la santé des ghettos ou encore la misère sociale. Même si ces sujets sont légitimes, il ne sert à rien de les recycler. À bon entendeur !

« Unsongs » de Moddi est disponible depuis le 16 septembre 2016 chez Propeller Recordings.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante