[Live] Minuit avant la Nuit 2019

Pour fêter dignement le lancement de sa 2e édition, le festival amiénois Minuit avant la Nuit s’installe le temps d’une soirée sur les bords de la Somme, à la Lune des Pirates. Salle emblématique du quartier Saint-Leu, la Lune prête sa scène à Foxwarren, groupe mené par le canadien Andy Shauf, et Jaune, projet solo du batteur de Frànçois and the Atlas Mountain, pour l’ouverture d’un Minuit avant la Nuit à la programmation séduisante dont la qualité et l’éclectisme ne se démentiront pas durant tout le week-end. Récit d’un petit festival déjà devenu grand…

Balthazar © David Tabary
Balthazar – crédit : David Tabary

Article écrit par Juliette Poulain et David Tabary

Si l’on connaît Andy Shauf pour ses quelques albums solo, dont le dernier, The Party, est sorti en 2016, nous ne l’avions, en revanche, pas encore croisé avec son nouveau groupe, Foxwarren. Ce soir, il nous présente son premier album éponyme, fraîchement sorti en novembre 2018. De la mélancolie de « To Be », comprenant des faux airs d’Elliott Smith, à des morceaux plus aériens tels que « Fall Into a Dream » ou « Everything Apart », Foxwarren nous ouvre les portes de son univers à mi-chemin entre paysages défilant à travers les vitres d’un train et visions oniriques. Sa musique aux saveurs pop/folk et la voix toujours aussi délicate d’Andy Shauf ont permis au band canadien d’envoûter une salle comble, définitivement prête à rêver avec lui.

Difficile de recréer une telle atmosphère. Le public paraît plus hésitant, ou moins curieux, ou plus fatigué, ou encore ivre (des textes et mélodies de Foxwarren), quant à l’arrivée de Jaune. La couleur est le pseudonyme de Jean Thévenin, plus connu pour être à l’arrière de la scène, assis à la batterie du fameux groupe français Frànçois and the Atlas Mountain. Si le trentenaire n’avait rien sorti depuis trois ans et son premier album, « Procession », il revient la voix pleine de nouvelles chansons. Alliant parfaitement airs pop et batterie à ses textes de variété, Jaune gère tout seul sa scénographie, descend facilement dans le public, captivant de plus en plus l’attention. En effet, que ce soit « En sommeil » ou « La lueur », les titres de son nouvel EP, « La Promesse », sont chaleureusement accueillis, clôturant avec élégance ce before festival.

Au 2e jour du festival, on rejoint le parc Saint Pierre où se trouve le site de Minuit avant la Nuit. L’an passé, charge était revenue à Edgär d’ouvrir le festival sur la grande scène, et le moins qu’on puisse dire c’est que les Amiénois avaient relevé le défi haut la main. Autre artiste de la scène locale, c’est cette fois la jeune rappeuse Roxaane à qui revient cette lourde tâche, dans des conditions similaires, à savoir sous un soleil de plomb.

Loin d’être impressionnée, du moins en apparence, Roxaane nous délivre dès les premières secondes un flow puissant au service d’une poésie toute personnelle, quelque part entre mélancolie, rébellion et ambition. De l’ambition, c’est sûr, cette jeune fille peut en avoir tant on flaire immédiatement une artiste hors du commun.

L’an dernier la petite scène était installée juste à la perpendiculaire de la grande. C’était pratique pour le public qui n’avait qu’un quart de tour à faire pour profiter des concerts sur les deux espaces. Cette année, la petite scène est devenue « scène du couchant » et la grande, « scène du levant ». On se retourne donc pour apercevoir le groupe Weekend Affair au couchant, chanceux de pouvoir jouer à l’ombre.

On croise le duo lillois depuis pas mal de temps dans tous les festivals où l’on va au nord de Paris (Coda, Paradis Artificiels, etc), et on se pose à chaque fois la même question : pourquoi ces deux bosseurs mettent-ils autant de temps à percer ? Avec deux albums très différents au compteur, dont le dernier produit avec Yuksek, le combo a tout pour réussir. De merveilleux textes, eux aussi une forme de douce mélancolie qui se retrouve dans leur musique, et un sens de l’ironie qui donne le sourire.

En tout cas, on aura encore pris notre pied pendant tout leur set, en aura-t-il été de même pour tous ces spectateurs sagement assis dans l’herbe du parc Saint Pierre ?…

Troisième concert de la journée, et on sait déjà que c’est l’apothéose du festival qui se dessine devant nous. Si un jour on nous avait dit que le génialissime Andrew Bird viendrait jouer à Amiens, on aurait doucement rigolé. Et rien que pour avoir rendu cela possible et réel, il faut dire un grand merci à la Lune des Pirates pour avoir monté un tel festival.

Andrew Bird apparaît donc dans un soleil couchant mais encore intense. Et à la seconde où il touche son violon, la magie opère. Une atmosphère apaisante et fascinante s’abat sur le festival, et l’écoute du festivalier se fait religieuse. La beauté simple et limpide d’un Andrew Bird sifflant dans son micro reste un truc qu’il faut vivre une fois dans sa vie. Dans la foule, on croisera plusieurs connaissances qui n’avaient jamais entendu parler d’Andrew Bird avant ce jour (l’homme a une carrière riche de plus de 20 ans, et sort presque un album par an) et qui nous dirons « j’étais venu pour Balthazar mais Andrew Bird c’est une grande découverte ! ».

Plus énervée que jamais, Aloïse Sauvage entre en scène avec une énergie affolante, déterminée à faire gronder le ciel du festival. L’artiste vient de signer son premier EP, « Jimy ». Ancré dans un esprit rap et composé de textes audacieux et forts, il est chanté presque entièrement par la jeune femme, qui parvient nettement à conquérir son public, même les moins habitués au rap. Ses morceaux ont du caractère, de « Jimy » à « Présentement », on traverse « L’orage » avant d’être « À l’horizontal », que la foule reprend en chœur. Si son dynamisme est poignant et même contagieux, c’est bien que Aloïse Sauvage a quelque chose à dire au monde. Il faut la découvrir sur scène, c’est encore mieux !

On avait croisé Balthazar il y a quelques semaines à Lille et on était resté un peu sur notre faim. En résumé, on avait trouvé le concert bien au début et à la fin, et un peu mou au milieu. Avec un set de festival forcément plus court et compact (environ une heure), le concert donné à Minuit avant la Nuit est nettement plus réussi. Avec un dernier album plus groovy, le groupe s’en donne à cœur joie dès les premières secondes pour inviter la foule à lever les bras et à bouger avec lui. Après la transe sur Andrew Bird sur la même scène, le public ne demande qu’à bouger et exulter, et l’alchimie fonctionne pleinement.

On ne s’empêchera pas de penser que la section rythmique de Balthazar est souvent un peu molle, avec un son de batterie très présent mais qui manque de puissance.

Les boys de Boy Azooga viennent de Cardiff et offrent un set, à première vue, combinant rock et pop de manière assez enivrante. Leur premier album, « 1, 2, Kung Fu! » vient de fêter ses un an, et contient quelques délicieux morceaux tels que « Face behind her Cigarette », avec ses notes qui accrochent, ou « Loner Boogie », aux guitares grésillantes très appréciables. Le tout n’est pas sans rappeler une sorte de Thee Oh Sees ou les débuts des Arctic Monkeys, et contient peut-être même une influence latente de Neil Young, comme l’indique le tee-shirt du chanteur. Malgré leur enthousiasme sincèrement présent, les quatre musiciens manquent d’énergie et peinent à installer une relation véritable entre eux et leur public. Si le groupe ne fait pas l’unanimité, ils nous laissent quand même arrière-goût rock’n’roll assez plaisant.

Alors que la nuit est cette fois belle et bien tombée sur le festival (il n’est pourtant pas minuit, les organisateurs nous auraient-ils menti ?…), c’est Odezenne qui déboule sur la grande scène avec ce style si inimitable qu’on leur connaît. Avec n’importe quel autre artiste, on aurait sans doute envie de rire. Mais ces trois-là peuvent manifestement tout se permettre, ça fonctionne ! Il n’y a qu’à voir l’état de liesse de la foule sur la plupart des titres, bras en l’air, sautant sur place à chaque injonction du groupe ; le bonheur est lisible sur les visages plus que la fatigue.

La première journée s’achève au son des claviers électroniques de Marion et Charlotte, aka Oktober Lieber. Les deux femmes revisitent « In Human », l’EP de six titres qu’elles ont sorti en 2018. Jouant elles-mêmes à se fondre dans l’obscurité de la scène, le duo instaure immédiatement une ambiance sombre et aux aspirations industrielles. Leurs titres explorent les recoins lugubres de l’être humain, mélangeant soigneusement les premiers pas de la musique électronique (« The Attacker ») ou des morceaux aux allures plus modernes (« Computer Model », « Freiheit »). Au carrefour entre un electro classique et assimilé, de la cold wave underground et des aspirations de B.O de films d’horreur à la Carpenter, l’atmosphère exaltante d’Oktober Lieber fascine la foule de minuit et referme les portes d’un premier soir accompli.

Au dernier jour du festival, c’est Nouveaux Climats qui ouvre les hostilités. On n’avait pas encore eu l’occasion de croiser les Lillois sur leurs terres, erreur corrigée en Picardie. Difficile de décrire la musique de ces quatre-là. Quelque part entre psychédélisme à la Pink Floyd et bande son de Sergio Morricone, on se laisse en tout cas volontiers planer sur ces « musiques de films » tandis que la fatigue du festival s’adoucit grâce à eux.

Changement radical mais dans la continuité avec Mauvais Œil sur la scène du couchant. On passe de la musique de film à un conte des Mille et Une Nuits. Sarah et Alexis, accompagnés pour l’occasion d’un bassiste, livrent une musique qu’ils qualifient de « bled wave ». Clairement marquée par des influences orientales jusque dans la danse ou certains instrus, les claviers viennent ajouter une bonne dose de psychédélisme à l’ensemble. On a trouvé le groupe moins convaincant dès lors qu’il versait trop d’un côté ou l’autre de ses influences (trop de synthés parfois, trop rai à d’autres moments), mais c’était tout de même une belle découverte.

Le quatuor alsacien Last Train déferle sur le festival. Ces habitués du live semblent particulièrement attendus. En effet, ils sont accueillis sous un tonnerre d’applaudissements, et n’hésitent pas une seconde à transformer la scène en véritable défouloir. De « Fire » à « Golden Songs », les jeunes musiciens déversent toute leur énergie sur leur fidèle public et dévoilent même leur nouveau single, « The Idea of Someone ». Complices et captivants, Last Train restaure avec ardeur le rock’n’roll à l’état pur. Les riffs électriques résonnent jusqu’au dernier morceau. Emplis d’une vitalité singulière et fascinante, les garçons, que nous suivons depuis leurs débuts, sont de plus en plus épatants.

Qu’on ne s’y trompe pas, Structures est peut-être un groupe amiénois, mais il ne devait assurément pas sa présence à Minuit avant la Nuit à son origine géographique contrôlée. C’était pour nous le quatrième concert de ce formidable groupe qui qualifie sa musique de « rough wave » et assure la survie du post punk et de la cold wave façon Joy Division. Quatre concerts, et à chaque fois la claque reçue est un peu plus forte. On n’est pas masochistes mais avouons qu’on a chaque fois aimé ça.

Au Parc Saint Pierre, le quatuor a livré une prestation parfaite de bout en bout, l’énergie était là de la première à la dernière seconde de leur set. Bien en place, complices, il aura fallu environ 3 secondes et demi à Pierre Seguin et sa bande pour déchaîner un public totalement acquis à leur cause. Qu’on ne s’y trompe pas, le vrai acte rock du jour c’était sans nul doute Structures, n’en déplaise aux excellents Last Train.

Alors que vient le moment du concert de Temples sur la grande scène, on se dit que l’on s’apprête à vivre un des gros temps forts de la journée, à l’instar des concerts d’Andrew Bird ou Balthazar la veille. Mais en fait non. Il n’y aura jamais vraiment de magie ou de ferveur dans le set des Anglais. Le groupe exécute de manière très propre, scolaire et aussi un peu lisse les morceaux de ses trois albums.

Pour un groupe de pop-rock psychédélique très référencée années 70, qui nous aura aussi souvent fait pensé à Tame Impala, on aurait imaginé plus de folie sur scène. Dommage. On n’aura pas non plus passé un mauvais moment, les titres étant encore une fois bien exécutés. Mais alors qu’on s’éloigne un peu de la grande scène pour revenir vers l’entrée du festival, on réalise qu’une partie du public arrive seulement, sans doute pour Caballero et Jeanjass.

Entre pop, gimmicks électroniques et textes à l’inspiration rap, Johan Papaconstantino s’impose gentiment sur scène et laisse couler ses mots sur le public. Son premier album « Contre Jour » vient tout juste de paraître, il doit donc séduire ses quelques auditeurs attentionnés. Même si l’ensemble est cohérent, l’ambiance peine à décoller. Johan Papaconstantino a un éventail de sons entre les mains, et le compteur de concerts n’est qu’à ses prémices. L’aventure live l’attend.

Même si la vogue du rap belge n’est pas notre tasse de thé, il faut avouer que l’ambiance (et le décor) du show de Caballero et JeanJass étaient saisissantes. Les deux rappeurs ont sorti pas mal de singles ensemble, et surtout une trilogie intitulée « Double Hélice », dont ils ressortent une bonne partie des morceaux sur scène. Et, ce soir, une foule de très jeunes festivaliers s’enthousiasme dans le climat amical qu’entretient avec eux le duo. Blagueurs et plutôt bons copains, les deux artistes belges surfant sur la vague de rap actuel ont satisfait un public très réceptif.

Et c’est sur cette prestation que s’achèvera pour nous la 2e édition de Minuit avant la Nuit. On quitte le site en laissant les festivaliers s’ambiancer une dernière fois avec Kero Kero Bonito, et avec la conviction que le festival a encore gagné quelques galons cette année. On a déjà hâte de revenir l’année prochaine !


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David Tabary

photographe de concert basé à Lille, rédacteur et blogueur à mes heures