[Création #25] Lissom

La création artistique, c’est aussi l’affaire de gens qui doutent, comme dans les passionnants podcasts de Fanny Ruwet. L’âme poétique, sensible de ceux qui composent une œuvre s’en ressent d’autant plus intensément chez ces derniers. Lissom est de ces aventures au destin singulier ; celui de deux artistes qui, même à distance ; l’un à Bristol, l’autre à Bordeaux, ont ambitionné de rapprocher bien des âmes égarées avec leurs compositions épurées, discrètes, toujours bercées de notes d’espoir et d’une mélancolie seulement passagère. Il n’y a parfois pas de hasard : après un premier album en 2018 qui nous avait procuré un spleen des plus contemplatifs, le falsetto remarquable de l’Anglais Ed Tullett et le jeu expert du pianiste Julien Marchal étaient amenés à se revoir. C’est chose faite depuis fin mai avec l’album « Eclipses », merveille solennelle aux climats tempérés et apaisants dont chaque infime nuance révèle toute la finesse des compositions. Pour indiemusic, Julien Marchal nous fait l’honneur de revenir sur le long processus d’écriture de cette suite, avec un soin toujours particulier pour les détails qui mis bout à bout peuvent changer le cours d’une histoire.

crédit : David Bross

En tant que frenchie du groupe, il était plus facile pour moi de me prêter à cet exercice. En toute honnêteté, avec tous les rebondissements que j’ai pu vivre ces dernières années, j’espère que ma mémoire ne me fera pas défaut dans cet exercice. Allez, comme promis, je me lance pour vous raconter comment l’histoire de ce deuxième album, « Eclipses », a commencé avec mon complice Ed Tullett (alias Lowswimmer).

Petit préambule : Lissom, c’est donc notre duo, Lowswimmer (chanteur, guitariste, producteur, compositeur et membre du groupe Novo Amor – entre autres – qui vit près de Bristol) et moi, Julien Marchal (pianiste, compositeur, producteur et directeur du label Whales Records situé près de Bordeaux).

Quand on a commencé à réfléchir aux grandes orientations de notre second album, c’était au cours des premières semaines du confinement avec l’obligation de rester à la maison. Mais rien de bien problématique pour Ed et moi tant cela faisait déjà partie de notre quotidien depuis plusieurs mois et années. Pour nous, rien n’a foncièrement changé par rapport au premier album dans le processus compositionnel, toujours à distance donc. Ce qui finalement a amené du changement (et du bon), c’est la vie, les écoutes, les productions, les découvertes, les partages auxquels nous sommes tous les deux sensibles. On s’est ainsi retrouvé à composer comme pour le premier album, mais avec des petits trucs en plus.

crédit : David Bross

Bon, puisque vous voulez tout savoir, voici comment on a fonctionné ! D’abord, je lui ai envoyé des boucles de piano afin de voir s’il était inspiré ou non par mes premières tentatives. Quand c’était le cas, j’essayais de développer d’autres parties, mais toujours sous forme de boucles afin qu’il puisse les agencer comme il le souhaitait sur Ableton Live (ndr, logiciel de production musicale) afin de créer la structure, l’ossature du futur morceau. Une fois le brouillon structuré, prêt comme il l’entendait, il m’envoyait le morceau afin que je le valide (ou pas, c’est aussi le jeu). J’enregistrais alors une nouvelle fois les pistes de piano, cette fois-ci, au propre d’un bout à l’autre. Alors seulement Ed rajoutait quelques synthétiseurs et envoyait le tout à Jemima Coulter, David Grubb et David Huntriss, qui y greffaient leurs parties respectives à la trompette, aux cordes et au trombone. Je peux dire aujourd’hui que leur apport marque l’évolution par rapport au précédent album !

Avec Ed, on voulait un album avec plus de couleurs cuivrées et de synthèse sonore, mais agencé de manière que ce ne soit pas non plus ce qui dominerait le reste. Pas question pour nous que le son soit trop « agressif », mais reste toujours aussi doux ; juste un peu plus coloré pour coller aux satins du piano en sourdine.

crédit : David Bross

Ensuite est venu le temps du mastering, qui a bénéficié du travail minutieux du grand Alexandr Vatagin. Un véritable travail d’orfèvrerie avec son écoute attentive et un partage d’expérience vraiment enrichissant. À mon humble avis, on parle trop peu des ingénieurs du son, mais je les considère autant artistes (et essentiels) que les compositeurs et autres musiciens. Sans eux, le son ne serait pas pareil, ne sonnerait pas ainsi sur vos enceintes, dans vos casques, sur les plateformes de streaming, mais pas seulement. Parfois, le mastering vient aussi révéler des impuretés, des voix qui étaient plus ou moins perceptibles, des fréquences oubliées ou certaines trop présentes ; des infimes détails que l’on ne perçoit plus après des heures et des heures de travail sur les mêmes pistes sonores.

Une fois l’album masterisé, le sujet de l’artwork est venu sur la table. Ed m’a alors envoyé une peinture qui était extrêmement proche d’une de mes peintures. Du coup, je lui ai envoyé une photo et il a validé le choix quasi immédiatement.

Aussi, je nous considère comme chanceux, par nos profils respectifs de musiciens ayant déjà beaucoup collaboré avec d’autres artistes et labels, d’avoir été contactés à ce jour par de multiples labels. Il faut dire que les mots de Billie Eilish sur notre premier album dans Vice ainsi que les placements des titres du premier album dans des séries télé avaient dû en exciter plus d’un. À ce moment-là, je dois bien admettre que je ne me voyais vraiment pas un instant sortir ce disque autrement que via mon propre label (Whales Records) ; cela en raison de multiples expériences passées avec des personnes peu scrupuleuses dont je tairais le nom ici mais aussi des propositions inadmissibles qui se révélaient proches du crachat à la figure. Bref.

Un jour pourtant, un certain Johann me contacte de la part du label français naïve. Nous discutons et j’accroche avec son état d’esprit, mais aussi à celui du label. Les discussions s’étirent dans le temps, les contrats sont revérifiés par des avocats et cela prendra finalement près d’un an et demi pour enfin sortir l’album décliné en trois versions (le format classique, une version alternative et une autre totalement instrumentale) chez Naïve, tout en gardant Whales Records pour la production physique des CDs et, peut-être des vinyles plus tard.
Toute l’équipe de naïve, à commencer par Johann et Antoine, m’a fait comprendre qu’il y avait encore des gens honnêtes dans le milieu de l’industrie musicale. Honnêtes et intègres, mais aussi partageant une vraie envie de défendre un projet musical et ça, ça m’a fait particulièrement chaud au cœur, surtout après de nombreux découragements.

Nous voici donc avec ce deuxième album propulsé sur les plateformes grâce à naïve et pressé en CD par mon label maison. Il nous manquait alors la ou les vidéos pour accompagner au mieux cette sortie.
Pour cela, j’ai pensé immédiatement à mon ami Andrei Bulatchik chez Velvet Control à qui j’ai proposé de travailler sur un concept de trois clips différents, mais qui partageraient un point commun. Je lui ai pour cela donné carte blanche en dehors de ces indications. Dès le lendemain, Andrei était tellement enthousiasmé par ma proposition qu’il me donnait déjà une ébauche du premier clip que vous pouvez découvrir ci-dessous.

Je ne sais comment le remercier… Il a tourné le premier clip à Moscou et a dû le monter en Turquie après être parti à cause des évènements que vous connaissez tous. Il faisait le montage dans sa cuisine avec son enfant de 3 ans à côté de lui, essayant de comprendre ce qui se passait entre la Russie et l’Ukraine… Après avoir quitté son pays – sans autre choix possible -, trouvé refuge dans une ville et surtout dans un autre pays qui parle une autre langue avec une nouvelle maison, des problèmes d’Internet pour le transfert des fichiers vidéo qui pèsent souvent des dizaines de gigas, il n’a jamais refusé quoi que ce soit et a sorti le deuxième peu de temps après.

Pour tout dire, Andrei travaille actuellement sur le troisième et dernier clip. Je souhaitais ici le remercier lui et sa famille pour tout ce qu’il a pu accomplir ; pour sa gentillesse, son professionnalisme et ce, même dans des temps extrêmement complexes et difficiles.

J’arrive à la fin et je me rends compte que j’ai finalement peu parlé des chansons. Cependant, il me semblait aussi intéressant pour les lecteurs et lectrices d’avoir une vision globale de ce que vivent les musiciens, compositeurs, ingénieurs, labels et tant d’autres autour de la production d’un disque.  Il ne faut jamais oublier tous ces métiers de l’ombre que sont les ingénieurs, les producteurs, etc. Un duo comme Lissom, c’est toute une équipe et, bien souvent, une dizaine de personnes en copie carbone dans les mails.

J’espère que vous apprécierez le travail que nous avons tous consacré pour vous apporter quelques minutes d’émotions diverses pour vous échapper du quotidien, vous relaxer, danser, travailler, peindre, écrire ou même dormir.

crédit : David Bross

Un grand merci également à indiemusic qui nous suit toujours depuis toutes ces années. À très bientôt avec d’autres projets (j’en ai plein en cours).

« Eclipses » de Lissom est disponible depuis le 20 mai 2022 chez Whales Records et naïve.


Retrouvez Lissom sur :
FacebookTwitterInstagramBandcamp

Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques