[Live] Festival les Femmes s’en Mêlent 2017

À l’occasion de la 20e édition du festival Les Femmes s’en Mêlent, nous avons passé trois nuits de concerts à Paris, entre le Divan du Monde, Madame Arthur et le Trianon, afin de découvrir les dernières sensations de la scène indé féminine. Nous vous proposons une sélection de nos meilleurs moments dans les trois salles avec Hurray For The Riff Raff, Cannery Terror, Lowly ou encore Austra.

Austra – crédit : Cédric Oberlin

« This is a song that say fuck to Donald Trump! » ; Alynda Segarra ne pouvait pas être plus claire avant de commencer un titre à haute teneur politique. La meneuse du projet Hurray For The Riff Raff figure ainsi parmi les artistes plus engagées de la programmation du festival cette année, à l’image de son quatrième disque, « The Navigator », qui offre une vision des États-Unis selon le point de vue des minorités qui ont façonné le pays d’aujourd’hui du fait de l’immigration. Elle interprète, sur la scène du Divan du Monde, ce concept-album qui synthétise influences latines, classic rock et country. New-Yorkaise originaire de Porto Rico, elle évoque ainsi ses racines au travers de l’histoire des laissés-pour-compte, parfois de sa propre famille. Entourée d’un quatuor mixte de musiciens, elle nous présente notamment «Pa’lante», titre empreint d’une profonde révolte et qui invite à « aller de l’avant », selon son auteure. Un peu plus tard, son live band s’esquive un instant pour la laisser interpréter un piano-voix déroutant présenté comme « une autre chanson d’immigrants ». Celle qui était annoncée comme légèrement souffrante avant le show est, de cette façon, parvenue à livrer sans aucune gêne une prestation à la fois pleine de classe et pour le moins militante.

Hurray for the Riff Raff – crédit : Cédric Oberlin

Sur la même scène, on retrouve un peu plus tard un projet encore plus furieux avec Cannery Terror. Clara Cappagli, la voix d’Agar Agar, mène ici une formation punk surexcitée depuis trois ans aux côtés de Roxane Douieb à la guitare. Signé chez le très cool Burger Records, le groupe le plus californien de France, qui évolue entre Paris et Biarritz – comme La Femme -, s’approprie parfaitement les codes du garage ou du surf pour livrer un set impressionnant de folie, mené par une chanteuse dans une transe contagieuse. Elle donne, en effet, une touche chaotique à la performance par sa présence euphorique et hors de contrôle, ainsi que par ses mimiques nerveuses et sauvages. Il s’agit sans doute du genre de rock qui fait le plus de bien à la scène française du moment, à l’image du super single « Cheese », à l’origine des meilleures vibrations de cette première journée de festival. Surtout que le duo s’élargit en live avec un groupe complet et puissant qui donne l’épaisseur supplémentaire pour passer d’un premier EP – au nom très évocateur : « Bipolar Babe s» – déjà emballant par ses mélodies à un concert redoublant d’énergie brute.

Cannery Terror – crédit : Cédric Oberlin

Parmi les belles surprises proposées par le festival, on a surtout noté la prestation de Kumisolo et Victorine, unies dans un duo de rêve baptisé Les Demoiselles s’en Mêlent, pour apporter une touche francophone à cette première journée. Dans l’atmosphère idéale de cabaret créée par Madame Arthur, nous avons assisté à une prestation burlesque, rencontre de deux répertoires entre chanson française et J-Pop dirigée par deux esprits malins et déjantés, qui se complètent par la timidité de la première et le côté plus extravagant de la seconde. Victorine passe ainsi plus de temps à solliciter le public que sur scène, gambadant le long du bar (ou dessus) avec une petite ombrelle. Trois shows successifs sont réalisés entre chaque set prévu, juste à côté, au Divan, en guise d’intermèdes décalés, les deux artistes et leur groupe n’hésitant pas à entraîner les indécis par la main d’une salle à l’autre pour les faire assister au spectacle. Un état d’esprit résumé en ces mots par Victorine : « On est bien entre nous, comme dirait Lara Fabian ! » (ou Chimène Badi).

Les demoiselles s’en mêlent – crédit : Cédric Oberlin

Retour au Divan du Monde le lendemain, où Lowly nous a proposé un deuxième concert parisien étonnant, après un premier passage remarqué au Bus Palladium à l’automne – dans le cadre du MaMA. Figurant parmi les révélations nordiques de cette année avec l’album « Heba », nous n’avons pas été déçus par la version scénique, menée par deux chanteuses qui se partagent la setlist avec leurs voix planantes et sensuelles. Le groupe vient tout droit du Danemark, où il navigue en eaux troubles, avec ses vagues de synthés, ses basses vibrantes et quelques éclats de guitares dans une atmosphère aux contours intrigants et à l’univers changeant. Le son de la formation, signée chez le très cool Bella Union, est en effet à la fois créatif et imprévisible, jouant de nuances claires-obscures entre dream pop froide et accents électroniques ou noisy. Le set est porté par un tube, « Word », sorte de point d’orgue mélodique d’un disque plutôt expérimental. Le tout sert des textes chargés en émotion, et même un soupçon de politique, puisque « Heba » est le nom d’une réfugiée syrienne au Danemark, à laquelle s’est lié le groupe.

Lowly – crédit : Cédric Oberlin

Autre moment de beauté nordique avec Sóley, venue présenter – sur la même scène – en avant-première les nouvelles compositions de l’album « Endless Summer », qui vont la replacer au centre de la carte musicale islandaise. Avec sa voix délicate et juvénile, l’artiste de 30 ans nous entraîne dans un concert plein de grâce, où elle et ses deux musiciens ont tous pris place assis derrière un clavier ou une guitare à la main, afin de lancer une série de ballades en toute simplicité. Elle enchaîne ainsi des prestations qui racontent – d’après elle – pêle-mêle : sa sœur, la lune, le souvenir d’un beau moment ou l’espoir qui domine la mort. Auprès d’elle, son guitariste, en chaussettes rayées rouge et blanc, répond aux échos de sa voix sans que d’autres artifices ne viennent entraver la justesse et la délicatesse de la performance. Une configuration quasi acoustique (baptisée « camping » par l’artiste elle-même) à laquelle elle ne nous a pas forcément habitués par le passé, mais au résultat plus que séduisant.

Sóley – crédit : Cédric Oberlin

L’instant le plus intime et sublime du festival est à attribuer au set d’Itasca, avec son folk acoustique des grands espaces porté par une voix hantée et profonde. De son vrai nom Kayla Cohen, elle fait chanter sa guitare douze cordes avec élégance et virtuosité. « Open To Chance », superbe album sorti en septembre dernier, est ainsi interprété avec une force brute déroutante et d’une beauté délicate et fascinante. Tous les arrangements du disque ne sont pourtant pas présents, puisque ne figure, assis à ses côtés, qu’un seul musicien qui anime un lap steel pour donner une touche plus « roots » avec des teintes country. À travers sa voix claire et mélancolique, Itasca suit ainsi les traces d’un Riley Walker – les deux s’étaient même retrouvés lors d’une tournée européenne l’an dernier – pour remettre les textes au centre d’un folk érudit et absolument bouleversant. Le petit cabaret Madame Arthur, habituellement agité et bruyant autour de son bar – et à peine remis des facéties de Kumisolo et Victorine l’avant-veille -, s’est alors comme suspendu à ce moment d’émotions sauvages et d’une intensité glaçante.

Itasca – crédit : Cédric Oberlin

Notre petit coup de cœur de cette édition est Pixx, alias Hannah Rodgers, une Londonienne de 21 ans passée par l’école BRIT School. Programmée au Trianon le dernier jour, la blonde rebelle aux cheveux courts, à la fois hantée et électrique, va peut-être créer la surprise en juin avec un premier long format prévu chez 4AD ; en tout cas, si elle reste fidèle à cette prestation. Une nouvelle tête prometteuse pour le label qui n’est pas sans rappeler ses vedettes, Cocteau Twins ou Blonde Redhead, voire Grimes pour l’esthétique un peu New Age. Adepte de maquillage à paillettes fluo autour des yeux pour elle et son groupe, Pixx use ainsi d’une voix chaude un brin hypnotique et d’une pop créative qui pourrait se faire une belle place cet été. Très expressive, la jeune femme a mené sa performance avec une certaine élégance scénique et les attraits d’une future diva, si bien qu’on espère la retrouver très vite à Paris.

Pixx – crédit : Cédric Oberlin

Cela semblait une éternité depuis le dernier passage d’Austra à Paris. Les Canadiens, dirigés par Katie Stelmanis, ont entretemps bien changé avec leur troisième album, « Future Politics », sorti cette année. Même s’il garde une partie de son esthétique de joyeux « freak », le groupe de Toronto a perdu ses deux choristes hantées – désormais en solo sous le nom de Tasseomancy – et s’est un peu (trop) calmé, à l’image de sa chanteuse piégée sous sa longue toge de prêtresse pop avec laquelle elle peine à bien se déplacer sur scène et se laisser emporter dans sa folie habituelle. Un nouveau contexte proposé au Trianon en clôture du festival et qui nous a légèrement déçu, tant semble lointain le temps du puissant et expérimental « Feel It Break » ou des tubes synthpop d’« Olympia », quand la formation se laissait aller à des performances électriques et détonantes, entre darkwave et pop baroque débridée.

Austra – crédit : Cédric Oberlin

Mais il serait néanmoins injuste de rejeter tous les morceaux d’une setlist généreusement constituée comme un best of, en débutant avec les quelques bons morceaux du dernier disque, tel que la chanson titre, « We Are Alive » en guise d’intro, ou encore « Utopia ». Et tout cela avant une belle montée en puissance grâce à l’enchaînement de l’épileptique « Beat And The Pulse », du lourdement remixé « The Villain » ou des quasi disco « Painful Like » et « Home » qui ont permis au public, ainsi qu’à la formation, de se lâcher un peu plus. Un concert assez inégal donc, mais avec quelques temps forts qui rappellent paradoxalement que c’était quand même mieux avant.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens