[LP] It’s Sunday – Tissue Issues

Le duo franco-américain It’s Sunday dépasse ses propres limites pour laisser son rock minimaliste rendre un hommage touchant et naïf à la scène alternative des années 90. Celle-là même que nous symbolisons par des albums aussi imposants que « Surfer Rosa », « Souvlaki », « Siamese Dream », des ingénieurs du son aussi marquants qu’Albini et Endino et bien sûr le mythe Nirvana.

Chaque morceau de « Tissue Issues » repose sur un équilibre très fragile et souvent bancal, que nous pourrions englobons sous le terme générique de « lo-fi ». Une fraîcheur évidente traverse ainsi ce disque foncièrement indépendant dans le fond comme dans la forme. Le résultat n’est jamais assuré d’avance, il frise parfois l’insipide ou la parodie. Mais Lucas Lecacheur et Dawnie Perry font preuve d’une foi inébranlable, qui touche autant qu’elle fascine. L’histoire du rock est un éternel recommencement, en tout cas son pan le plus passionné. En somme une histoire de fans qui choisissent sans complexe de se mettre à la place de leurs idoles (et parfois de symboliquement tuer le « père ») pour ressentir ce sentiment grisant de réinventer le monde en deux accords de guitares et en un refrain imparable. Loin des réflexes de la grande industrie, des artistes comme It’s Sunday redonnent du sens à cette rébellion adolescente, branleuse et désintéressée que devrait toujours être le rock’n’roll.

Dans le détail, nos hôtes sont capables de bien des exploits (au sens alternatif du terme) : ils naviguent entre plusieurs humeurs (shoegaze, grunge, slacker, noisy, garage…) sans jamais perdre un évident fil conducteur sonore. Ils se réapproprient par exemple sans faillir, le tube « Pray for the Sunshine » du très confidentiel duo australien Mylee Grace & Ozzy Wrong (sorti sur leur album unique en 2013), dans une version qui aurait pu être l’œuvre d’un autre groupe australien, mais réellement culte pour le coup, Noise Addict, drivé à l’époque par le génial Ben Lee. Ils tentent (et réussissent) un rapprochement fantasmé entre Pavement et les Breeders sur le titre éponyme, invoquent le romantisme des premiers Smashing Pumpkins (« Permanent Vacation »), mais rappellent que Rivers Cuomo reste un songwriter d’exception tant il n’est pas facile d’atteindre l’excellence de ses plus grands titres, même avec beaucoup d’applications et d’envie (« Daisy Depression »). Et c’est d’ailleurs quand It’s Sunday noie ses instantanés pop dans la distorsion et dans un amoncellement de couches sonores, que le groupe parvient le plus à nous faire partir vers de nouveaux ailleurs, notamment sur la fin du disque avec « Go and Die » et « Hair ». Nous profitons de l’occasion pour remercier Slowdive d’inspirer encore après tant d’années, la jeunesse sonique d’aujourd’hui ! Si le tandem guitare/batterie reste toujours propice à une vraie forme de liberté, il s’élève ici, assurément au-dessus de la masse quand les chants de la batteuse Dawnie et du guitariste Lucas fusionnent dans un élan complice et harmonique. Reste le contrepied malin de « Comme un Fool », que nous pourrions prendre comme une opération de séduction, et qui pourtant aère le tracklisting en créant une réelle mini-surprise. Le spleen, si cher aux années 90, peut aussi s’exprimer dans la langue de Molière, sans tomber dans la niaiserie, surtout quand le tout est recouvert par un tel déluge bruitiste.

crédit : écoute chérie

Une nouvelle fois, à travers une sortie extrêmement bien sentie et accompagnée, Howlin’ Banana Records confirme l’esprit passionné et intègre qui anime fièrement sa raison d’être de label indé (en collaborant en plus de manière étroite avec un autre label indé, Cry Baby !). « Tissue Issues » aurait ainsi très bien pu sortir sur des labels aussi inspirants que K Records ou encore Merge, modèles du genre pour tout un tas de musiciens « indie » de par le monde. Des labels dont la principale vertu a peut-être été de démontrer qu’il était important et vital pour nos oreilles gourmandes de pouvoir écouter des disques aussi imparfaits et jouissifs que ce dernier.

« Tissue Issues » de It’s Sunday est disponible depuis le 14 juin 2019 chez Howlin’ Banana Records et Cry Baby.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.