[Live] Heartbeats Festival 2015

Nous sommes en 2015. La France se résigne peu à peu à voir des centaines de festivals disparaître de la carte faute de financements ou de public. Toute la France ? Non. Un groupe d’irréductibles optimistes et amoureux de bonne musique ont lancé le pari de monter un nouveau rassemblement. Et comme si l’entreprise n’était pas déjà  assez folle en soi, ils ont décidé de s’unir à de non moins irréductibles Belges pour créer le premier festival transfrontalier, sans doute animés par l’idée que l’union fait la force, à moins que ce ne soit par celle que plus on est de fous plus on rit, voire un peu des deux.

Heartbeats © David Tabary

Vendredi 5 juin

Mais l’initiative de ces intrépides n’était visiblement pas du goût de Jupiter, dieu du tonnerre et de la foudre qui abat ce 5 juin sa colère sur le Nord de la France, placé en vigilance orange pour des risques d’orages et de vents violents. Même pas peur ! À peine retardé de trente minutes, le temps de laisser passer la tempête (qui reviendra sous forme d’averses orageuses toute la soirée), le Heartbeats finit par ouvrir ses portes. Pour y accéder, une bande de quelques mètres de large a été couchée dans un champ de blé. On chemine et découvre finalement un chapiteau (emprunté visiblement au Dour Festival) posé dans un cadre verdoyant tout au bord de la Lys, rivière qui marque à cet endroit la frontière franco-belge. Un petit pont de bois permet d’enjamber la rivière et, de l’autre côté, nous voilà à Menin, en Belgique. À droite du chapiteau, des lettres de bois ont été dressées pour former le mot HEARTBEATS et des palettes ont été agencées pour former des bancs, des tables et des transats. Des stands de frites bio ou de burgers veggie ont été dressés à proximité. Ne manque plus que le public !

Heartbeats © David Tabary

Malheureusement, entre l’orage et les embouteillages de fin de semaine, ce sont les jumelles d’Ibeyi qui vont faire les frais de ce début un peu chaotique, démarrant leur concert devant à peine quelques dizaines de personnes. Pas vraiment perturbées par la situation, du moins en apparence, les sœurs Diaz mettent en place leur show subtil et nuancé. Tel celui des sirènes, leur chant attire inexorablement à elles tous les visiteurs qui arrivent à proximité du chapiteau du Heartbeats Festival. Aussi, après des titres comme « Mama Says », « River » ou « Weatherman », c’est une foule déjà plus compacte qui se tient devant la scène.

L’enchaînement avec le groupe britannique Years & Years est assez déstabilisant. Beaucoup de jeunes filles se mettent à hurler à l’apparition du chanteur Olly Alexander et au moindre de ses étranges déhanchés. On s’attend à tout moment à entendre crier « Il est trop beau ! » et on se demande si on n’a pas été projeté dans le passé, à l’époque du boys band East 17.

Galerie du vendredi 5 juin

La mauvaise impression est vite balayée par l’arrivée sur scène de Magnus, aka Tom Barman et CJ Bolland. Barman qui est venu faire quelques échauffements avant son passage avec dEUS le lendemain sur la même scène. Mais qu’on se le dise, l’homme est toujours branché sur 100.000 volts et n’a pas prévu de jouer à l’économie. Il lui faut moins de trente secondes pour sauter sur les énormes caissons de basses qui forment des promontoires devant la scène. Barman bondit comme un cabri, harangue la foule et forme un duo de guitares folles avec Tim Vanhamel, le Belge à tout faire (membre des excellents Millionaire, Evil Superstars ou encore renfort live des Eagles of Death Metal) venu booster les lives de Magnus et qui joue avec une jambe dans une attelle. On en oublierait presque le très discret CJ Bolland, caché sur une estrade en arrière scène.

On pense avoir déjà pris la claque de la soirée. Et ce n’est pas l’excellente prestation, bien qu’un peu proprette, de Metronomy qui viendra contredire cela. En jouant dès les trois premiers morceaux « Love Letters », le groupe de Joseph Mount annonce la couleur et va enchaîner tous ses tubes. C’est propre, clair, dansant et festif, mais ça manque tout de même d’un petit quelque chose.

Sans doute du même petit quelque chose que démontrera ensuite Caribou. Daniel Snaith et ses musiciens de scène, en formation serrée, en carré au centre de la scène, mettront moins d’un morceau à totalement captiver et fasciner le public. Dès lors, Caribou n’aura plus qu’à dérouler des compositions tout simplement parfaites, bien plus grandes que sur disque, pour submerger le public du Heartbeats et permettre ainsi à Magnus de rafler le titre de meilleure prestation de ce premier jour de festival.


Samedi 6 juin

Le lendemain, on prend les mêmes et on recommence, ou presque. L’orage a laissé place à un franc soleil et on entend parler flamand bien plus que français. Les Belges se sont visiblement déplacés en masse pour voir dEUS. On croise beaucoup de familles avec des enfants de moins de dix ans. L’ambiance est vraiment agréable et bon enfant.

Comme la veille, la même punition qu’à Ibeyi est infligée au locaux de Rocky. Les Lillois entrent en scène avec plus de photographes dans le pit que de spectateurs derrière la crash barrière. Un peu tendus, peut-être déçus par la situation, le groupe a du mal à vraiment se lâcher. Cela viendra au fil du concert et notamment avec un problème de synchro favorisant les échanges avec le public et les parents de l’un des membres du groupe.

On change d’ambiance avec les Anglais d’Hælos. Le groupe égraine des compositions longues et lentes. Trop pour cette fin d’après-midi ensoleillée. Les bancs sont pris d’assaut, les bières aussi. Dommage pour eux, qui méritaient sans doute mieux dans un autre contexte.

On change une nouvelle fois radicalement de style avec les Badbadnotgood et leur musique qui refuse de choisir entre jazz et hip-hop. Là encore, le contexte « festival » n’est peut-être pas le meilleur pour découvrir la musique de ce groupe hors normes. En même temps, cela permet de porter à notre connaissance l’existence de ce genre de musique assez conceptuel. Déconcertant mais pas totalement désagréable. Allez, vous reprendrez bien une bière au soleil ?…

Galerie du samedi 6 juin

Les choses prennent une tournure tout à coup beaucoup plus sérieuse avec l’arrivée sur scène d’Anna Calvi. Avec son immense bouche cerclée de rouge à lèvres écarlate et ses grand yeux bleus, Anna Calvi a des faux airs de vampire. Elle impressionne et intimide. Mais c’est encore quand elle torture ses guitares qu’elle est la plus impressionnante. Quitte à être intimidé, on comprendra vite par le manque d’échanges entre l’Anglaise et son public que la timidité est peut-être aussi sur scène. En tous les cas, le premier gros concert de cette journée du Heartbeats Festival vient d’avoir lieu.

Alors que la foule se fait compacte sous le chapiteau du Heartbeats Festival, c’est le moment de LA prise de risque des organisateurs du festival : caler un concert de José Gonzalez entre les monstres rock que sont Anna Calvi et dEUS. Depuis la veille, on en a entendu quelques-uns critiquer ce choix de programmation : « José Gonzalez, c’est génial, mais ça s’écoute dans une petite salle, pas en festival », « les gens vont s’endormir », aura-t-on pu entendre. Et pourtant. Et pourtant, il ne faudra pas plus de deux morceaux au Suédois pour pratiquer une séance d’hypnose généralisée sur plusieurs milliers de festivaliers. Juché sur une estrade plutôt qu’assis sur un tabouret (comme souvent), entouré de ses musiciens dont deux savants fous des percussions, Gonzalez prêche la bonne musique. Voyageant au travers de ses trois albums, il enchante un public qui ne quittera jamais le chapiteau, conscient du privilège qu’il a de partager ce moment de poésie, avec en point d’orgue la reprise de « Teardrop » de Massive Attack ou son premier titre intitulé… « Heartbeats ».

Rafraîchi et apaisé par José Gonzalez, le public est désormais prêt à en découdre pour le clou du festival : la montée sur scène des Belges de dEUS ! Apparemment, Tom Barman s’est bien remis de sa soirée de la veille. Démarrant assez tranquillement sur le titre « Via », l’homme et ses acolytes deviennent complètement fous dès le deuxième morceau et une version survitaminée de « The Architect », parfaite pour faire danser et bondir le public du Heartbeats Festival. Après « Constant Now », Barman invite l’audience à célébrer avec dEUS leurs 21 ans de carrière. Durant tout le concert, le groupe s’emploiera donc à traverser ses différents albums avec une sélection de ses meilleurs titres : « Hotellounge », « Suds & Soda », « Fell Off The Floor Man », « Instant Street », « Little Arithmetics », « Bad Timing » ou encore l’excellent titre en français « Quatre Mains » seront notamment au programme.

Je dois avouer que j’ai probablement vu dEUS en concert une bonne dizaine de fois. Mais c’était mon premier concert de dEUS devant un public en très grande majorité belge. Et ça change tout. La ferveur des festivaliers était incroyable. Je garderai longtemps en mémoire ce petit groupe de personnes d’un certain âge, peut-être soixantenaires, assurément cinquantenaires, se mettant à danser ensemble sur les titres plus calmes et poétiques comme « Nothing Really Ends » ou « Litlle Arithmetics ». L’un d’entre eux venant me voir et me parlant en flamand, avant de réaliser que je ne le comprenais pas, se mit à me faire des gestes comme pour m’inviter à confirmer d’un regard ou d’un hochement de tête que ce qu’on voyait était grandiose. L’homme répétera son manège à peu près tous les deux titres. Et je confirmerai aussi souvent.

On aurait presque pu en rester là pour ce Heartbeats Festival. C’était sans compter sur l’Irlandaise Róisín Murphy (ex-Moloko) et son show totalement fou, fait de changements de costumes à n’en plus finir, d’écrans géants en fond de scène ou de têtes de mannequins fixés ici ou là en guise d’instruments. Un grand amusement pour les yeux, peut-être plus que pour les oreilles, et une manière très fun de refermer la page de cette première édition.

Et voilà, c’est déjà fini. À n’en pas douter, ce Heartbeats Festival aura réussi le pari de faire battre nos cœurs plus fort, plus intensément, pendant deux jours. On en redemande déjà. Et on espère très fort retrouver le festival pour une seconde session l’année prochaine !


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David Tabary

photographe de concert basé à Lille, rédacteur et blogueur à mes heures