[LP] Geysir – Malsamaj

Disque surprenant tant par ses partis-pris sonores électroniques minimalistes que par le schéma de progression de son tracklisting, « Malsamaj » révèle une association particulièrement réussie entre deux anciens complices du groupe indé Nestor is Bianca. En effet, en duo, Marie-Céline Leguy et Lionel Laquerrière (dont la polyvalence instrumentale a notamment accompagné Mesparrow, Yann Tiersen, Rubin Steiner…) délimitent depuis 2012 avec beaucoup d’inspiration les frontières d’un étrange territoire musical tout en clair-obscur, à la croisée des chemins du post-rock, du post-punk, de la new-wave, des musiques de films, de la musique électronique des grands compositeurs des années 70 et dans une moindre mesure de la culture club.

À l’heure d’une certaine uniformisation sonore de la musique sous l’impulsion imposante du numérique, les deux complices de Geysir rejoignent par leur démarche, un contingent hétérogène de créateurs actuels affichant une vraie résistance esthétique et sonore à l’image de Zombie Zombie et forcément d’Étienne Jaumet, de Sébastien Tellier, The Emperor Machine, Subway, Odezenne pour ne citer qu’eux. Qui plus est, à l’image de morceaux comme le très krautrock et sublime « Tero » ou encore de « Melted », lorgnant du côté de Motorama avec sa basse répétitive et sa guitare réverbérée, s’insinuent ici et là de subtiles références stylistiques (The Cure ?), qui démontrent l’étendue du corpus d’influences de Geysir. Difficile de ne pas penser à la bande originale mythique de « The Virgin Suicides » du duo Air sur les envolées romantiques de « Vague », ou à celle de Mogwai pour le travail autour du film « Atomic » sur le titre éponyme. Le pouvoir d’abstraction des morceaux est propice à tous les scénarios intérieurs, même sur l’intrigant « Heat Me », débutant comme une étrange chanson électro-pop pour se finir dans un développement extatique absolument grisant. Si la lumière jaillit régulièrement de ces très beaux paysages oniriques créant d’intenses mouvements ascensionnels, indéniablement l’énergie vient du sol, des profondeurs, des entrailles.

À ce jeu-là, d’ailleurs « Melted » « Heat Me », « Tero » pourraient jouer à des jeux de questions-réponses rythmiques avec les versions instrumentales des titres les plus massifs de « Heligoland » de Massive Attack. Un sentiment amplifié par une vraisemblable concordance matérielle, sans doute. Notre argumentaire ne suggère absolument pas que Geysir verse dans le piège de l’exercice de style, tant la globalité « Malsamaj » captive par sa cohérence, son unité. Le propos artistique est tout simplement juste et abouti, sans être d’ailleurs grandiloquent et, à l’inverse, faisant preuve d’une humilité touchante, dans cette utilisation avertie et centrale des claviers et des synthétiseurs.

Pour conclure de manière simple, ce LP est assurément l’une des plus belles surprises de cette année, de celles que nous n’avons pas vues venir, malgré de très bons informateurs dissimulés aux quatre coins de la France. Geysir prouve de manière profonde et par l’exemple, que la richesse de la création artisanale et indépendante, hexagonale est toujours aussi vivace et inspirée, en dépit des bouleversements structurels que connaît à l’échelle macro l’industrie musicale. Le caractère intemporel et l’affirmation artistique de « Malsamaj » inscrivent directement cette œuvre dans une temporalité longue au lieu de la diriger vers la masse des simples objets de consommation à la durée de vie extrêmement réduite qui envahissent nos écoutes. À bon entendeur, salut !

crédit : Mat Jacob

« Malsamaj » de Geysir est disponible depuis le 15 novembre 2019 chez Figures Libres Records et Konsato Music.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.