[Interview] Dominique Dalcan

Discussion avec Dominique Dalcan qui, au demeurant discret, enchaîne des projets aussi variés qu’inspirés. À contre ou avant courant.

Dominique Dalcan © Fred Lombard

  • Bonjour Dominique, on lit beaucoup « Dominique Dalcan le revenant ». On a quant à nous l’impression que vous avez toujours été là… Peut-être que cela vous énerve ?

Non, ça ne m’énerve pas, c’est sans doute parce que j’ai arrêté de produire. Il y a un trou discographique, mais en même temps on peut prendre son temps à faire ou découvrir de nouvelles choses. C’est aussi la vie qui nourrit les chansons.

  • On a même le sentiment que vous êtes plutôt dans l’hyper productivité, la machine Dalcan ne s’arrête pas souvent, avec de nombreux projets, très variés…

Les gens qui disent cela n’ont peut-être pas tous les éléments en main pour se rendre compte qu’il y a toutes ces activités diverses. C’est la cause aussi de mes quelques pépins de santé en 2006, je sois suis peut-être passé d’un certain état à l’autre… mais moi, je ne m’arrête pas à ça.
Ce qui compte, c’est de faire ses projets et d’être en phase avec soi-même. J’ai commencé à écrire mon dernier album « Hirundo » en 2009, je l’ai fini en 2012 ; ce qui est quand même le temps tout à fait normal pour créer un disque et c’est toujours à peu près le temps que j’ai mis pour les faire (parfois seulement deux ans avec « Snooze »).

Mais évidemment, médiatiquement parlant, il y a toujours un décalage. On arrive, on apparaît avec un nouveau disque donc on fait des concerts, de la promo, et puis soit on est en perpétuelle écriture et on peut donc alimenter cette machine tous les 18 mois, ou alors on passe par une phase d’arrêt. Et là, on a une sorte de ventre mou où les gens se disent « mais où est-il ? » et « que fait-il ?»…

En ce qui me concerne, mon quotidien est en effet toujours actif.

Dominique Dalcan - Hirundo

  • Vous avez consacré trois ans à la réalisation d’ « Hirundo » mais vous n’étiez pas en autisme sur ce seul projet. Il y a eu diverses collaborations, des contes musicaux, de l’écriture pour d’autres…

J’imagine que c’est la face visible de l’iceberg qui compte, ce qui n’est pas vraiment un souci d’ailleurs.

  • Dans cette grosse mécanique Dalcan, qui comprend de l’électro, du jazz, du nu, de la chanson française et anglaise, du conte pour enfants, de la musique de film, de la synchro, quel est au final le pignon central ?

C’est déjà l’expression, qui s’avère être polymorphe. J’ai une appétence, un désir pour l’expression sous toutes ses formes. J’ai toujours été éclectique dans mes goûts musicaux. Et j’ai toujours été intéressé par la musique en tant que véritable passion. Si je devais repartir de zéro, il y a de multiples propositions et ce n’est peut-être pas elle qui viendrait à moi aujourd’hui. À l’époque où ça m’est tombé dessus, c’était très fort, très prenant, il y a avait une synergie, des mouvements musicaux en rapport avec des mouvements politiques, il y avait une sorte d’appel et c’était ce qui était intéressant.

Aujourd’hui, il y a quelque chose de beaucoup plus vaste, en relation avec internet notamment. Avec un accès insensé à tout. Maintenant, la question, c’est plutôt comment canaliser son énergie sur quelque chose de très chronophage. Si je veux par exemple apprendre la calligraphie, on peut se donner rendez-vous dans deux mois. Avec les tutoriels disponibles, j’aurai l’impression de savoir en faire, or ce qui manque fondamentalement à tout cela pour revenir à la question, c’est qu’on ne connaitra cela qu’après des années de pratique et donc de connaissance de soi-même. À un moment, on sera capable de faire le geste qui accompagne la pensée. Ça sera donc un geste uni avec une pensée in situ et qui donc donnera une vraie représentation de ce que l’on est au moment où l’on fait les choses.

C’est pareil pour moi, pour la musique et cela ramène même à la première question qui est : qu’est-ce qu’on fait pendant tout ce temps. Ce côté polymorphe, c’est en fait un apprentissage… Hier soir, lorsque j’étais sur scène, j’étais vraiment là pour chanter ces chansons, avec l’intensité que je voulais leur donner. Pour arriver à cela, je me suis peut-être vachement éparpillé avant. J’avais envie du pluriel.

  • Justement, est-ce que votre pluriel pourrait être aussi dans le graphisme comme vous en parliez, dans le design…

J’ai fait des collaborations avec Matali Crasset, une designer française, pour Ikea. Mais je suis plus intéressé par l’image, par faire des films. Je pensais d’ailleurs que j’allais faire cela dans la vie, comme mon père. J’étais donc plutôt dans une culture de l’image et non dans celle du son. Ceci me ramène au pignon central qui est de projeter des images au travers de la musique. J’essaye que la mienne soit évocatrice. J’ai l’impression que cela transparaît, qu’il y a facilement des images qui arrivent sur la mienne… en tout cas dans mon esprit (rires).

  • Il y a une notion d’instant dans la musique que vous faîtes, chaque production est inscrite dans un moment…

Il y a un rapport avec une peinture ou une photographie en effet. Cela nous permet de répertorier les choses…

Dominique Dalcan © Fred Lombard

  • Avec une volonté de laisser une empreinte ?

Non, du tout, il n’y a pas cette volonté chez moi. Je pense plus au rapport entre une œuvre d’art, son commerce, sa pérennité… et sa duplication. On entre dans un autre champ de conversation, mais les gens qui font l’histoire de l’art pour le coup – par exemple Pissarro, Le Greco ou Dürer -, ce sont des artistes qui, avec la duplication, étaient énormément tournés vers l’argent et l’entreprise.
Leurs œuvres ont aujourd’hui pris beaucoup de valeur, et maintenant on va justement vers des œuvres uniques pour qu’elles acquièrent de la valeur comme ce que fait Wu Tang Clan avec son album en un seul exemplaire. J’ai vu que certains de mes disques sur eBay coutaient super cher, notamment un remix sorti chez Warp Records ; est-ce donc la rareté qui ferait la valeur ? Pour Le Titien, est-ce que ce qui compte, c’est la manière dont il va faire la toile en elle-même ou est-ce son trait ? On sait qu’il ne faisait qu’une partie de ses tableaux et qu’il avait monté un atelier avec des petites mains qui faisaient de la duplication. Certains étaient spécialisés dans certains décors qu’on retrouve dans plusieurs toiles. Il produisait ainsi davantage de tableaux comme on pourrait aujourd’hui sortir plus de disques, tous les ans… Est-ce que je dois monter un groupe ? Je me suis souvent posé la question, si j’avais commencé dans une formation, ça aurait été génial, peut-être plus facile… mais j’ai pas rencontré les bonnes personnes à ce moment-là, qui avait les mêmes préoccupations que moi.

  • Vous qui êtes un des précurseurs de l’électro française, qu’est-ce qu’un Snooze penserait aujourd’hui d’un Daft Punk ?

On a commencé ensemble. Je trouve très bien ce qu’ils font, ils sont très fidèles à ce que je disais tout à l’heure ; c’est-à-dire qu’ils utilisent le système comme il doit être utilisé, avec la perversion suffisante pour mener à bien leurs projets.
Moi, quand j’ai commencé « Hirundo », il y avait ce courant électronique qui revenait et mon disque est en forte contestation avec cela. Je voulais faire un album très classique par rapport à ces histoires renaissantes. Redécouvrir un certain classicisme de la chanson, du songwriting ; intro-couplet-refrain, avec toujours chez moi un mélange d’acoustique et d’électronique, mais mis au second plan.

Il y a une volonté de chanter, de placer la voix en avant… j’ai fait le choix de ce contrepied. J’ai trouvé que c’était un pari plus fort, plus audacieux ; l’engagement est différent. Je referai sans doute plus tard un disque électro, peut-être sous un nouveau nom, mais cela a toujours été là de toute façon, ce sont des sons que j’intègre, que je comprends. Sur scène, je m’accompagne toujours au laptop, je lance des boucles. Quand c’est 100% électronique, les gens saisissent le concept et disent le comprendre et quand c’est complètement chanson française idem. Mais bizarrement, il y a toujours ce flou quand les gens n’arrivent pas à définir ce que l’on joue, quand le projet reste entre les deux, et finalement assez mystérieux. Je regrette que certaines personnes ne se laissent pas forcément aller simplement à l’émotion, à l’écoute.
Encore une fois, est-ce que c’est dans la nature des projets présentés ou alors est-ce que cela vient de ceux qui l’écoutent ?

Maintenant que j’y repense, en fait, les mecs de Daft Punk ont complètement rechangé leur truc. Ils ont mis un batteur, ont pris le mec de Chic, ils font juste la musique qu’ils aimaient bien quand ils étaient gamins, et puis comme ils ont les moyens, ils se sont payés leur rêve. C’est vrai que c’est pas mal, il y a un côté parc d’attractions, ils font des performances maintenant en enlevant tout ce qui est électronique. Ils chantent, il y a Stevie Wonder qui vient aux Grammy Awards avec Nile Rodgers. Maintenant qu’ils ont l’argent, c’est comme si tous les trucs qu’ils samplaient avant, ils les faisaient venir et ils devenaient spectateurs de leur musique…, ils sont arrivés à ce truc : être spectateur de sa musique ! C’est quand même assez fort au final.


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans