[Live] Disappears et John Chantler au Sonic de Lyon

Dans la lignée de Föllakzoid le 27 novembre et deux jours avant Avec le soleil sortant de ma bouche, le Sonic de Lyon accueillait un autre des groupes programmés cette année à l’énorme festival Guess Who? d’Utrecht, dans une veine toujours post-krautrock mais cette fois dans son expression la plus sombre et la plus violente.

crédit : Zoran Orlić
crédit : Zoran Orlić

Il est à peine 21h15 et le public ne n’est pas encore massé à l’intérieur de la petite péniche lyonnaise quand le mystérieux John Chantler monte sur scène et se place devant l’étrange table couverte de prises, de câbles et de boutons qui va lui servir d’instrument pour la demie heure à venir. Avec ses sourcils expressifs et sa grosse moustache, j’ai un peu l’impression de voir un sosie de Ron Swanson se lancer dans la musique de hipster dernière génération, mais je fais bonne figure. Malheureusement, les dix premières minutes de son set se résument à une succession de bruits particulièrement désagréables et de plus en plus forts, que le monsieur fait varier ou vibrer (ou crisser) en bidouillant ses câblages. On ne sait même plus vraiment ce qui est intentionnel et ce qui est accidentel dans sa musique. Le public semble plus réceptif que moi ; je vois quelques têtes remuer, d’autres s’assoir pour apprécier. J’en fais de même alors que « la musique » (en est-ce vraiment ?) devient plus apaisée, que des vibrations sonores emplissent l’espace par vagues et déflagrations. Au bout de quelques minutes, je sombre et je rêve de choses diverses et variées tout en entendant du fin fond de mon sommeil léger le reste de son set. À dix heures moins dix, c’est fini et j’émerge brutalement, à moitié conscient que je viens de passer les vingt dernières minutes à dormir pendant un concert. Il faut croire que c’était beaucoup trop abstrait et expérimental pour moi, mais passons.

J’aborde donc le concert, beaucoup plus attendu pour ma part, de Disappears à tête reposée. Le temps de démonter la table et le curieux instrument de John Chantler pour faire de la place au groupe et le concert démarre sur les coups de 22 heures. Pour rappel, le quatuor de Chicago est un habitué de Lyon puisqu’il était au Marché Gare en janvier de cette année, au début de la tournée pour son dernier album « Irreal », et qu’il était déjà passé au Sonic à l’époque où il comptait Steve Shelley (ex-batteur de Sonic Youth) dans ses rangs.

Le concert démarre avec « Joa », un excellent titre tiré de l’album « Pre Language », qui, pour le coup, souffre d’une balance encore mal réglée. La caisse claire est assourdissante et les guitares noyées dans le mix, tandis que la voix se fait encore un peu timide. Néanmoins le morceau, qui se distingue en studio par son jeu de batterie absolument effréné, conserve ainsi son efficacité rythmique. Viennent ensuite deux morceaux de « Irreal », les très nerveux « Another Thought » et « I_O », qui donnent le ton général du concert : le post-punk martial et froid aux rythmiques 4/4 répétitives mais élaborées du dernier concert lyonnais du groupe laisse place à un rock violent et expédié avec puissance par un groupe dont on commence à se demander si l’humeur ne prend pas le pas sur le choix des morceaux. Car pour l’instant les musiciens restent mutiques, concentrés sur le jeu et les déflagrations sonores qu’ils nous envoient.

Puis vient le nœud du concert, avec deux morceaux plus ambitieux et plus long, qui renouent avec le son plus caractéristique du groupe. « 11 Mile » tout d’abord, est une nouvelle composition que le groupe n’a joué que quelques fois avant ce soir en live. C’est donc une découverte autant qu’une énorme baffe, puisque le morceau – qui démontre si besoin était que nous avons affaire à d’excellents musiciens, mention spéciale à la section rythmique – s’annonce comme un des futurs piliers du prochain album du groupe. Brian Case, le chanteur et guitariste rythmique, s’adresse enfin à nous, ironisant sur le fait de jouer un lundi devant un public pas très en forme, mais sans doute un peu surpris par la violence d’un set qui n’a pas pris le temps d’installer l’ambiance habituelle du groupe. Vient alors «Ultra », pièce phare de l’album de 2013, « Era ». Si sur album le titre dépasse les neuf minutes, la version jouée au Sonic est à l’image du concert, ramassée et nerveuse. Case se fend des indispensables imprécations finales, « Does it end together ? Does it end soon ? » mais le morceau reste considérablement raccourci. Comme pour accuser le coup, il déclare avant d’enchaîner sur le morceau suivant qu’il n’a pas grand-chose à nous dire ce soir, ambiance.

On se demande alors si le groupe n’est tout simplement pas dans un mauvais jour, si la fin de la tournée ne se fait pas sentir. La qualité de jeu n’est pas en doute, c’est l’intention qui étonne. En témoigne cette insistance à jouer « Pre Language », album antépénultième du quatuor et qui remonte à l’époque Steve Shelley. « Replicate » est lancée comme une bombe et assomme encore un peu plus le public qui sent la fin venir et se réveille un peu. La tension monte d’un cran et l’ambiance du concert n’en ressort que grandie. Une autre nouvelle chanson, « Silencing » est jouée, mais marque moins les esprits, si ce n’est que le guitariste lead Jonathan Van Herik casse une corde et finit le morceau comme si de rien. C’est déjà l’heure du dernier morceau, cette fois tirée de « Irreal », à savoir « Halcyon Days ». C’est bien la seule fois de tout le concert que le groupe renoue vraiment avec l’esthétique de son dernier opus. Le morceau officie dans un genre intermédiaire, clairement influencé par le krautrock et la motorik qui jusque-là faisaient un peu défaut, et développe une ambiance groovy et funk, mais résolument sombre voire glauque. Le public se réveille enfin, l’ambiance devient idéale et le groupe se lance dans une grande boucle hypnotique et furibarde, de celles qu’on attendait depuis le début, la faute à un set plombé par l’absence de titres comme « Interpretation » ou « Irreal » qui auraient grandement contribué à créer cette atmosphère particulière que l’on recherche en allant voir ce groupe. Fait notable, le groupe jamme un peu plus que de raison sur la fin du morceau et étire son caractère répétitif pour atteindre des sommets d’intensité. C’est déjà fini, mais Brian Case, visiblement soulagé de voir que le public a fini par répondre à l’appel lancé quelque peu aux abois, annonce que c’est toujours un plaisir de jouer à Lyon et qu’ils reviendront. C’est alors que nous avons droit au désormais traditionnel rappel-récompense du groupe, qui n’inscrit jamais ce moment sur ses setlists et qui joue donc à l’envi et au feeling, en fonction de l’humeur. Ce seront donc les très post-punk, très rock « Hibernation Sickness » et « Pre Language », toutes deux tirées de l’album éponyme. Le concert s’achève ainsi, après un peu plus d’une heure à toute berzingue et fort volume, mais un peu en demi-teinte. On se console en se disant que le groupe reste très sympathique hors scène, discutant volontiers avec le public, et en ne gardant que le meilleur de ce concert un peu bancal où l’on fait jouer au génial Noah Leger les partitions de Steve Shelley de façon peut-être un peu malsaine. Mais les nouvelles chansons promettent un grand disque de plus, l’ambiance très énervée du concert reste atypique et le groupe a su renouer ici et là avec la grandeur de sa musique épurée et complexe.

Quand je quitte le Sonic désormais plein, je remarque au passage que le grand tableau noir où sont d’ordinaire affichés les événements à suivre est éloquemment vierge, comme s’il portait déjà son éventuel deuil à venir. Plus d’infos sur rue89lyon.fr


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique