[Création #13] Daniel Jea

Il y a un an, au lendemain de la sortie de son troisième album « À l’instinct, à l’instant », Daniel Jea était notre invité dans Entourage pour nous confier les histoires toutes personnelles derrière ses amitiés musicales. S’il nous avait dit qu’il reviendrait si vite en 2021 avec un nouvel album, on ne n’aurait pas cru sur parole. Il faut dire qu’on n’en savait quasiment rien de ce fameux projet de composer, en trois ans, un triptyque d’albums à l’ère de l’ultra numérique, du confinement et de la reconquête spatiale. Avec ses deux inséparables partenaires, France Cartigny et Émilie Rambaud, complices également de ses précédents faits d’armes, le trio dévoile « En suspens » : un disque férocement révolté face à la violence systémique du capitalisme et des puissants. Premier symbole, avant même l’écoute ; cette photographie d’une Merco consumée par les flammes en guise de pochette. Le message est clair, le propos sans ambiguïté, Daniel Jea compose une œuvre musicale certes, mais engagée politiquement où il décrit et analyse les dérives et injonctions autoritaires ; comme pour mieux dénoncer l’indécence et l’humiliation ressenties par la société. Sans radicalité ni animosité, « En suspens » pose son regard réaliste sur une époque qui questionne quant à son dénouement et à ses répercussions. Un album thérapeutique et nécessaire, écrit « par instinct de survie, pour ne pas étouffer », dont nous parle ici Daniel, avec ses mots et son regard déjà tourné vers la conclusion de cette trilogie qui prendra fin l’an prochain.

crédit : David Desreumaux

Mon quatrième album « En suspens » fait partie d’une trilogie qui a débuté avec l’album « À l’instinct, À l’instant » sorti l’an dernier, en juin 2020.

Avant ça je composais des chansons et quand j’en avais un nombre que j’estimais suffisant, j’envisageais un album. Ou un EP, selon le cas. Et ça prenait le temps que ça prenait !

Mais j’ai eu besoin d’un nouveau challenge, que les choses se fassent et existent plus rapidement. Plutôt que de faire des albums qu’au final de nos jours peu de gens écoutent en entier, à l’ère de la musique en ligne consommée à la chaîne dans tous les sens, j’avais très envie de faire des objets plus courts et surtout de les sortir régulièrement. En l’occurrence là, tous les ans sur ces trois années : 2020, 2021, 2022. L’idée étant de capter des moments de création dans un temps raccourci, et de fait plus proche du présent, de l’instant vécu, de mon ressenti actuel. Tout en gardant un concept d’album. Qu’il n’y ait pas trop de décalage entre le moment de création d’une chanson et ensuite sa sortie.

Le principe de cette série d’albums est le suivant : des albums assez courts donc et portés chacun par un même thème récurrent à chaque fois.

De plus, ce projet de triptyque est aussi nourri et porté par le groupe avec lequel je travaille depuis quelques années, la même formidable équipe. France Cartigny, multi-instrumentiste, musicienne touche-à-tout, qui chante, joue de la batterie, du clavier, de la guitare. Et Émilie Rambaud, batteuse et chanteuse. La couleur, assez électrique donc, se résume à guitare / batterie / voix. Un super power trio en somme !

Je compose et enregistre en démo mes chansons de mon côté, avec mes premiers arrangements. Puis ensuite nous les travaillons tous les trois, ensemble en groupe, en répétition, en condition live essentiellement. Je veux garder autant que possible l’instantanéité, la spontanéité des choses, alors nous avons un planning assez serré pour éviter de s’égarer ou de s’essouffler. Les répétitions sont assez courtes et denses, et l’enregistrement de l’album qui suit, peu de temps après, se fait en condition live, en 3 jours maximum.  Évidemment cette méthode de travail est particulièrement liée à la contrainte des petits moyens de production mis à disposition, mais j’adore essayer de dépasser ces contraintes, de les optimiser et d’en tirer profit.

Et bien sûr, comme je veux saisir l’intensité de l’énergie du live, de nous trois jouant les chansons, c’est avec l’ingénieur du son Stéphane Prin, spécialiste de ce genre d’exercice, que les enregistrements se font. Stéphane fait vraiment partie de ce projet de triptyque, il accompagne le groupe dans cette aventure. Et pour ce faire l’enregistrement se déroule dans les mythiques studios Midilive (anciens studios Vogue), car les conditions acoustiques optimales restituent au mieux toute la chaleur du son live.

Les thèmes des titres composés sont à l’image de ce concept d’instantanéité, c’est-à-dire qu’ils sont intimement liés au présent que je vis et ressens, pendant la création, puis l’enregistrement, puis même la sortie.

L’album précédent « À l’instinct, À l’instant », sorti l’an dernier en juin 2020, tissait une histoire de rencontre et de transformation, une ode à l’amour qui porte avec lui une nouvelle vie. Ce nouvel album « En suspens », en forme d’album concept, retrace et suit la crise sanitaire traversée en France de mars 2020 à maintenant. Il est l’expression de ma colère et de mon désarroi ressenti face à cette situation, face à cette violence perpétrée, cette humiliation, cette infantilisation. Nous avons été invités à la passivité et à obéir. Le Covid a mis en évidence cette démarche, déjà en place, et a surtout mis en exergue cette violence systémique, cette non-écoute, cette non-empathie envers les gens et leurs ressentis. Alors qu’il aurait été pertinent selon moi d’y aller de façon plus démocratique en faisant ressortir les enjeux de chaque mesure et de la maladie, pour différentes parties de la société.

Alors pour m’apaiser, par instinct de survie, comme remède cathartique, ces chansons sont nées et cet album « En suspens » a vu le jour !

Quant au troisième opus de ce triptyque prévu pour 2022, il est déjà en gestation et… ce n’est pas encore le moment d’en parler !

« En suspens » de Daniel Jea, sortie le 24 septembre 2021 chez Siparka.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques