[LP] Awa Ly – Five and a Feather

L’étape d’un nouvel album est souvent un moment contrasté, mélange d’excitation et de doutes. La chanteuse Awa Ly arrive sur la pointe des pieds en ce début d’année, avec un disque d’une étonnante maturité, dans la continuité d’un EP sorti en 2014. La presse ne manquera pas de comparer la jeune femme à des personnalités aussi uniques que Sandra Nkake, Rokia Traoré ou Ayo. Il suffit pourtant de plonger dans le CV des musiciens qui l’accompagnent pour comprendre qu’Awa Ly n’a rien d’une suiveuse. « Five and a Feather » est un joli disque de folk-pop aux accents jazzy et à la production léchée, auquel nous pourrions peut-être reprocher l’absence de prises de risques. Mais, après plusieurs écoutes, les morceaux se découvrent à travers la justesse et la finesse des arrangements, mettant en valeur la voix chaleureuse et agile d’Awa Ly.

Awa Ly - Five And A Feather

« Five and a Feather » s’affiche comme un contre-pied, face à la surenchère des productions actuelles, qui précipitent souvent des chanteuses du calibre d’Awa Ly dans les méandres d’un R’n’B sirupeux, composé au kilomètre. La richesse des instruments acoustiques qui nourrissent cet album nous ramène à des œuvres aussi intemporelles que le « Hejira » de Joni Mitchell, ou encore l’album éponyme de Rickie Lee Jones, tous deux sortis à la fin des années 70. Le premier titre du disque, « Storyteller », fonctionne comme un appel : la batterie marque sobrement le rythme, la voix d’Awa Ly grandit doucement, les instruments apparaissent les uns après les autres. Au loin, une guitare slide évanescente arrive et repart ; et, par moments, la kora de Ballake Sissoko lui répond avec grâce. Le décor est posé.

« Let You Down » affiche de suite une belle énergie soulignée par de discrets effets dub : en somme, un morceau prêt à conquérir les ondes. Contrairement aux habitudes « so french », les grands producteurs américains, eux, se cachent rarement derrière de faux-semblants. Ils assument sans hésitation des velléités mainstream, à travers des productions savamment orchestrées pour toucher le grand public, sans nécessairement sombrer dans les affres de la variété. « Five and a Feather » est sans conteste un album ambitieux, au sens américain du terme, justement. Il partage cette vision très new-yorkaise de la musique, qui voudrait qu’un bon album soit souvent la résultante d’une profonde alchimie artistique en studio. Tout au long du disque, le plaisir de jouer est palpable et semble se renouveler au contact d’invités cosmopolites, comme Paco Sery ou Guo Gan. Les musiciens ont du métier et font le job avec précision et intelligence. Chacun est à sa place et participe à une belle écoute collective.

La musique respire et laisse beaucoup d’espace pour de subtiles émotions. Les morceaux d’Awa Ly sont, par là-même, habités par une élégante sobriété, digne des ambiances feutrées des clubs de jazz de la « Big Apple ». Il ne manquerait plus qu’un petit grain de folie pour emmener Awa Ly un peu plus loin que cette relative zone de confort. Le tracklisting défile ainsi sans une fausse note. Une complicité heureuse avec le désormais très plébiscité Faada Freddy s’installe même sur « Here ». La fin de l’album souffre d’une petite baisse de régime : les derniers morceaux n’ont en effet pas la force immédiate de « Storyteller » ou de « Let Me Love You ». Mais, comme certains bons vins, bien que plus discrets et plus longs en bouche, les saveurs se révèlent sur la longueur. « Wide Open » clôt alors avec simplicité ce beau moment en dix chapitres, avec ses faux-airs mariachi empruntés à Calexico.

crédit : Bernard Benant
crédit : Bernard Benant

« Five and a Feather » est, pour tout dire, un album réussi et généreux, mais presque trop sage pour des oreilles agitées comme les nôtres. Doté d’une très belle musicalité, il trouvera à n’en point douter son public et saura révéler ses charmes aux plus curieux d’entre vous.

« Five and a Feather » d’Awa Ly, sortie le 25 mars 2016 chez Naïve.
En concert au Café de la Danse le 31 mars 2016.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.