[Live] ALB à l’Ubu

Je ne crois plus au hasard ; il n’y a pas de hasard. Je pense que toute rencontre a sa raison d’être, que les événements qui surviennent sans qu’on ait l’impression de les avoir provoqués méritent notre attention tout autant (voire plus ?) que les choses que l’on recherche ardemment. Je crois en cela au quotidien, dans tout ce que j’entreprends, pour tout ce que je reçois, chaque jour. La musique occupe une grande place dans ma vie, cet état d’esprit prend donc également son sens quand l’univers d’un artiste s’impose à moi alors que je ne l’attends pas.

ALB - UBU

ALB fait partie de ces artistes qui sont venus à moi : c’est au festival « Le Rock Dans Tous Ses États », fin juin de l’année passée, que Clément Daquin, accompagné de son batteur magique Raphaël, a su me faire entrevoir le soleil à travers ses mélodies recherchées, alors que les nuages gris tapissaient uniformément le ciel depuis le début de la journée. Pourtant, un mec qui s’éclate à bidouiller des sons en tripatouillant des boutons, c’est pas particulièrement mon trip, d’habitude (c’est vrai qu’il joue aussi un peu de guitare, mais on ne peut pas dire que ce soit l’instrument prédominant). Je n’imaginais pas que, trois mois plus tard, cette jolie découverte se transformerait en un véritable coup de cœur lors de son passage au Normandy à Saint-Lô. En salle, c’est carrément magique, la complicité de ces deux-là est bluffante, leur énergie et leur bonne humeur sont communicatives, et Clément tisse un joli lien avec son public, quoique restreint ce jour-là.
Nos routes se sont croisées une nouvelle fois quelque dix jours plus tard, pour un troisième concert qui a consolidé mon addiction et mon envie de suivre de près l’évolution de ce projet.

Il m’aura fallu attendre près de cinq mois pour renouveler l’expérience.
Nous voici (enfin) à l’Ubu de Rennes, jeudi 26 février.
Avant le début du concert, je fais le point sur le chemin parcouru : fort de plus de cinquante concerts dans toute la France, de plusieurs Zénith en première partie de Shaka Ponk et d’une prestation formidable aux Victoires de la Musique, le duo a probablement gagné en maturité. De mon côté, j’ai eu le temps de décortiquer chaque son, chaque parole ; je connais les textes, et j’anticipe précisément les moments où la tension monte, où les émotions se diversifient. Je me trouve en condition de réceptivité extrême, mêlée pourtant d’une légère appréhension (me voici peut-être dans un état d’attente excessif, qui pourrait être à double tranchant et déboucher sur une exigence démesurée envers l’artiste).
Le premier petit bonheur de la soirée est de constater que les gens qui m’entourent connaissent bien la musique d’ALB. En quelques mois, nous sommes passés d’un public vierge, plutôt en quête de découverte, à un public averti qui spécule concernant le titre qui ouvrira le set (dans les premiers rangs, en tout cas), et ça fait bien plaisir.

Le concert commence avec l’intro « Far To Old » (qui n’est actuellement sur aucun disque) : Raphaël arrive d’abord à la batterie, Clément le rejoint ensuite, accompagné de sa guitare. La setlist est strictement identique à celle des deux précédents concerts (avec un seul album, difficile de faire autrement), mais, à aucun moment, je n’ai l’impression de revivre la même chose. « Brand New Start », avec son thème encourageant (tout lâcher pour un nouveau départ) délicieusement teinté d’adulescence et ce petit son de guitare qui souligne brillamment l’intro dissipe d’emblée toute appréhension et me cloue sur place, incapable de taper dans les mains… en rythme ou pas.

« Never Miss You », avec cette phrase complètement improbable (« And if I feel a mark or a presence, in song Mother sings to me when I go to sleep, it’s only ’cause she sang these tunes to someone I’ll never meet ») qui me fascine étrangement, sans pour autant que je puisse en expliquer le sens, ne m’aide pas plus à extérioriser ma joie au milieu d’un public pourtant enthousiaste (oh que je t’aime, public rennais). Vais-je rester là à me comporter comme une plante verte jusqu’à la fin du concert ? (Ceci dit, il paraît que les plantes vertes sont réellement très réceptives à la musique). « Ashes » rajoute une couche d’irréel et dérègle complètement ma perception du temps (il semble distendu par l’intensité et la diversité des émotions que je reçois). Je ne sais pas si j’aime cette chanson parce qu’elle me ressemble ou plutôt parce qu’elle me dérange. Ou peut-être ressemble-t-elle à une partie de moi qui parfois me dérange ? Toujours est-il que je me complais dans la bizarrerie émotionnelle de cet instant, et laisse enfin s’exprimer la partie de moi qui n’est pas timide ni réservée (ça fait du bien de se lâcher, quand même).

Le magnifique « Whispers Under The Moonlight » dénoue quelque peu mes turbulences intérieures (en dépit du clip officiel qui n’est pas particulièrement apaisant) et me recharge en énergie pour aborder avec sérénité les Montagnes Russes de « Take Advice ». Les montées en puissance et les tensions sur ce titre me traversent avec plus d’intensité que jamais et nous emmènent sans transition vers un « Golden Chains » largement maîtrisé par le public. Cette chanson, en partie composée de sons de jeux vidéos, est l’occasion rêvée pour chacun de se faire plaisir. Clément donne même une chance aux déficients chroniques en sens du rythme comme moi d’exprimer leur enthousiasme en phase avec les autres : il nous monte « un, deux, trois : Wohoho ». Mais aujourd’hui, on a déjà tout compris avant même qu’il nous l’explique. (« Bienvenue à Rennes », crie quelqu’un dans la salle). Les deux musiciens s’en donnent à cœur joie sur ce morceau : Raphaël a son moment à lui pour un petit solo de batterie, pendant que le chef abuse du bouton qui produit le son de « Mario quand il gagne des pièces d’or » (dixit mes fils ; moi je croyais que c’était Tetris, je n’y connais rien en jeu vidéo) avant d’agripper à nouveau sa guitare et tenter une descente dans le public sans succès, car ce soir, nous sommes trop nombreux. Quel coquin, ce public rennais, il connaît tous les morceaux par cœur, et, en plus, il est compact (je suis sûre que le slam, ça l’aurait fait ; ceux qui étaient là comprendront).

Place maintenant aux papillons multicolores, aux prairies couvertes de fleurs et aux plongeons avec les dauphins : « Hypoballad », semble avoir été écrite pour moi tant je m’y reconnais. Elle parle d’évasions imaginaires, mais aussi de vivre ses rêves avant de vieillir (en tout cas, je l’interprète comme ça et ça me va très bien). La musique est toute gentille, joyeuse et entraînante ; on se croirait dans un dessin animé et elle me donne envie de danser (mais là, je me la gâche en essayant de filmer, sauf que je suis visiblement trop en transe pour penser à appuyer sur le bouton Rec. Aussi, je me promets qu’au prochain concert, mon smartphone restera dans ma poche). « She Said » n’est pas ma préférée. Je n’ai rien contre, mais bon, elle ne me transporte pas particulièrement, alors j’ai tendance à la laisser un peu de côté. Quand Clément dit : « J’en ai un peu marre de la chanter, celle-là, vous l’aimez bien, vous ? ». Je réponds, en toute franchise, « Pas trop », et je m’amuse de cette coïncidence (mais le reste du public dit autre chose, je crois). Le temps se trouve à nouveau suspendu pendant « Back To The Sun » et son ambiance stellaire où se mêlent, dans ma tête (et sur scène aussi, je crois), les couleurs noir et or.

« The Road » est, sans conteste, la tuerie de la soirée : j’arrête de respirer pendant la première moitié de la chanson, comme si je redoutais que les vibrations de l’air interfèrent avec les sensations qui grimpent lentement le long de ma colonne vertébrale. Au moment où, d’habitude, j’inspire à nouveau, les musiciens marquent une pause, j’ai l’impression que l’entièreté de la salle retient son souffle…, je reprends de l’air avant que ma tête explose. Pendant que la chanson se termine, plus rien d’autre n’existe. C’est dans ce climat émotionnel puissant que Clément tente de nous expliquer qu’il va jouer le dernier morceau ; il devra s’y reprendre à trois fois pour se faire entendre, car le public n’a pas l’intention d’en rester là. « Oh! Louise » évoque l’extase indescriptible d’être parent, et les doutes indissociables. J’ai juste envie de danser encore, faire des câlins et emmener mes enfants voir ALB en concert la prochaine fois. Après avoir fait semblant de partir, les deux amis reviennent sur scène : Raphaël au clavier, et Clément tout content de pouvoir utiliser son micro qui bidouille la voix, le temps d’une reprise de Kanye West.

Côté public, on reste tous un peu sur notre faim, mais on sait bien que tous les morceaux de l’album ont été joués, puisqu’on l’a déjà tous acheté, puisqu’on le connaît tous par cœur. Alors on reviendra, avec nos potes, nos conjoints, nos enfants, nos parents ; on sera un public encore plus compact. Et on réclamera le slam, encore une fois…


Retrouvez ALB sur :
FacebookSoundcloud

Photo of author

Julie Perwez

Mère de famille nombreuse et passionnée de musiques actuelles (surtout en live), il arrive que mon enthousiasme me pousse à poser des mots sur mes émotions.