[Live] Pitchfork Avant-Garde 2018

Comme chaque année, nous nous sommes laissés prendre au jeu des soirées itinérantes du quartier de Bastille organisées par le Pitchfork Music Festival. Cette édition de l’Avant-Garde nous a réservé de nombreuses surprises et découvertes. Nous en avons compilé pour vous neuf dans notre récit, et encore plus en photos.

Sasami – crédit : Cédric Oberlin

En solo après le projet Celestial Shore, Sam Evian s’est fait accompagner de musiciens d’Here We Go Magic pour produire l’un des plus beaux voyages auditifs de l’été avec « You, Forever ». On le découvre ainsi bien entouré à la Chapelle des Lombards pour le tout premier set du mardi soir. Des partitions indie pop catchy épousent parfaitement le chant détendu du guitariste avec un tempérament délicieusement slacker-rock. Ce nouveau roi du cool entraîne de cette manière nos nuques dans un mouvement frénétique à l’écoute du dreamy « IDGAF » et du soft rock taillé pour un road-trip de « Country. » D’une grouillante ville de New York au calme plat du Nevada, pas de doute que l’artiste nous ramène quelques bouts d’Amérique dans le contexte intimiste parisien de la rue de Lappe. Un voyage peu trop vite achevé par le format court du festival, imposant autant à lui qu’à nous de plier bagage au bout de trente petites minutes.

Sam Evian – crédit : Cédric Oberlin

Grande révélation il y a trois ans avec le déroutant « Painted Shut », les très rares – à Paris du moins – Hop Along sont venus bouger le Supersonic avec un nouvel album dans leurs poches. En live comme en studio le groupe philadelphien confirme alors sur ce « Bark Your Head Off, Dog » pourquoi il est tant réjouissant : la voix écorchée de Frances Quilan est toujours aussi précieuse, son storytelling plus affirmé et intime, et le son certes assez policé n’étouffe pas des mélodies et des arrangements bien sentis. La formation signée chez Saddle Creek (Big Thief, Sam Evian) ne s’y trompe pas en interprétant dès le début des hostilités le génial hymne « How Simple » qui offre à l’indie rock US un de ses tubes de l’année. Transformant l’essai sur scène, les Américains exploitent à fond leurs séquences instrumentales corrosives qui leur donnent habilement une posture plus rock’n’roll en live. On est totalement fan.

Hop Along – crédit : Cédric Oberlin

Le cadre irréel et intemporel du Réservoir, salle à la réputation plutôt privée découverte pendant le festival, était absolument tout trouvé pour la délirante Holiday Sidewinder. Avec sa pop disco un brin kitsch, l’Australienne très photogénique a assuré le show le moins attendu de la première soirée. Aidée de son guitariste funky habité sur scène, elle s’est laissée aller à des chorégraphies en électron libre, dansant avec un membre du public en fosse ou sur le long bar qui flanque un côté de la salle. Peut-être un peu musicalement limitée à ses sonorités eighties, celle qui officie comme claviériste d’Alex Cameron a un potentiel certain dans le spectacle scénique, avec sa présence électrisante et sa générosité contagieuse. De quoi rester un tantinet curieux sur la poursuite de ce projet autant osé qu’assumé.

Holiday Sidewinder – crédit : Cédric Oberlin

Rencontre de songwriters pop et de musiciens jazz, Alaskalaska étonne avec une toute petite poignée de morceaux. Son set au Réservoir a peut-être bien justifié la hype naissante, tant on s’est laissé prendre aux jeux de ces explorations art pop qu’on pourrait penser sorties tout droit de l’esprit d’un Arthur Russell, pourtant bien issues de celui de ces Londoniens inspirés. Les expérimentations de l’EP « Meateater » ont de cette manière joué leur rôle autant déroutant qu’entraînant, en invoquant habilement des accents funky aux contours du chant de la vocaliste Lucinda John-Duarte. La première soirée de l’Avant-Garde a ainsi eu droit à une conclusion parfaite sur des airs sûrement appréciés par tout bon connaisseur de Warpaint ou de Dirty Projectors, avec un esprit londonien en plus.

Alaskalaska – crédit : Cédric Oberlin

Au sein de la nouvelle scène pop canadienne en gestation, Helena Deland va peut-être se faire une place toute particulière les prochaines années. La Québécoise, maquillée comme une chanteuse zombie pour Halloween, n’a qu’une petite collection de chansons studio intimistes à proposer au public aujourd’hui, mais son live a été une manière de donner une tout autre portée à son projet ainsi révélé dans toutes ses facettes avec les arrangements précieux d’un band complet. Proche de Jesse Mac Cormack qui a réalisé son premier EP, elle est l’auteure de rêveries folk sur lesquelles se pose sa voix cristalline avec un entrain pop ou rock. Certains à la Chapelle des Lombards s’extasient ainsi déjà devant ce qu’ils considèrent comme la nouvelle Angel Olsen, quand d’autres retrouvent des vibrations qui leur évoque Man I Trust – que Deland a fréquenté – et on ne saurait leur donner tort. Il ne reste plus qu’à espérer que l’artiste francophone parvienne à remuer la pop de notre côté de l’Atlantique.

Helena Deland – crédit : Cédric Oberlin

Digne héritière de son père, le célèbre Bobby McFerrin, Madison McFerrin a séduit le Supersonic en solo. Sans instrument ni accompagnement, la jeune Américaine se contente de sa voix et de ses doigts pour nous passionner. Elle fabrique ainsi une soul sensible et riche en émotions avec une machine à loop, qui, pour comme pour un puzzle, s’enregistre par petits bouts sur quelques notes, rythmes et mélodies de voix. Elle crée, de cette manière, en temps réel des boucles qui viennent se glisser comme des chœurs ou des instruments, intercalés en bande derrière le live qui se résume alors à son chant. C’est par ces choses simples, avec un talent fou que l’artiste étale sa palette de sonorités et de thématiques aux résonances parfois politiques. Ce concert DIY mobilise ainsi toute la musicalité que le corps humain seul peut exprimer, et pas uniquement chez l’artiste puisqu’elle se fait également accompagnée par le public, qui en participant au chœur, s’inclut aussi dans les boucles de l’artiste. Ainsi, en faisant de nous son propre live-band, Madison propose une performance généreuse et participative qui illustre parfaitement l’univers riche et particulier de la famille McFerrin.

Notre coup de cœur de cette Avant-Garde est à aller chercher du côté de Tijuana : Mint Field. Le trio mexicain nous a cloués au sol avec sa mélancolie autant bruyante que nonchalante. Son shoegaze jouissif consiste en de longues vagues instrumentales de guitares saturées parsemées çà et là d’éclats de voix cristallins. Un son qui a transcendé le public du Réservoir et étonné par ses nuances, touchant parfois aux impuretés garage, aux mélodies surf ou aux envolés psychés. Signée sur le label de Hanni El Khatib, la jeune formation a ainsi dû faire ses classes en Californie à la croisée de leurs influences latines. Performance la plus complète et la plus saisissante de cette Avant-Garde, elle suscite l’espoir que Mint Field repasse encore l’Atlantique pour donner quelques claques aux fans de Slowdive et de Neu! qui se retrouveront avec nostalgie.

Mint Field – crédit : Cédric Oberlin

S’il y a une personne qu’on ne s’attendait pas à voir sur la scène du Pop-Up du Label c’était bien la fille de Steven Spielberg. Et pourtant, c’est bien elle sous le nom de Buzzy Lee est venue présenter son projet pop gracieux, avec un potentiel certain déjà découvert à l’occasion de ses collaborations avec Nicolas Jaar (sous le nom de Just Friends). D’abord assise derrière un clavier pour conter quelques jolies ballades pop au rythme lent et mélancolique, sans trop nous renverser, elle a ensuite montré une facette de véritable performeuse en saisissant le micro à pleine main, pour s’agiter debout sur scène sur des titres plus électroniques aux productions catchy. Sa voix sublime, sa présence, son charisme lui ont ainsi permis de prendre un certain virage après les essais folk de ses débuts aux côtés de son propre frère (Wardell). Ce talent à l’état pur pourrait être bientôt être à l’origine d’un album prometteur pour la scène pop US californienne, et on l’attend de pied ferme.

Buzzy Lee – crédit : Cédric Oberlin

Une ex Cherry Glazerr en échappée solo ne se manque pas, surtout au Pitchfork Music Festival où le groupe s’était révélé à la Mécanique Ondulatoire, il y a deux ans. Sasami vogue désormais dans un univers plus rêveur et posé, les pédales fuzz et les cordes garages n’intervenant que par à-coups – histoire de ne pas totalement renier ses origines. Autoproclamée « synth queen » (elle a joué également pour Soko, Hand Habits ou encore Wild Nothing), l’Américaine passe derrière le micro au Réservoir de manière convaincante, et monte avec son live-band un projet ambitieux dont on n’a pas encore compris tous les tenants et aboutissants, mais qui ne laisse pas indifférent. Une chose est sûre, le disque qui en débouchera sera plutôt perché, un peu à l’image de son premier titre « Callous ».


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens