[LP] San Carol – Houdini

San Carol est certainement l’incarnation la plus ambitieuse du musicien français, Maxime Dobosz, dont la matière musicale occupe régulièrement les pages d’indiemusic et les oreilles de notre rédaction. Le troisième album du groupe, « Houdini » s’affirme écoute après écoute comme un incroyable tour de force esthétique, maelstrom élégant et virevoltant de musiques planantes et répétitives, béni par la justesse d’une écriture pop, subtile et délicieusement incarnée.

Bien qu’« Houdini » soit plus que jamais, dans l’aventure San Carol, la consécration d’une complicité musicale et artistique de haut vol entre Maxime et des fidèles comme Simon Garnier (VedeTT, The Lemon Queen) et Florent Vincelot alias Nerlov (VedeTT, Sheraf), ce long format met, en premier lieu, en exergue l’interprétation exceptionnelle de son leader. Nous pourrions verser facilement dans un propos dithyrambique et évoquer des comparaisons (pourtant judicieuses) avec Thom Yorke (« Where My Parents Live »), Dave Gahan (« Turn to Dust ») et Josh Pearson (« Marvelous Engine »). Pourtant, en nous concentrant sur notre objet du jour, nous sommes tout simplement foncièrement troublés, pour ne pas dire bluffés par l’expressivité de cette voix unique, habitée et multiple. Même si Maxime se présente parfois médiatiquement sous le jour d’un joyeux luron, il dévoile sur ces neuf bijoux une sensibilité hors du commun, capable d’aller chercher très loin, dans son moi intérieur, une palette d’émotions saisissantes, toutes en nuance et en retenue. Il y a d’ailleurs quelque chose de très féminin, dans ces envolées vocales somptueuses, à la fois puissantes et inarrêtables, aussi bien que délicatement douces.

Pour parfaire le tableau, notre esthète est assurément un mélomane boulimique, sans œillère, curieux devant l’éternel, passionné jusqu’au bout du médiator. Cet appétit gourmand, visiblement partagé avec ses talentueux compagnons, transpire dans les moindres recoins de chacune de ces compositions, abreuvées de Krautrock (« Where My Parents Live »), de rock progressif (« Turn to Dust »), de folk (« Doesn’t Matter »), de post-hardcore et de musiques électroniques (« Parachutes »). Elles sont certainement influencées par l’aura de grands albums des années 70 comme « Blue Moves » d’Elton John, « Tago Mago » de Can ou encore « The Lamb Lies Down on Broadway » de Genesis. Et si les musiciens de San Carol retiennent avant tout la liberté instrumentale et créative de ces années mythiques, ils en oublient sans aucun doute, la démesure et l’emphase.

crédit : Fred Lombard

Mais « Houdini » n’est absolument pas une œuvre nostalgique, et encore moins une œuvre opportuniste. De nos jours, des artistes comme Anika – notamment sous la forme du quatuor Exploded View – proposent, comme San Carol et son maestro de luxe, de modestes alternatives utopiques et entières dans une sphère indépendante qui a tendance à se scléroser, grignotée jour après jour, par le capitalisme rampant de l’industrie musicale. En somme, oser l’inhabituel, quitte à se rapprocher du dérapage, de la chute comme sur le déroutant, mais enivrant « Parachutes ». San Carol n’est néanmoins pas en soi un groupe frondeur, ou encore moins révolutionnaire dans l’âme. Il est simplement un groupe, qui place sur une très haute marche la quête artistique de sa propre musique. Entretenant un rapport schizophrénique entre une attirance viscérale pour l’avant-garde et une admiration sincère pour des approches plus consensuelles proches du dit « mainstream », les Angevins et le néo-Nantais s’autorisent sans frémir à côtoyer des figures imposantes de la Pop Culture actuelle, en provenance des États-Unis tels The National sur le très sobre « Society », marqué par l’omniprésence de ce piano élégant, Fleet Foxes sur le faussement léger « Lone Star » et même Band Of Horses sur la mélancolie acidulée et pastel de « Cancer ».

Pour conclure, saluons l’intelligence du label Freemount Records, qui sortant lui aussi de sa zone de confort, permet aujourd’hui à « Houdini » d’exister d’une très belle manière et ainsi à mister Dobosz de pouvoir concrétiser l’un de ses fantasmes musicaux les plus fous (en attendant les prochains). Quels que soient les clichés que les médias de masse peuvent entretenir, il démontre aujourd’hui qu’être musicien est avant tout une affirmation de sa propre singularité, en explorant par exemple le chemin d’un affranchissement esthétique aussi abouti et touchant que celui d’« Houdini ».

« Houdini » de San Carol est disponible depuis le 19 octobre 2018 chez Freemount Records.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.