[LP] Netherlands – Black Gaia

Voilà un secret qui ne mérite plus d’être gardé : au cœur de Brooklyn, Netherlands enregistre des albums géniaux et injecte au metal une dose bienvenue de folie furieuse. Sur fond de sludge mutant, ce groupe rue dans les brancards sans négliger les mélodies à travers la voix parfois fragile, parfois rageuse de Timo Ellis, chanteur et guitariste.

Pour qui connaît déjà Netherlands, « Black Gaia » peut surprendre tant les titres sont plus sombres que ce qu’a précédemment enregistré le groupe. A-t-on jamais entendu un album commencer par une collision ? Dès la première seconde de « Arp Jam ‘74 », c’est une bombe de distorsions qui pulvérise les enceintes. Renforcé par la récente arrivée de Thee Chuq aux côtés de Ava Farber derrière les synthbass, Netherlands gagne en force de frappe. Les éléments se déchaînent comme emportés dans un ouragan, pendant que des chœurs angéliques annoncent la chute de la civilisation. On est sous le choc quand soudain Joel « Moonboy » Willis assomme sauvagement ses fûts dès l’intro de « -Ton ». Timo Ellis montre les dents et hurle comme un prêcheur démoniaque nous poussant à fuir le chaos. Le titre est déstructuré et violent. Dans le tumulte, le groupe nous assure que tout est sous contrôle. La maîtrise est remarquable sans être heureusement ostentatoire.

Après une intro furibarde, la situation se stabilise sur « The Countdown » quand la voix de Timo, doublée par la guitare, se fait plus calme et rappelle un instant l’excellent LP « Hope Porn », sorti en février dernier, qui, sans être moins puissant, dénotait dans la discographie du groupe avec la mise en avant des mélodies. Lors d’une interview accordée au blog Nine Circles, Timo Ellis a indiqué avoir mis en suspens les titres composés pour « Black Gaia » pour s’atteler à l’enregistrement de « Hope Porn ». La stratégie a été la bonne au vu de la cohésion de ces nouveaux titres que Timo perçoit comme des étapes au cours d’un trip que serait l’infernal « Black Gaia ».

En espérant voir le groupe rapidement fouler les scènes européennes, on imagine sans mal le chaos dans les rangs lorsque le groupe lancera « Fangorn ». Usant d’effets, Timo se métamorphose en monstre dévastant tout sur son passage à l’aide de basses destructrices et d’une batterie débridée. À l’aube d’une tournée au Canada en septembre qui s’annonçait folle en première partie de Mastodon et Dinosaur Jr., Netherlands a malheureusement dû rebrousser chemin suite à l’annulation de tous les concerts prévus. On ne doute pas du potentiel scénique énorme du groupe qui bénéficie du soutien de Gojira et on leur souhaite de goûter rapidement à une large reconnaissance amplement méritée.

« Nite Nite » annonce la deuxième partie de l’album quand l’ambiance se fait plus atmosphérique et que la voix de Timo s’élève au-dessus d’un riff lourd creusant la terre de tout son poids. Telle une divinité, Black Gaia est invoquée lors d’une messe païenne et l’on serait presque tenté de se recueillir pour se remettre de la violence qui a tout ravagé sur les titres précédents… et qui déferle à nouveau sur « Army! », premier extrait annonçant la sortie du LP.

L’appel à la révolte est ici manifeste. Timo Ellis déclare rester optimiste face au déclin de notre monde et enjoint chacun à trouver la motivation nécessaire pour rester debout et ne pas sombrer dans le pessimisme. Credo qu’il adopte également aux côtés de Miho Hatori (ex-Cibo Matto) au sein du vivifiant New Optimism, projet qualifié d’Experimental Dance Music. Pour l’heure, guitare et synthbass mordent et griffent les bourgeois et les systèmes corrompus tout au long de ce titre absolument génial.

« Deep Fuck 9 » voit le retour du monstre croisé plus tôt qui donne un dernier assaut avant de s’effondrer à son tour et que le riff rugueux de « Crabs » ne vienne égratigner nos tympans. C’est là que « Black Gaia » entame précisément la deuxième partie de ce voyage. Le tempo ralentit clairement. On s’imagine au milieu d’un paysage désolé après la tempête que l’on parcourt au son de la voix de Timo Ellis nous guidant parmi les décombres. La rythmique reste massive et le titre s’étire sur cinq minutes entre accalmies tortueuses et répliques bruitistes.

Longue plage planante et instrumentale, le titre « Black Gaia » est à peine perturbé par des éructations et cris inquiétants. Déconcertant à la première écoute, il s’avère vite essentiel à la cohésion de l’album tant il offre un espace de respiration salutaire avant « Wo Man », virée dans un labyrinthe inquiétant. La basse bourdonne tout au long du morceau pendant que des coups irréguliers font trembler les murs jusqu’à les faire tomber et qu’un arpège délicat laisse soudainement la place à une pépite.

crédit : Nathan West

Reprendre « Can’t Find My Way Home » de Blind Faith pour clore l’album tient incontestablement du génie. Pour la première fois, Netherlands enregistre une ballade et la lueur qui s’en dégage vient en parfaite opposition avec le déchaînement qui a eu lieu tout au long des titres précédents. Les paroles de cette berceuse douce-amère nous invitent à la quiétude face à notre condition de simples mortels. On ne pouvait imaginer meilleure conclusion à cet album dont la densité, l’exubérance et la puissance sont tout simplement stupéfiants.

Ne perdez pas une seconde et écoutez « Black Gaia » qui condense magistralement ce qu’a publié Netherlands depuis « Fantasmatic » (2012). Tout en définissant le groupe dans son interview à Nine Circles comme la rencontre entre les Melvins et Earth, Wind and Fire, Timo Ellis a annoncé que de nouveaux morceaux seraient publiés vers mars 2019. Nous voilà impatients. Vive Netherlands !

« Black Gaia » de Netherlands est disponible depuis le 24 août 2018 chez Records and Tapes Records.


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Olivier Roussel

Olivier Roussel

Accro à toutes les musiques. Son credo : s’autoriser toutes les contradictions en la matière.