[LP] Harnes Kretzer – Black Noise

340,29 mètres par seconde. Une vitesse inextricable que l’on prend compte à la simple vue de ces chiffres. Cinq chiffres qui ne signifient presque rien mais qui régissent presque tout. Même le silence. Sur cette base, l’Allemand Harnes Kretzer, fondateur et artiste du modeste et prolifique label Unperceived Records, pressurise le son dans sa course éternelle, étire et compresse sa base pour former une musique expérimentale stellaire et ambiante, communément appelée le drone. Fraternel, limpide et ténébreux, « Black Noise » assume le style élégiaque des dix fractions qu’il regroupe, heureuses dans le combat qu’elles mènent contre la célérité.

Un bruit qui provient du noir, de l’absence quasi totale de celle qui permet de voir. Harnes Kretzer, que l’ombre inspire, déclare : « J’habite une maison d’un tout petit village en Bavière dans l’Allemagne du Sud et nous n’avons pas beaucoup de pollution lumineuse. Quand les lumières de la rue s’éteignent, je me sens comme écrasé par l’immense noirceur du ciel. Je regarde les étoiles et je vois ce fameux « black noise » qui nous entoure. C’est beaucoup trop massif pour le percevoir réellement avec notre humble esprit d’humain. » Qu’il soit descriptible ou non, cette expression pourrait réinventer la notion même du bruit, c’est-à-dire de considérer le non-bruit comme un son à part entière : le silence comme composante unique à la composition de la musique. C’est en ce sens que l’incroyable quiétude du drone existe.

Ce style musical moderne, qui se rapproche beaucoup de la musique carnatique (musique traditionnelle du sud de l’Inde), se caractérise par un ensemble de notes maintenues et répétées sur des longues plages musicales avec peu de variation d’harmonies, conquérant dans sa lenteur de rythme et ses bourdons incessants qui relèvent, qu’on le veuille ou non, de l’ambiance méditative. Quant à elle, la musique de Kretzer se dénote par l’ajout progressif de cordes frottées, de cuivres et de piano qui élève considérablement le style vers l’hymne. D’ailleurs, la plus belle et première piste de l’album « Fucked Up Anthem » ne déroge pas à la règle en proposant trois minutes et cinq secondes de pur frisson. Kretzer y pose alors sa signature dans la large scène électronique ambiante.

« Stars Of The Lids et A Winged Victory For The Sullen sont définitivement deux de mes groupes préférés quand je recherche quelque chose pour m’engloutir et avoir la chair de poule. La plupart de temps, en ne sachant pas trop ce que je fais, j’improvise beaucoup sur des synthétiseurs, réglant des boutons pendant des heures, surtout parce que je n’ai jamais vraiment appris à jouer d’un instrument. Pour cela, je dois avoir confiance en mes intentions et les suivre partout où elles me mènent. Mais je dois y poser mes limites car tout ceci peut et m’a déjà mené une diversité sonore trop chaotique. Mes limites sont devenues mes meilleures amies et les outils les plus inspirants au cours des années passées. » Autodidacte et courageux, Harnes Kretzer sait très bien où il va et impose une vision franche et mature de l’art musical. Son courage vient de l’expérimentation de celle-ci, clairement nichée dans les carcans de bien peu de gens, mais immense dans l’impact des sentiments qu’elle insémine avec élégance. Une larme pourrait alors couler sur son final, le somptueux « Roots », pour disparaître dans l’épaisseur dans la plus noire des nuits.

« Black Noise » de Harnes Kretzer est disponible depuis le 21 juillet 2017 chez Unperceived Records.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante