[Play #8] The Limiñanas, Suuns, A Place to Bury Strangers, Wrekmeister Harmonies, The Maghreban, etc.

Chaque semaine, nous vous concoctons une sélection de dix albums sortis récemment et qui ont (pour l’instant) échappé au radar des chroniqueurs d’indiemusic. Au programme de ce nouveau Play : pas mal de noise et de musique expérimentale, mais aussi du revival psyché à la sauce française, de l’électro des quatre coins du monde, un peu de punk hardcore et forcément votre dose de doom et de black hebdomadaire  – c’est bon pour la santé !

The Limiñanas – Shadow People

19 janvier 2018 (Because Music)

Difficile de comprendre le désamour narquois de certains envers ce groupe tout aussi humble que sympathique, et très convaincant sur scène. Leur dernier album ouvre de nouvelles portes à leur musique, baignée d’influences psyché classiques mais métissée de chanson française. Les guests de luxe (Anton Newcombe du BJM en tête) donnent lieu à des titres très réussis et variés. Un vrai coup de cœur, avec une belle ambiance et une diversité étonnante.


Turnstile – Time & Space

23 février 2018 (Roadrunner Records)

Album bref et super efficace du groupe de punk bien bourrin. Rappelle un peu le disque de American Nightmare paru cette année, mais en moins metal ; rappelle aussi Fugazi ou At The Drive-In pour le son de guitare. Concis mais ultra-percutant, 25 minutes pour 13 morceaux. Injustement boudés par Pitchfork, et seront présents au Hellfest cette année !


Suuns – Felt

2 mars 2018 (Secretly Canadian)

Les gars ont juste signé le meilleur album de 2016, l’enjeu était donc énorme. Ce quatrième album studio s’en sort en changeant suffisamment la recette pour que le groupe se réinvente sans nous perdre. L’instrumentation évolue vers un ensemble résolument plus électronique et moins électrique, traversé de décharges menaçantes et d’un saxophone plutôt inattendu et sympathique. Si l’album peine à offrir des titres aussi sidérants que sur le précédent opus, l’opus est d’une belle cohérence, réserve un certain lot de surprises etn surtoutn suinte toujours cette ambiance maladive chère au groupe et inimitable.


American Dollar Bill – Keep Facing Sideways, You’re Too Hideous to Look at Face On

23 février 2018 (Thrill Jockey)

Le plus célèbre des hurleurs japonais revient avec un disque collaboratif d’un ex-Isis et de ses comparses canadiens. Le résultat est un opus – forcément – extrême, tant dans ses sonorités que la durée de ses compositions, où ce mélange de jazz, de rock expérimental, de noise et de post-metal mijote à petit feu pendant que le Japonais entre et ressort en beuglant. C’est très bien, un peu fatigant à la longue, et certains morceaux semblent vaguement inutiles en comparaison du premier et du quatrième, les plus aboutis du disque. Kudos pour la flûte qui se balade au début comme dans un vieil album de Cathedral.



A Place To Bury Strangers – Pinned

13 avril 2018 (Dead Oceans)

Cinquième offrande des New-Yorkais qui nous avaient complètement bluffés lors de leur concert angevin en septembre dernier, sorte de torrent de bruit et de fureur ininterrompu dans une pénombre entrecoupée de stroboscopes. Cet album ne retrouve pas totalement la fougue de ce coup d’éclat, mais il conserve d’excellents moments avec ses boîtes à rythme endiablées, ses lignes de basse tout droit sorties d’un vieux New Order et ses riffs stridents gorgés de disto et de saturation. Beaucoup de pistes sont très nerveuses et courtes, d’autres sont des plages plus contemplatives, mais la meilleure reste la baffe initiale donnée par ce « Never Coming Back » d’anthologie. Et la pochette évoque « Un chien andalou », donc c’est forcément un grand disque.


Wrekmeister Harmonies – The Alone Rush

13 avril 2018 (Thrill Jockey)

Collectif composé au maximum de vingt-deux membres et gravitant autour de JR Robinson, un sosie barbe de Moondog et de Dylan Carlson de Earth, cet ensemble, nommé d’après un film culte de Béla Tarr et dont le titre faisait lui-même référence au théoricien de la musique baroque Andreas Werckmeister, sort son cinquième album. Et c’est peu dire que le résultat est un impressionnant chef-d’œuvre. À ne pas mettre sur toutes les paires d’oreilles, ce disque très sombre, voire franchement dépressif, oscille entre dark folk et rock expérimental lent et répétitif à la Swans dernière période, entre chant sépulcral qui évoque aussi bien Nick Cave ou Michael Gira que certains groupes de doom et plages d’ambient et de drone mélancoliques, élégiaques et oppressantes, tranchées par des riffs lourds et heavy. La comparaison initiale avec Earth étant ici tout sauf fortuite. La force principale du disque étant dans son sens inouï du contrepoids entre des morceaux très longs, construits soit autour de motifs répétitifs et de variations, soit autour de lents crescendos titanesques et de plages beaucoup plus courtes, mais tout aussi inventives et malsaines. Sans aucun doute, un de sommets de ce premier semestre 2018.


Hamferð – Tàmsins Likam

12 janvier 2018  (Metal Blade Records)

Non seulement ce disque est un excellent opus de doom/death – poisseux, ultra lent, un brin grandiloquent, profondément dépressif et romantique – mais, en plus, il nous apprend un mot : « féringien », des îles Féroé. Une curiosité géographique bien ancrée dans le meilleur de la production scandinave actuelle du genre.


Various Artists – Block9 Creative Retreat Palestine

11 avril 2018 (autoproduction)

Album collaboratif enregistré dans l’hôtel de Banksy en Palestine et le Walled Off de Bethléem. Conçu pour « célébrer » les cent ans du consulat britannique en Palestine. Enregistré en février dernier, on retrouve une série de collaborations entre des artistes du Moyen-Orient et des occidentaux. Les meilleurs moments de ce disque un peu foutraque, très dansant, vaguement expérimental et assez jouissif sont signés Mashrou Leila / Róisín Murphy (le groupe libanais étant par ailleurs très militant pour les droits des LGBT – et accessoirement composé de bombes atomiques) ou encore The Black Madonna / Wassim Qassis. Sonorités orientales, percussions et instruments traditionnels ou chants en arabe se heurtent à la techno déconstruite et ambient de Brian Eno, aux beats agressifs et syncopés de The Black Madonna, à la sophistication house de Róisín Murphy. Pas vraiment un album au sens traditionnel du terme, mais une forme stimulante d’engagement politique par la musique.


Maghreban – 01DEAS

23 mars 2018 (R&S Records)

DJ basé à Londres, Gatto Fritto (« le chat frit »), a.k.a. Maghreban, sort son premier album, un melting pot d’influences et de samples assez barrés, très dynamique et inventif. Soul, hip-hop, jazz, rap, et surtout house se mélangent dans un creuset jubilatoire.


Acid Mothers Temple & The Melting Paraiso U.F.O. – Electric Dream Ecstasy

13 avril 2018 (Essence Music)

Après une interminable tournée mondiale de plusieurs années, passée de nombreuses fois par l’Europe et la France, le collectif de space rock/heavy psyché japonais s’est posé au Brésil (!) pour enregistrer la version studio de ses setlists les plus récentes. Exit dont l’inénarrable reprise strip-tease de « The Wizard » de Black Sabbath, et bonjour à quatre longues pistes de rock psyché bruitiste et fortement sous influence. La pochette ainsi que le titre renseignent parfaitement sur le type de musique qui vous attend ici, et si l’ouverture et la curieuse reprise de Badalamenti (« Sycamore Trees ») sont les deux morceaux les plus agressifs et noise du disque, ce sont surtout les deux magnifiques versions – dont une de vingt minutes ! – de « Pink Lady Lemonade » qui marquent le plus, par la répétition inébranlable et hypnotique d’une mélodie simple comme le monde sur fond de bidouillages sonores complètement cramés. Un classique instantané du répertoire des Japonais.

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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique