[Interview] Bagarre

Avant leur concert au Temps Machine à Tours le 6 avril dernier, les cinq membres de Bagarre, que l’on suit depuis leurs débuts sur indiemusic, nous ont reçus en loge. L’occasion d’en apprendre plus sur leur premier album « CLUB 12345 », leur mélange des genres, leur philosophie et sur ce qu’ils vivent sur scène.

crédit : Flavien Prioreau
  • Entre l’EP « Musique de Club » et cet album « CLUB 12345 », deux ans et demi se sont écoulés. Que s’est-il passé pendant tout ce temps ?

La Bête : Pendant deux ans et demi, on a énormément tourné avec l’EP « Musique de Club ». On avait cinq titres, mais on a tourné quasiment un an et demi avec. Après il y a eu des petites dates par-ci par-là et ça s’est dissout comme ça dans le temps. On organisait en parallèle de cette tournée-là un truc qui s’appelait les Club Makers qu’on faisait À La Folie, un club à Paris juste avant la banlieue de l’autre côté du périph’. On avait une résidence tous les mois : on faisait une soirée avec des DJ qu’on aimait bien ou avec des gens qu’on ne connaissait pas, mais qu’on voulait rencontrer. Et on s’est dit que pour clore le chapitre « Musique de Club », on voulait se faire une espèce de caprice. On a organisé un méga Club Makers où, cette fois, c’était pas à deux heures que ça finissait, mais à six heures. C’était une all night long à La Machine du Moulin Rouge. Donc c’était plus gros. Après on a composé l’album de novembre 2016 à novembre 2017. On a fini de le masteriser à ce moment-là et il est sorti dans la foulée en 2018. Pendant un an, on a fait l’album et c’était une vingtaine de tracks, une vingtaine de démos qui sont devenues quinze maquettes, puis deux ont été enlevés puis après c’est devenu dix puis onze. Du coup, on n’a pas chômé et on a choisi les onze morceaux qui nous tenaient à cœur pour faire cet album.

  • Si j’ai bien compris, vous vous êtes pas mal déplacés pour concevoir cet album. Vous êtes allés en Bretagne et vous avez une sorte de QG. Où est-ce que vous avez enregistré concrètement cet album ?

La Bête : On a composé juste après la méga Club Makers dans une maison de famille de Majnoun pendant un mois. C’est là qu’on a composé les vingt cellules souches du truc. Après, on a un studio dans lequel on répète et on fait les prods. Et ça, c’est à Paris dans une cave, dans une espèce de HLM. Après on est allé enregistrer les voix avec Grand Marnier (producteur de Yelle, NDLR) à côté de Saint-Brieuc en juillet, à Pléneuf-Val-André, pendant une semaine et il y avait aussi Guillaume de The Shoes qui était là. Ensuite, on a fait une deuxième session pour refaire d’autres voix et reprendre celles de la première session à Vitré. Donc l’album s’est enregistré à plein d’endroits différents.

  • Ce disque est audacieux puisque vous mélangez beaucoup de genres musicaux. C’est quelque chose auquel on n’est pas habitué en France. Et puis au-delà de ça c’est la confrontation de deux univers : celui de la musique mainstream grand public que l’on peut entendre aujourd’hui et la musique indépendante, plus confidentielle. Est-ce que cette idée de confronter les genres et de perturber un peu les repères de chacun était une volonté de départ pour « CLUB 12345 » ?

Mus : Au-delà de la volonté, c’est surtout un truc qui est dû à l’air du temps dans lequel on vit aujourd’hui et à la façon dont se consomme la musique, essentiellement sur internet.

La Bête : Tu fais une division un peu entre mainstream et puis musique un peu plus pointue, plus indé et maintenant moins indé. C’est tellement rock que ça ne représente plus du tout les musiques qui sont maintenant indés. En fait, je pense que le mainstream s’inspire toujours de musiques de niche et elles ne sont plus des musiques de niche quand elles passent par Beyoncé ou Taylor Swift. Les instrus de ces meufs qui font des millions de vues, qui font des stades, sont des productions qui sont sur Soundcloud et qui sont des sous-genres de house, de jersey, de trap, etc. En fait, ça cohabite déjà et ce sont des musiques qui sont devenues mainstream. Après, la pop, c’est une manière de penser la musique en fait. C’est pas tant une touche musicale.

Maître Clap : En fait, le mainstream un peu américain, nous on le comprend pas tellement. Il est tellement rapide qu’en fait, un truc qui est un peu underground sur Soundcloud, toi le tu découvres et en fait bim… il est déjà repris ! En Amérique, ça va tellement vite que l’indé et le mainstream ont cette malignité à vraiment choper tout de suite les trucs qui marchent et les prendre pour les mettre au service de la pop mainstream. Nous, on n’est pas le mainstream, mais on va s’inspirer de ces choses qui sont sur Soundcloud.

La Bête : En fait, tu parlais de mélange, mais c’est juste qu’ils se mélangent naturellement. On écoute à longueur de temps les trucs qui sortent ; The Weeknd, par exemple, qui a sorti dernièrement une mixtape. Donc, en fait dans nos oreilles, ils se mélangent aussi simplement que ça. Notre musique rend ce mélange-là. Je pense que si l’on est dans un schéma un peu traditionnel de la pop française, de la musique française ou de ce qu’il se passe sur le marché français, on se dit, « Ah tiens, c’est nouveau ! ». C’est vraiment ce qui passe partout dans la musique pop moderne en fait.

  • La marge, c’est ce qui fait tenir la page… Cet album est aussi un manifeste. Il y a cette idée de club qui ressort complètement. Qu’est-ce que c’est ce concept de club concrètement ?

La Bête : Le club, c’est pratique parce que c’est un truc qui est autant un endroit réel qu’un endroit imaginaire. Et c’est aussi un horaire. C’est plein de choses dans lequel on vagabonde. Et, en premier lieu, c’est peut-être l’endroit où l’on a consommé la musique différemment par rapport à avant. C’est un endroit où les musiques, tu danses dessus, tu les prends dans la gueule de manière assez violente en vrai et tu danses dessus pendant six heures. C’est un endroit, en vrai, qui est un peu bizarre en fait. Tu restes six heures dans une boîte. Tu fais jamais ça dans la vie en fait, à part au taff où tu restes sept heures dans un endroit. Donc, c’était l’endroit où l’on consommait la musique et l’endroit où on la vivait et où on se vivait nous-mêmes différemment de la journée où l’on travaille par exemple. C’est l’endroit où pour la première fois on s’est révélés à nous-mêmes et où on a osé devenir les personnes qu’on est maintenant. On s’est libérés. « Johnny is back » quoi ! C’est une espèce de parallèle comme un film dans lequel on va s’écrire tous à travers la musique et c’est aussi un lieu très réel où il se passe des choses hyper importantes, où les gens se rencontrent. Et c’est ce qu’on essaie de créer dans nos lives.

Maître Clap : C’est un peu à l’origine de l’ADN de Bagarre déjà, avant même qu’on enregistre des chansons, etc. On avait déjà ce projet-là : être un groupe de live, mais avoir l’ambition de jouer en club, en pleine nuit et de jouer après un DJ. Nous, on jouait en live des musiques électroniques qui nous ont inspirés, la musique clubbing. Et ensuite c’est devenu plus que ça. C’est devenu tout ce qu’on projette dans notre idéal. Et on le place dans ce « CLUB 12345 ». Et c’est ce qu’on a vraiment voulu mettre sur l’album.

Majnoun : Et après comme l’album s’appelle pas que « CLUB », mais « CLUB 12345 », c’est vraiment par rapport à notre fonctionnement qui est qu’on va tous devant, qu’on chante tous, qu’on compose tous et les morceaux viennent à chaque fois d’envies très intérieures, très personnelles. Comme si l’ego de chacun, ce qui fait son intériorité et ses envies musicales devaient être portés au-devant de la scène. Ce qu’on n’avait pas forcément réussi à faire sur « Musique de Club ». Avant, avec Mus, par exemple qui est sur un morceau lead qui s’appelle « Miroir », la promesse de Bagarre qui est de se dire « on va tous être lead singer » est là. On parle de l’horizontalité comme si c’était un truc qui nivelait, mais en fait non, c’est de se dire qu’on va tous être en haut de la montagne et pas tous sur une plaine toute plate.

La Bête : Ces grands clubs, tu n’y vas pas de la même manière que tu vas à un concert. Les concerts, c’est déjà des horaires plus normaux et surtout les gens vont tous au même endroit pour écouter la même chanson et le même artiste qu’ils connaissent. Il y a un truc d’initiés en fait. Alors que dans le club, les gens ils y vont pour danser, mais pas forcément sur une musique précise. Ils ne choisissent pas vraiment les gens avec qui ils vont aller danser. Donc, il y a un truc où chacun y va pour des raisons très différentes. Et c’est un endroit où contrairement aux concerts il n’y a pas de scène, il n’y a pas de fosse. Et le DJ, il va mixer pour toi. Et si toi tu t’enjailles, tu vas lui donner quelque chose qui va le motiver, qu’il va te redonner et ainsi de suite. Ça crée une espèce d’horizontalité qui ne fait que forcer un truc d’individualité réel. Moi je suis là, toi t’es là, on est là tous ensemble et c’est pas du dualisme. C’est la version positive de ça.

Maître Clap : Ouais, chacun veut être la star de la soirée quand il descend dans le club alors qu’en concert tu sais qui est sur le devant de la scène.

La Bête : Ou la vraie star, c’est peut-être la soirée elle-même, en fait…

  • Alors justement votre club il ressemble à quoi sur scène ?

Maître Clap : C’est un gros bordel (rires). Dans l’idée en tout cas. La scénographie idéale de Bagarre quand le concert se déroule bien à la fin les gens montent sur la scène, nous on descend dans la fosse. Et justement dans une salle de concert basique, en tout cas, on essaie de créer ce truc-là où on supprime la frontière entre la scène et la fosse quoi. Donc si on est engloutis par le public c’est très bien. Quand on nous voit plus c’est que la scéno est bien réussie.

La Bête : C’est une scénographie en mouvement. Il y a rien à l’origine, mais tout est à faire. Il y a un décor qui dit « Bagarre. Club. ». Et après le reste il faut le faire en direct.

  • Est-ce que vous vous préparez physiquement avant un concert ?

Emmaï Dee : On s’échauffe avec des exercices de voix, des exercices de corps et un peu de gym tonique !

Majnoun : Oui, c’était pas le cas avant. Maintenant, on a des concerts plus longs. Peut-être qu’on est plus sérieux et donc on s’échauffe la voix. On se met en mouvement, on fait des mouvements de boxe. Ce genre de choses…

La Bête : Il y a un truc un peu athlétique dans le délire. On est sur scène, on y est pas à moitié. On danse quasiment pendant tout le show donc grosso modo une heure. Selon l’intensité du truc, c’est un peu plus que danser. On peut aller dans la foule aussi se prendre des bains de pogo. Donc, en vrai, il y a un truc assez kiffant. C’est pas simplement un truc de rockeur où on se la colle. C’est pas un truc où on se déglingue. Il faut que ce soit un truc bien fait. Il y a un contexte un peu sportif qui est bien kiffant là-dedans.

Maître Clap : Je sais pas si on a encore une vraie rigueur d’athlète. On répète, on danse pas mal pendant les balances et tout pour pas faire des chorégraphies, mais presque. On adore danser et sur scène c’est important de bien danser. Ça ambiance vachement les gens. Tu les invites à danser eux-mêmes en dansant toi. On répète un peu nos mouvs dans les loges. En fait, on se fait une petite soirée souvent en vrai. C’est un peu le truc qui est institué. On passe du gros son avant dans les loges, on danse et comme ça, on est chauds. C’est à tel point physique que les concerts, ça peut guérir si t’es malade. Moi j’avais la grippe, j’ai fait un concert et après c’était parti. C’est les suées qui te réparent quoi.

La Bête : Ou même les courbatures d’ailleurs. Souvent elles sont enlevées le jour même. Par exemple là, on a les courbatures d’hier. Là on va faire un concert, on n’aura pas celles-là. On va réchauffer les muscles.

  • Donc Bagarre en concert c’est un peu une thérapie en fait ?

La Bête : C’est une thérapie de groupe peut-être. Non c’est pas une thérapie, c’est un sport collectif, je pense.

crédit : Flavien Prioreau

Interview réalisée en collaboration avec Radio Campus Tours


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Yann Puron

Découvreur musical avide d'émotions fortes aussi bien sur disques qu'en concerts