[LP] S. Carey – Hundred Acres

Quatre ans après. La nature a grandi et n’a écouté que sa logique prolifique, dans les hautes plaines ravagées par l’or des tiges, dans l’eau calme des grands lacs, dans les forêts majestueuses du nord américain que S. Carey vénérait déjà à travers le naturaliste « Range Of Light ». Aujourd’hui, il arrive dépouillé, démêle naturellement ses cordes dans l’acoustique des caissons de bois, simple et fidèle à ses fumées vocales. « Hundred Acres » semble plus grand que les hectares qu’il compte, mais se recentre également dans des recoins plus intimes, cette fois ; dans la limite de la vision de son auteur, qui n’en finit pas de broder les odes mélodieuses de notre Mère suprême.

La joie mélancolique : c’est ce qui caractérise le mieux cette autre page tournée de l’artiste américain, confrère de scène et ami de Justin Vernon (personne qu’on ne présente plus, tant son projet Bon Iver & déstabilisé plus d’un mélomane). D’ailleurs, de cette branche solide et généreuse, et pour peu que nos oreilles soient aiguisées à ce genre de rapprochement, S. Carey s’inspire bien évidemment du caractère épiphanique et automnal de Bon Iver. Des fantômes de « All We Grow » jusqu’à ceux, plus bucoliques, de « Hundred Acres », il a toujours su de différencier de ses pairs en affluant vers une musique originelle, plus « terre à terre » et en concordance avec les origines folk de son Amérique, afin d’offrir des odes au naturalisme musical.

À valeur épicurienne, l’album est un traité sur ce qui est vraiment nécessaire dans la vie, un projet étonnamment utilitaire qui souligne le pouvoir de durer, dans un désir d’atteindre l’utopie de la simplicité. « And I won’t say too much / No need to say too much (Et je n’en dirai pas trop / Pas besoin d’en dire trop) », chante Carey sur « Emery ». Cela résume ses préoccupations : laisser libre cours au silence pour, ainsi, panser les âmes en ébullition, les têtes couronnées d’une dose de surmenage. Se recentrer sur soi et ses origines force le mental à couper court à la fioriture et guérir bien des blessures ; ce postulat se retrouve dans ces dix pistes parfumées à l’amour. D’une certaine manière, et selon Carey, qui rapproche indéniablement « origine » et « famille », chaque moment est un instantané, une photographie qui capture des bribes du quotidien, des dédicaces à sa famille ; comme pour se rappeler que la vie, tout comme la musique, a une qualité profondément éphémère.

Tel un collage « ad hoc » sur le frigo familial et, plus largement, des photos magistralement surpeintes embrassant une simplicité et droiture lyrique, désespérément belle, révélatrice et à couper le souffle. Musicalement, le dépouillement de « Hundred Acres » marque l’évolution de l’artiste sur les précédents échos bucoliques de « Range of Light » ou même l’électronique naturaliste de l’EP « Hoyas ». Les cordes sont, ici, maitresses des lieux. Frottées ou grattées, elles libèrent toutes les essences de la contemplation ; car, au final, intime ou non, elle est le fondement même de l’empathie que S. Carey veut nous insérer dans notre affect. Observer, comprendre, aimer : l’ordre est plus logique qu’il n’y paraît.

crédit : Cameron Wittig

« Hundred Acres » de S. Carey est disponible depuis le 23 février 2018 chez Jagjaguwar.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante