[Interview] Alice et Moi

Depuis la sortie de son excellent EP « Filme Moi », Alice et Moi connaît une fulgurante ascension largement méritée. En effet, la musicienne a su créer, au sein du monde pourtant fermé de la chanson française, des histoires sonores entre innocence et constat, entre amertume et révolte, entre résiliation et éveil. N’hésitant pas à mettre en scène ses pensées et émotions pour donner corps et vie à ses créations, elle se laisse porter par ce flot continu d’inspiration, celui-là même sans lequel il nous manquerait définitivement une présence dans nos existences. Laissons donc Alice s’exprimer sur sa musique, sa motivation et son regard perçant sur l’humanité dont elle parvient, par sa beauté et son talent, à illuminer les ambiances tristes et ternes.

crédit : Randolph Lungela
  • Bonjour et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, peux-tu nous expliquer comment et pourquoi le projet Alice et Moi est né ?

J’ai toujours aimé faire de la musique, mais cela m’effrayait en même temps. Je pense qu’au fond, j’avais besoin d’aller au bout de mes études et de voir ce que ça me faisait. Lorsque j’ai fini mon Master à Sciences Po, je me suis retrouvée face à la certitude que c’était ce que je voulais faire de ma vie, et rien d’autre. J’étais prête. J’ai créé Alice et Moi et j’ai décidé de me lever tous les matins pour faire de la musique, faire avancer mon projet.

  • Le nom lui-même, Alice et Moi, semble évoquer une dualité. Faut-il y voir un personnage que tu joues, mais qui s’inspire d’un vécu que tu as eu toi-même, ou une simple héroïne de fiction ?

Il y a un mélange de fiction et de réalité. Il y a Alice qui monte sur scène, un œil dessiné dans sa main, qui fixe la foule et qui chante « Filme Moi » ; et il y a « moi » aussi, qui rêve de vivre ces moments, qui a peur que cela s’arrête, qui chille en pyjama devant des séries le dimanche. Et, en même temps, j’ai l’impression d’être vraiment moi quand je suis sur scène, et peut être que la Alice de la vie de tous les jours s’éloignerait de celle que je suis censée être parfois ? Je ne sais pas, comme tu vois, on s’y perd vite !

Après, j’aimais aussi beaucoup l’idée que chaque personne qui prononce mon nom de scène puisse créer un lien avec moi, avec Alice. Il y a une intimité qui apparaît et je trouve ça joli, car je veux faire de la musique pour toucher les gens.

  • Ton EP, « Filme Moi », explore de nombreux sujets très actuels. Le titre éponyme, par exemple, ainsi que le clip qui l’accompagne, font de l’image la source de toutes les admirations, alors que la véritable personnalité se cache derrière. Que cherchais-tu à évoquer à travers ce titre et cette vidéo ?

C’est vrai que l’image me passionne et, surtout, le rapport que l’on a avec notre propre image, à travers des écrans, des reflets, des miroirs.

Je crois que, pour « Filme Moi », il y a plusieurs facettes : une où j’assume le narcissisme à fond, me joue de ses codes et fait la cam girl. Une où, sincèrement, je comprends ce besoin humain ne pas être oublié, d’être vu et reconnu. C’est un sentiment universel je pense, qui nous frappe à un moment où un autre de notre vie. Que cela soit à grande échelle, vouloir marquer les gens, ne pas être perdu dans la masse ; ou même, à plus petite échelle, ne pas être oublié par la personne que l’on aime, figer des moments d’intimité en filmant chaque instant, de peur qu’ils disparaissent. Je dois avouer que l’idée que des souvenirs heureux puissent me quitter me terrorise.

Et, enfin, il y a aussi l’idée du regard que l’autre porte sur nous, la peur de ne pas être vu pour qui on est vraiment, à travers des filtres que l’on se met, que la société nous met, comme lorsque je dis « Toutes ces choses dans mon âme qui s’affichent derrière l’écran, tu les vois différemment ».

  • Tu n’hésites d’ailleurs pas à te mettre en scène dans le clip en jouant de ta propre image. Était-ce nécessaire, voire inévitable, pour transmettre ce que tu désirais faire passer à travers la chanson elle-même ?

J’adore jouer de mon image, j’ai toujours aimé ça, depuis que je suis gosse. Je me mettais en scène, je testais les gens, et je testais aussi mon propre rapport à l’image que je me faisais de moi. J’ai vraiment apprécié de faire la cam girl, il y a un côté cynique et, en même temps, sincère. Je ne saurai pas expliquer davantage…

  • « Il y a » est une chanson très marquante, car elle retranscrit ce qu’une personne ivre peut ressentir et, ainsi, révéler d’elle-même sous l’effet de l’alcool. Comment as-tu choisi les images que tu exprimes dans ce texte en particulier, ainsi que la solitude que le personnage cherche dans cet état ?

C’est un sentiment qui m’envahit de temps en temps, quand je suis parmi une foule de personnes en soirée. L’impression de voir les choses de côté, d’être en dehors. Pour moi, c’est une des pires formes de solitude, celle qui implique d’autres gens. Ça me donne l’impression éphémère de n’aimer personne et de n’appartenir nulle part. J’ai voulu raconter ça sur une musique plutôt dansante et joyeuse, pour renforcer le contraste entre mes propos et le son, en écho au contraste entre la masse qui passe un bon moment et l’individualité qui n’arrive pas à s’intégrer.

  • « Cent fois » est une vision du couple qui se cherche, se retrouve et se rejette, comme un jeu de séduction-répulsion pour comprendre la dépendance à l’autre. D’où t’es venue l’inspiration pour cette chanson ?

Disons que c’était à un moment de ma vie où je voulais à tout prix ressentir des choses. Pour moi, cette chanson est un appel à la passion, qu’elle soit bénéfique ou destructrice. C’est une supplication, un besoin urgent d’amour et de violence (pour reprendre les mots de Sébastien Tellier !). Parfois, tout vaut mieux que rien.

  • « C’est toi qu’elle préfère » fait de la jalousie un tourment, mais également une résignation. De même, le clip qui l’accompagne met en scène deux jumelles en confrontation, de façon visuellement marquante. Comment parviens-tu à analyser d’une aussi belle manière les différents tourments de l’âme humaine ?

Alors tout d’abord, merci ! Je ne sais pas si j’arrive à analyser les tourments de l’âme humaine, mais je sais que je suis hypersensible et traversée par pas mal d’émotions, donc cela doit jouer un peu. Pour « C’est toi qu’elle préfère », c’est vrai que j’ai pensé à la jalousie et la résignation comme deux émotions qui vont ensemble. Cela ne va pas de soi, car la jalousie, c’est justement le fait de se rendre fou, de ne pas se raisonner, de ne pas accepter. Mais j’aimais bien l’idée, justement, d’une jalousie résignée, où l’on accepte de perdre quelque chose face à quelqu’un, de laisser partir un amour, un désir, un rêve…

  • « Éoliennes » se démarque du reste de l’EP, car il semble beaucoup personnel et axé sur le souvenir et la mélancolie qu’il inspire. Comment considères-tu ce titre par rapport aux autres ?

Oui, c’est un titre un peu différent. C’est pour cela qu’il clôt l’EP, comme une sorte de rêverie finale. Il correspond, pour moi, à cette sensation que l’on peut avoir lorsqu’on part en voyage, que l’on regarde par la fenêtre et que l’on voit défiler des éoliennes. Quelque chose entre la mélancolie, l’ennui et, en même temps, l’instant présent.

  • Et comment expliques-tu cette impression qu’il donne de te révéler plus que les chansons précédentes ?

Alors là, je ne sais pas du tout car, pour moi, je me révèle autant dans chacune d’elles ! Mais c’est vrai qu’elle me touche d’une façon différente. Je me souviens avec exactitude de ces sensations qui me serraient la gorge en voiture, de l’enfance à l’adolescence : sentir le temps passer, couler sur soi.

  • Musicalement, « Filme Moi » fait de la sobriété une marque de fabrique. Chaque instrument est à sa place, sans surcharger les arrangements et pour valoriser ta voix. Comment se déroule ton processus de composition ?

C’est un mélange d’inspiration de la vie quotidienne, de bouts de textes écrits dans le métro, de playlists Spotify avec les artistes qui m’inspirent, de mémos vocaux sur mon téléphone, de partage avec des gens très doués et passionnés, et de projection.

Sur cet EP, par exemple, je sais que je voulais à tout prix des chansons en français, à la fois entraînantes et mélancoliques, personnelles et dansantes. J’ai eu la chance de rencontrer deux garçons avec qui j’ai travaillé pendant un an : Ivan Sjoberg et Jean-Baptiste Beurier. Chacun avait son domaine de prédilection : Ivan, la base des compo, JB, la base des sons et moi, la base des paroles. Mais on a tous participé dans tout, évidemment. Pour les prochaines, je continue à créer avec Ivan et je développe de plus en plus ma façon d’écrire, je me lâche encore plus dans les paroles et j’adore ça. Et, depuis peu, je bosse avec un réalisateur dont j’apprécie beaucoup le travail, Angelo Foley.

crédit : Randolph Lungela
  • Tu as acquis, au fil des mois, une notoriété qui ne cesse de grandir. Que ressens-tu par rapport à ce phénomène ? Comment l’abordes-tu, personnellement ?

Je ne sais pas si on peut parler de « notoriété » mais merci ! En tout cas, j’ai de la chance : ma musique est écoutée, des gens viennent à mes concerts… Une famille est venue me voir de Suisse aux Bars en Trans, mes amis et ma famille m’ont déjà dit qu’ils m’avaient entendu sur Fip ou sur une playlist Spotify. Ce sont déjà des petites joies où je me dis que j’ai beaucoup de chance. Après, bien sûr, j’aimerais pouvoir toucher encore plus de monde ; ce serait le rêve.

  • Les sujets que tu abordes dans l’EP sont très intimes et sensibles, humainement parlant. Comment, dans ces conditions, abordes-tu les concerts que tu donnes ?

Ce sont toujours des moments d’émotion. J’ai l’impression à chaque fois de me livrer, à chaque fois de repousser mes limites, d’oser, enfin. En plus, j’ai une bonne équipe avec moi. Adrien, qui fait les synthés et la basse, Noé, alias Amarillo, qui fait du SPD et des percus, et Antonin, alias Dani Terreur, qui fait de la guitare. On est une joyeux bande de fous de musique et de scène. On passe de très bons moments. Quand les gens chantent à tue-tête les « filme moi », quand je les regarde en criant « laissez-moi seule » pour enfin dire « aime-moi », tout en plongeant mon regard dans la foule, un œil dans la main… Ah ! Je suis complètement accro, j’avoue !

  • Quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Mes prochaines dates sur Paris sont le 30 janvier au Café de la Danse pour le Ricard Live, le 1er Février au FGO-Barbara et le 3 mars au Hasard Ludique. Sinon, on a joué « Filme Moi » en acoustique dans un love hotel pour le Bruit des Graviers, la session ne devrait pas tarder à sortir ! Et enfin, il y a un clip qui va sortir prochainement : celui de « Il y a », justement. Je l’ai réalisé avec mon ami Randolph Lungela, qui prend aussi mes photos. J’ai hâte et j’espère qu’il plaira !

crédit : Randolph Lungela

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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.