[Interview] Saratoga

Saratoga, discret duo folk-pop à la vie et à la scène, formé par les Québécois Chantal Archambault et Michel-Olivier Gasse, est à l’affiche, ce mercredi 17 janvier, de la vitrine musicale canadienne francophone Côte à Côte, à l’occasion des Biennales Internationales du Spectacle. Le rendez-vous biannuel incontournable des professionnels du spectacle (musique, cirque, art contemporain…) renouvelle son partenariat privilégié avec le Canada pour y accueillir, deux jours durant, représentants, artistes, labels ou encore festivals qui consacrent leur talent et leur énergie à défendre la Francophonie. Avant de les retrouver sur la scène de la Cité des Congrès, partagée à cette occasion avec deux autres formations canadiennes (le phénomène folk-rock québécois Émile Bilodeau, auteur d’un premier album, « Rites de Passage », encensé par la presse canadienne, et le groupe rock progressif Les Hôtesses d’Hilaire, emmené par l’attachant Serge Brideau, porte-parole passionné de la Francophonie dans la Province du Nouveau-Brunswick), Saratoga a pris le temps de nous raconter, avec tendresse, attention et générosité, son drôle de parcours. Son histoire est avant tout celle d’une retrouvaille imprévue mais bienvenue entre deux talents montréalais aux parcours d’abord solitaires, dont les voix (et les cœurs) se sont définitivement trouvés et s’unissent depuis 2015 avec magie, sur disque comme sur les planches.

crédit : LePetitRusse
  • Bonjour, tout d’abord, pouvez-vous nous dire comment a commencé l’aventure Saratoga ?

Le projet vu le jour de façon circonstancielle, pour combler un trou dans nos calendriers respectifs. Comme nous avions, chacun de notre côté, des chansons qui n’avaient pas voyagé à notre goût, en plus d’une bonne entente évidente et une grande facilité à jouer ensemble, nous avons vite monté un projet qui nous permettrait de voir du pays avec nos chansons, tout en voyageant léger.

  • Dans votre communiqué de presse, on peut lire que vous reprenez aussi bien des chansons de vos répertoires respectifs que des nouvelles compositions et des reprises. Dans tous ces différents catalogues, comment savez-vous, à un moment précis, que vous allez orienter votre travail sur l’une de ces trois possibilités ?

La question du répertoire en est une qui ne cesse de varier avec le temps. Lors de notre première tournée, alors que nous n’avions qu’un EP de cinq titres à soutenir, nos « répertoires respectifs » sont venus en renforts pour nous permettre d’offrir plus d’une heure de matériel original. Un certain ménage a ensuite été fait pour accueillir les nouvelles chansons de notre album, un an plus tard. Et on recommencera pour le prochain. Pour ce qui est des reprises, je crois que c’est le même cas pour tout le monde : un heureux mélange de plaisir personnel, de cadeau au public et d’espace à remplir dans le spectacle.

  • De même, au fil de vos disques, comment les réunissez-vous afin d’assurer une cohérence parfaite dans le déroulement des titres et des ambiances ?

Nous avons un grand désir d’unité en ce qui a trait au son et à l’ambiance. Nous désirons proposer une avenue en particulier, puis l’approfondir avec souci et respect. Ceci dit, nous sommes encore très tôt dans notre histoire personnelle pour avoir de la difficulté à réunir notre répertoire à la même adresse.

  • Votre musique est qualifiée de folk, mais elle est bien plus que ça, notamment sur « Fleur ». Vous mélangez des éléments et instruments acoustiques autour de vos voix et dépassez largement le cadre du folk. Comment se crée une chanson pour Saratoga ?

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le folk a le dos large. En somme, il ne nécessite qu’au minimum une guitare, une voix, une histoire et pas d’électricité. Nous ne nous définissons comme folk que parce qu’il s’agit là de la réponse à une question inlassablement posée pour combler un besoin de contenir, de définir. Mais en somme, notre musique est le résultat d’une union, et ce résultat serait tout autre si l’un des membres devait être remplacé.

Pour le reste, la formule parfaite au niveau de la création n’a pas encore été trouvée, si on doit y parvenir un jour. Mais, globalement, ça part dans la tête de Chantal, où vivent conjointement des centaines de projets et de mélodies. Elle les accueille, une à une, les peaufine, puis on y met les bons mots, jusqu’à avoir un tableau qui nous plaît. Ça a l’air tout simple, mais ça ne l’est pas du tout. On se prend souvent la tête pour une histoire d’un mot. Ça vaut le coup.

  • L’autre élément primordial du style si particulier de Saratoga est la cohésion de vos voix, leur complémentarité quand vous chantez ensemble. On ressent une impression de dialogue, d’écoute et de confidence que l’on trouve rarement ailleurs. Est-ce ce qui vous a poussés à débuter cette histoire ensemble ? Et est-ce la pièce centrale de votre édifice musical ?

Nous sommes bien conscients de cette immense chance d’avoir des voix complémentaires. Nous aurions pu être remplis des plus belles intentions, munis chacun des grandes voix sans toutefois que la sauce pogne, comme on dit chez nous. C’est un truc qui s’est un peu révélé à nous à force de représentations, parce qu’autrement, c’est quelque chose qui allait de soi. Avant Saratoga, j’accompagnais Chantal dans son projet, et je la suivais quand même lors des contrats peu payants où elle devait se présenter en solo. Nous avons donc commencé à chanter ensemble sur ses chansons, et c’est le confort qui a dicté le reste. Ceci dit, si Chantal a une voix qui nous vient du ciel, la mienne vient de la poussière et de la gadoue, et ça réussit rarement du premier coup. Mais lorsqu’on chante un nouveau truc et qu’on trouve enfin la zone, notre zone, le sentiment qui en ressort est précieux et redoutable.

  • « Fleur » est remarquablement bien arrangé, grâce à l’apparition de nombreux instruments. De qui vous êtes-vous entourés pour réaliser ce disque ? Pouvez-vous nous présenter vos collaborateurs ?

Toute cette histoire part de notre grand ami Guillaume Bourque, qui était à l’époque le guitariste de Chantal et avec qui j’ai moi-même été, à un certain moment, dans trois groupes différents. L’amour qu’on lui porte ainsi que le respect, tant au niveau musical qu’humain, en ont fait le seul candidat possible, même s’il n’avait, en soi, jamais réalisé d’album. Nous ne lui avions soumis que l’idée que nous voulions habiller les chansons un minimum, de manière à ne pas ressentir de manque une fois venu le temps de se présenter en duo. Après s’être imaginé une clarinette basse doubler une certaine ligne de contrebasse, l’idée du trio de bois s’est rapidement développée dans son esprit. Encore une fois, c’était son premier exercice du genre, il fallait le voir nous jouer ça sur sa guitare, et se croiser les doigts une fois en studio. Mais la magie a opéré, grâce à Mélanie Harel, hautboïste pour l’orchestre métropolitain, et un autre Guillaume Bourque, clarinettiste celui-là, un musicien hautement versatile, qui ont donné vie à toutes les partitions. Ajoutons Dominic Desjardins, détenteur de la seule maîtrise en banjo au Canada, venu gratter sur deux chansons, puis notre ami David Laurendeau à la sonorisation et vous avez la totalité de l’équipe de « Fleur ». Une petite famille qui s’élargit à l’occasion pour certains spectacles d’envergure, où on se flanque d’un quatuor de bois. Je me sens pas mal dans Pink Floyd, à ces moments-là.

  • Vos chansons sont une conversation entre un homme et une femme, un échange constant. Dans votre processus d’écriture, comment vous partagez-vous les textes, ou les éléments qui les constituent ?

Comme nous chantons en grande partie à deux voix, nous avons tenté d’éliminer au maximum les « je » du texte, si chers à la musique folk. Nos textes se doivent donc de n’être ni à la première personne, ni féminin, ni masculin, et s’ils doivent emprunter une voie introspective, que ce soit, d’une certaine façon, de manière globale. Comme nos vies personnelles vont plutôt bien et que chanter le bonheur devient vite lassant, nous avons préféré regarder autour de nous pour nous inspirer d’enjeux que nous trouvions riches et sensés, que les vies qui nous entourent viennent nourrir nos propos afin que chacun trouve sa façon propre de s’y rattacher.

  • Vous êtes beaucoup imprégnés d’images sentimentales simples, qui donnent envie de se simplifier l’existence grâce à de petits détails, à une confiance presque aveugle, mais pourtant à portée de main. Cette innocence, pour vous, est-elle la base du lien entre les individus, ou dans le couple ?

J’ai du mal à parler d’innocence dans cette situation. J’irais plutôt vers la confiance en soi, confiance en l’autre. Un projet de société viable, ça commence par des gens bien dans leur peau, dans leur entourage. L’action locale, à petite échelle, ne peut que faire des petits et grandir. Quand je regarde le monde en général, j’ai envie de pleurer. Quand je regarde les gens un à un, la plupart du temps, je les trouve beaux. Ultimement, on peut arriver à quelque chose, faut seulement en être conscient. Si on ne devait retenir qu’un seul message de nos chansons, ça serait : « Ralentis, respire, défais-toi de l’inutile, ferme ton maudit téléphone et sois bon avec les gens. »

  • Comment est née la chanson « Jack » ? Comment sont apparus ces aventures, ces malchances et ce réconfort au comptoir ou dans une aube nouvelle, « le cœur qui voit flou » ?

Jack est un proche de Chantal dont la vie bancale méritait une chanson ; façon de donner un coup de main, un coup d’espoir. Et, sans nécessairement nous attribuer de crédit, Jack va beaucoup mieux aujourd’hui. Ceci dit, au niveau de la création, celle-ci a fonctionné de façon quelque peu différente, alors que Chantal a sorti la mélodie puis me l’a présentée avec un sujet, une approche et un message clair : « Celle-là, c’est toi qui l’écris. Je suis un peu lâche, mais plutôt serviable. »

  • « Noëla » vit une existence assez tourmentée, mais qu’elle aborde avec simplicité et résignation. Ces deux-là, elle et Jack, ne sont-ils pas faits pour se rencontrer ?

J’ai la vive impression que Jack a fréquenté quelques Noëla dans sa vie, même si cette dernière, en ce qui nous concerne, est une fabulation, un best of de travers. Franchement, on souhaite mieux que ça à Jack.

  • « Les derniers jours » clôt merveilleusement « Fleur », qui apparaît alors comme un cheminement de vie, de la naissance à la disparition. Est-ce une idée que vous aviez avant de commencer la composition du disque, ou est-elle venue naturellement au fil des sessions ?

En fait, cette chanson est la seule du lot qui existait déjà. Seulement deux chansons sur l’album n’ont pas été écrites à deux, « Masque de pluie » est de Chantal, et j’ai écrit « Les derniers jours » il y a quelques années, suite à la mort d’une amie, terrassée par deux cancers de suite. J’ai voulu y évoquer les derniers moments imposés d’une vie qui n’était pas terminée. Cette idée qu’elle soit mourante et qu’elle doive néanmoins gérer le malaise des gens qu’elle croise.

crédit : LePetitRusse
  • Comment envisagez-vous le partage de vos chansons, très intimes et confidentielles dans les sentiments qu’elles inspirent, avec le public, lors de vos concerts ?

Nous sommes deux petites personnes plutôt enjouées, quoi que notre musique laisse paraître. On dit beaucoup de conneries en spectacle, ça balance l’affaire, et on a un plaisir fou.

  • Vous allez vous produire dans le cadre des BIS de Nantes, pour la vitrine musicale canadienne francophone. Qu’attendez-vous de ce moment en particulier, qui permettra à beaucoup de vous découvrir ou de vous rencontrer en France ?

Franchement, la première chose à laquelle on s’attend, c’est que Chantal n’accouche pas sur scène. Notre tournée en soi est terminée et nous faisons exception pour le BIS. On est limite, mais encore viable ; on va juste avancer plus lentement. Pour le reste, on aimerait bien que la France nous aime autant qu’on l’aime. Qu’on parte sur des bases solides ; après, le reste, ça se fait tout seul.

Pour découvrir Saratoga, Émile Bilodeau et les Hôtesses d’Hilaire en concert, rendez-vous mercredi 10 janvier à la Cité des Congrès de Nantes, à partir de 20h30. Entrée gratuite sur invitation à retirer sur le site de Côte à Côte : www.coteacoteauxbis.com/2018/


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.