[Interview] Proksima

Proksima est un phénomène sans nulle autre pareille. Rencontre de trois formidables créatrices, le projet ne cesse, depuis des années, de réinventer le concept trop souvent étriqué d’œuvre d’art globale, celui-là même qui suppose que chaque partie s’implique corps et âme dans un tout cohérent et faisant sens. Ce que le trio parvient à accomplir avec autant de passion que de dévotion, nous offrant régulièrement de superbes sources visuelles et sonores dans lesquelles il est impossible de ne pas pénétrer à notre tour. Nous voulions laisser Paola Cardone, Anouchka Djurdjevac et Elodie Murtas nous parler de Proksima ; car elles seules sont à même de nous confier les clés de leur monde entre fragilité et affirmation, entre beauté et fascination.

  • Bonjour à toutes les trois et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter Proksima : votre rencontre, la genèse du projet et son évolution au fil des années ?

Lorsque nous nous sommes rencontrées, Paola et Anouchka, chacune d’entre nous explorait, dans sa solitude, sa propre expression: la danse et l’écriture pour Anouchka et la musique pour Paola. De là a débuté un véritable dialogue entre nous dans l’exploration de nos univers propres ouvrant la voie à un projet commun, à une envie de construire une expressivité commune.

Notre première idée, fondatrice de nos projets futurs, a été d’explorer le corps nu, dépouillé de tout superflu, pour aller vers l’essence même de l’être dans son union avec la nature. La nudité charnelle devenant secondaire, le corps s’habillant de sa propre expression, comme un arbre se transformant au fil des saisons. La photographie fut le premier support qui nous permis d’explorer ces instants de communion. Cette réflexion initiale ouvrit la voie à une envie d’aller se confronter à des thématiques qui nous dérangeaient, liées aux rapports de force, afin de dépasser la limitation de l’insupportable par la danse, la musique, les mots. En se matérialisant dans des courts-métrages, le réel cruel se transformait en un onirisme libérateur. Quelle libération ! Ce projet, intitulé Noi-Siamo, évolue toujours en parallèle de Proksima.

Contrairement à Noi-Siamo, où la musique sert la thématique, Proksima naît de la musique. Nous avions envie de laisser nos inconscients s’exprimer pleinement, de voir jusqu’où ils pourraient nous amener. Ceci dans une forme d’écho où la danse, les mots et le film répondraient à la découverte d’un univers musical et amèneraient leurs propres strates expressives. La symbiose de ces expressions se laissant découvrir comme une surprise, comme une création autonome ajoutant au prisme initial de nouvelles faces. La rencontre avec Elodie s’est faite, notamment, au travers de ses courts-métrages. Ses thématiques sur l’intimité nous bouleversèrent, car nous avions accès, au travers des images, à une intériorité se révélant dans l’ordinaire, dans un détail semblant anodin, traduisant sans concession la puissance des émotions enfouies.

C’est ainsi que Proksima s’est construit au fil du temps et continue d’évoluer dans un dialogue et un questionnement permanents.

  • Parlons de votre premier album, « Léthé », sorti en 2011. Pourquoi avoir choisi ce titre qui, si je ne me trompe pas, fait référence à l’Oubli autant qu’à Baudelaire ?

Paola, Elodie et Anouchka : Si, effectivement, « Léthé » fait référence au fleuve de l’oubli, nous l’avons envisagé comme un clin d’œil, en imaginant que les âmes pouvaient ne pas être complètement imprégnées par cette eau et, de ce fait, conserver un vague souvenir lointain de leurs vies passées. La place importante de l’inconscient dans notre projet porte en elle, certainement, des réminiscences qui nous dépassent.

  • Le disque est entièrement instrumental. De ce fait, il ressemble beaucoup à une musique de long-métrage, quelque part entre le film noir et le fantastique des années 1980. De plus, des titres comme « Duel » et « Racine » développent cette sensation presque palpable de se sentir observé, épié. Quelles étaient vos intentions avec ce premier album ?

Paola, Elodie et Anouchka : Ce premier album a été créé comme un état d’urgence, un besoin d’extérioriser et de partager une pulsion de vie dans la fuite, le combat, le duel, dans une course effrénée, un insatiable mouvement rythmé par des temps d’apaisement. La sensation de se sentir épié et observé que tu ressens dans « Duel » et « Racine » découle peut-être de ce qui nous pousse à fuir. Quant au choix de l’instrumental, il s’est vécu comme une recherche de l’existentiel, comme une ouverture à l’imaginaire ; les mots, quant à eux, s’imposant dans les titres des musiques afin de toucher à l’essentiel.

  • « Léthé » est en progression constante, passant d’atmosphères assez dépouillées et obscures à des pistes plus lumineuses et complexes. Y a-t-il une histoire que l’on pourrait raconter au fil de cet opus ?

Paola, Elodie et Anouchka : Selon nous, cet album pourrait s’apparenter à un road-movie incessant, où les paysages traversés se transforment dans l’étendue de leurs contrastes, à la recherche du lieu absolu qui ne se laisse pas apprivoiser, de ce même lieu qui nous permettrait d’échapper à la réalité. D’où les alternances d’atmosphères qui pourraient être symbolisées par des montagnes russes qui ne s’arrêteraient jamais.

  • Le clip qui accompagne « Témoin » marque déjà, de façon très intense, votre langage artistique ; à savoir, ce mélange à la fois onirique et réaliste de l’image, de la danse et de la musique comme expressions d’une exaltation, d’un cri que l’on voudrait pousser mais qui ressort dans l’aspect visuel, sonore et chorégraphique. Est-ce une démarque cathartique, aussi bien pour vous que pour les auditeurs et spectateurs ?

Paola, Elodie et Anouchka : Effectivement, pour nous, toute création est une forme de libération, un exutoire qui permet d’ouvrir de nouvelles dimensions, qui exprime avec force ce qui ne veut pas être entendu, qui se joue du réel à la recherche d’un onirisme magique. Ce qui nous plairait, ce serait que l’auditeur ou le spectateur puisse s’approprier ce cri que tu évoques, qu’il puisse devenir un « témoin » actif avec sa propre imagination. Au fond, ta question nous donne à penser que nous y sommes peut-être parvenues !

  • On le verra plus loin avec « Diagonale », mais « Témoin » expose d’ores et déjà un élément essentiel de votre projet : la personnification de l’homme et de la Terre dans leurs façons de communiquer ou, parfois, de ne plus s’écouter l’un et l’autre. Dans tes chorégraphies, Anouchka, on peut voir des éléments presque chamaniques, comme des prières corporelles. Est-ce le cas, afin de compléter l’impression visuelle et sonore apportées par Paola et Elodie ?

Anouchka : Ma danse est un éloge à la nature. Elle me permet d’exprimer mes impuissances, mes réconciliations, mes questionnements, mes secrets ; les mots étant si désuets face à l’ouverture d’esprit qu’elle m’offre… Je crois que toute personne peut trouver une certaine guérison en allant juste se balader dans la nature ; elle est suffisamment généreuse pour que n’importe qui puisse s’y ressourcer, même si nous n’en avons pas toujours conscience. Pour ma part, elle est ma survie. L’homme a pris le pouvoir de dissocier nos corps et nos âmes, la Nature a le pouvoir d’unifier ces morceaux découpés de nous… comme des poupées de chiffon recousues… Je pense aussi, sincèrement, que son pouvoir sera prouvé de manière plus scientifique mais, malheureusement, au rythme où l’homme saccage ce qui l’entoure, peut-être n’y parviendrons-nous pas. La rencontre avec la musique de Paola déclenche les mêmes états que la nature en moi ; cette musique-là me permet de toucher tous les tabous sans jamais me faire violence, tout devient possible.

Paola, Elodie et Anouchka : En réponse à ta question, il est très important pour nous de préciser que toutes trois réalisons nos clips collectivement, de la prise de vue au montage. Le concept est principalement créé par Anouchka, puis nous le pensons ensemble ; nous imaginons les lieux où tourner, les images que nous aimerions réaliser, les ambiances, et chacune de nous a la liberté de transformer, assembler, expérimenter les images brutes pour en faire le clip final. Cela est peu conventionnel mais, dans nos réalisations, il n’y a pas de rôles prédéfinis, juste un dialogue créatif autour de l’image en mouvement et de ce que nous tentons d’exprimer.

crédit : Barbara Cardone
  • « Mon cœur se bat », votre disque suivant, plonge d’autant plus dans des atmosphères qui n’appartiennent qu’à vous, mélangeant les sonorités analogiques à d’autres plus vivantes, comme le piano et la voix avec Dominique A. Comment avez-vous abordé ce second album par rapport au précédent ?

Paola, Elodie et Anouchka : « Mon cœur se bat » est une forme de tragédie qui met l’accent sur le côté éphémère de la vie, qui oscille entre l’exaltation et la douleur, qui passe du cri au murmure, qui est à la fois intimiste et dramatique. D’où, notamment, le choix de mélanger des sonorités pour répondre à ces émotions parfois discordantes, toutefois toujours profondément ressenties et qui ont guidé l’élaboration de l’album. La rencontre avec Dominique A a été marquante pour nous, car c’est une référence, autant musicalement que de par sa voix, son écriture et son parcours artistique. Il a choisi d’écrire et de chanter sur la musique de « Léthé », qui est le seul titre non instrumental de l’album. Nous serons toujours emportées par son empreinte.

  • On peut distinguer plusieurs thèmes à travers « Mon cœur se bat » ; plusieurs combats, justement. Tout d’abord, « L’Emprise » évoque la possession, sans que celle-ci soit forcément démoniaque ou spirituelle ; il s’agit plutôt, notamment à travers le court-métrage de votre second projet, Noi-Siamo, qui illustre le titre, du fait d’être habité, percuté par tous les éléments qui vous entourent, les regards, les climats, les jugements peut-être. En quoi cette emprise a-t-elle un impact sur votre façon de créer ?

Anouchka : Par mon expérience et le dialogue avec autrui, j’ai constaté qu’après avoir subi une emprise, au sens large du terme, quatre états revenaient de façon récurrente: « l’emprise », « le vide », « cri aveugle » et « le choix ». C’est dans cette optique que j’ai pensé « L’Emprise ». La construction du court-métrage s’est faite dans une forme de lâcher-prise. Il s’agissait de permettre à mon corps d’exprimer ces différents états, de les laisser exister, à travers mon vécu, mais aussi de toucher à quelque chose de plus ouvert laissant la place à l’autre pour projeter ses propres interprétations, pour s’approprier cette thématique. Si « L’Emprise » a été réalisée à partir d’une expérience personnelle, je suis toujours heureuse de découvrir ce qu’elle peut évoquer chez l’autre, comme d’ailleurs l’interprétation que tu proposes.

Pour répondre plus précisément à ta question, pour moi, toute forme d’emprise est une atteinte à l’identité tant qu’elle n’est pas acceptée en tant que telle ; sa traduction artistique amène à une lucidité et permet de se l’approprier afin de tenter de s’en dégager.

Elodie : L’impact que cette emprise peut avoir est de faire naître, en moi, une motivation supplémentaire propice à l’émergence d’une pulsion créatrice libératrice. Au fond, même si l’emprise n’est pas la base de toute notre création, elle relève de ces mécanismes insidieux et aliénants que nous tentons artistiquement de dénoncer et de nommer pour ouvrir la voie à des horizons plus sereins.

  • L’aspect Super8 et en noir et blanc de « 39,9° » donne à l’ensemble un grain surnaturel, comme l’apparition d’une créature captée sur le vif alors que celle-ci est inconnue de l’homme. Comment avez-vous abordé ce contact de la danse et de la nature, musicalement, visuellement et au niveau de la chorégraphie ?

Paola, Elodie et Anouchka : À l’origine de ce clip, il y a le triste constat que l’urbanisme prend le pas sur la nature, que celle-ci s’étiole, qu’elle tend à disparaître. Il s’agissait donc de mettre en exergue ces paysages à la limite du dénaturé, de se réapproprier ces lieux où la nature se débat pour survivre et qui n’appartiendront bientôt plus qu’au passé. Cette créature, comme tu le dis, exprime cette urgence, ce combat qui semble être perdu et le vertige qui s’empare de nous à l’idée qu’un jour, la forêt pourrait disparaître. Le titre « 39,9° » souligne cet état de fièvre, cet état second, ce malaise tant sur le plan musical que littéral. Quant au choix visuel, il peut se traduire comme un témoignage intime de ce qui, bien que présent, relève déjà d’un souvenir nostalgique lointain.

  • Anouchka, tes chorégraphies sont à la fois très fluides et saccadées, chaque mouvement pouvant devenir brusque ou, au contraire, tendre. Sans parler de danse contemporaine, il s’agirait davantage d’un exutoire, comme vous le citez dans votre biographie. Comment conçois-tu cette expression corporelle, et en quoi trouves-tu, dans le travail de Paola et Elodie, une complémentarité qui te permet de t’épanouir pleinement ?

Anouchka : J’ai découvert très jeune l’apaisement dans la nature, que ce soit dans des états de détresse, de joie ou de recherche personnelle. Cette nature inspire le mouvement : elle peut être saccadée ou fluide, tempétueuse ou calme, elle porte en elle tous les éléments pour nous pousser à trouver notre propre expression corporelle, sans stéréotype, sans dictature d’une danse imposée. Je pense sincèrement que tout le monde a son propre ADN du mouvement, son propre langage du corps, trop souvent inhibé par une culture de la dissociation entre le cérébral et le corporel, par une tyrannie esthétique. Cette expression corporelle est, pour moi, essentielle : c’est un dépassement du langage verbal et, en ce sens, un exutoire profond, capable d’extérioriser les maux les plus enfouis, d’exprimer par le geste ce qui ne peut se dire. Il ne s’agit pas de rechercher l’exploit ou l’esthétisme à tout prix, juste de trouver son mouvement personnel et l’authenticité de son expression. Ce qui ne veut pas dire que je ne rende pas hommage à la danse en général : ma mère étant une grande danseuse classique, je suis toujours émue de la voir danser et je sais la discipline, la technique et l’esthétisme qui accompagnent cet art, mais ma démarche est autre.

La complémentarité avec Paola est simple. Comme je l’ai déjà dit, quand j’écoute sa musique, j’ai l’impression d’y retrouver tous les éléments qui se trouvent dans la nature et d’en découvrir de nouveaux. Ses mélodies répondent à mes états, elles me permettent de m’épanouir, elle sont une ouverture immense, infinie, sur tous les possibles. Quant à Elodie, je pense que nous nous retrouvons dans cette recherche de l’authentique, dans une créativité qui, même si elle porte des apparats artistiques, tend toujours à exprimer quelque chose de vrai, une sincérité profonde et sans aucun tabou. Si je devais utiliser une image pour décrire cette complémentarité, je dirais que, face à un précipice, Elodie me pousserait à faire encore deux pas pour m’approcher du vide, mais pas le dernier qui entraînerait ma chute.

  • Deux titres m’ont particulièrement marqué sur « Mon cœur se bat ». Tout d’abord, cet hommage vibrant, minimaliste puis passionné, à Albinoni, suivi immédiatement par le sublime « Noces dévastatrices ». Ces deux pistes semblent se compléter l’une et l’autre, notamment à travers le côté baroque de l’introduction de la seconde. Était-ce intentionnel ? Et quelles sont ces « Noces dévastatrices » ?

Paola : L’Adagio d’Albinoni est une musique qui a marqué mon enfance et je voulais lui rendre hommage avec mes sons électroniques et mon interprétation personnelle, dans un rythme plus effréné. Musicalement, elle se rapproche en effet de « Noces dévastatrices » ; ce n’était
néanmoins pas intentionnel, peut-être plutôt une rencontre d’inspirations et d’émotions inconscientes se traduisant par cette proximité.

Anouchka : Les « Noces dévastatrices » sont une marche nuptiale qui tourne mal !

  • Pourquoi avoir choisi cette sublime peinture de Barbara Cardone pour illustrer « Mon cœur se bat » ?

Paola, Elodie et Anouchka : Lors de l’exposition de Barbara Cardone, la sœur de Paola, en 2013, cette peinture, effectivement sublime, issue de la série « PréParadise », a tout de suite fait écho aux atmosphères des musiques de notre album alors en construction. Le mystère se dégageant de cette image est indéniable et joue subtilement sur la notion de point de vue. En effet, devions-nous nous identifier à ces biches captées sur le vif et nous sentir observées ou, inversement, les contempler pacifiquement ? Ce qui est certain, c’est que leur beauté, leur liberté, leur fragilité nous ont fortement inspirées…

  • « Diagonale » marque un tournant dans votre expression artistique en invitant, sur un double album, la voix. Les poésies que vous y développez amènent une intensité supplémentaire à la musique qui, elle, épouse les contours des mots avec une délicatesse et un respect parfaits. Quel était l’enjeu de l’apport vocal sur vos compositions, et dans votre démarche en général ?

Anouchka : Suite aux deux premiers albums instrumentaux, j’ai proposé à Paola, dont j’aime la voix, de réaliser un nouvel album avec des chansons. J’ai imaginé que des paroles ouvriraient les horizons et toucheraient les gens d’une autre façon, d’autant que l’écriture tient une place importante dans ma créativité. D’habitude, j’écris mes pensées dans le désir de mettre sur papier le point de départ et l’aboutissement de mes réflexions. Cette fois, l’exercice a été nouveau. Je me suis plongée dans l’écoute des morceaux composés par Paola et je me suis laissée inspirer ; les mots décidant eux-mêmes du chemin à prendre dans ces paysages musicaux. J’ai adoré découvrir Paola les chanter !

Paola : J’aime les écrits d’Anouchka, ils font partie de mes inspirations depuis que nous nous connaissons. À la lecture des chansons qu’elle a écrites pour les compositions de « Diagonale », j’ai immédiatement été séduite par l’audace, la personnalité et la puissance de ses mots. Ma voix, elle, plutôt timide, s’est alors sentie comme portée par son écriture, soutenue, moins fragile. Les chemins qu’elle prend pour exprimer sa pensée et le sens de ses textes me surprennent et me questionnent ; c’est pour moi un échange très précieux.

  • « Diagonale » évoque les tourments amoureux sous toutes leurs formes : la rupture, le doute, la confiance, ou encore la dévotion émotionnelle et physique. Comment avez-vous conçu la progression du disque afin de parcourir tous ces états d’âme, aussi bien musicalement que visuellement et par l’expression corporelle ?

Paola, Elodie et Anouchka : L’enchaînement des morceaux s’est fait de manière totalement naturelle. Nous avons laissé les émotions abordées dans l’album se répondre, sans volonté d’imposer un chemin narratif. Pour les clips et l’expression corporelle, nous nous laissons guider par nos envies, par ce qui nous apparaît le plus prégnant sur le moment. Au fond, comme le titre de l’album l’évoque, il ne s’agit pas d’une progression linéaire mais d’un parcours en « diagonale » de ces ressentis, de ces instants de vie difficiles à cerner dans une temporalité figée.

  • Sur le clip qui accompagne « L’évidence », le corps n’est jamais présenté comme un objet érotique, mais se dessine comme un désir grâce à la manière dont il est filmé, que ce soit le long des courbes de la nudité ou dans le triangle d’une clavicule. Quelles limites avez-vous fixées entre les paroles, séductrices et sensuelles, et cette mise en scène d’une justesse jamais voyeuriste, mais effleurant la beauté de l’épiderme dans ce qu’il inspire sans montrer, ce qui aurait été trop facile et aurait certainement dénaturé la musique et les paroles ?

Paola, Elodie et Anouchka : Nous sommes heureuses de te lire, car c’est exactement ce que nous voulions suggérer, ta perception ne fait que confirmer ce que nous attendions du clip. Nous avons essayé de laisser à chacune la possibilité de projeter ses propres fantasmes à partir de ces images fragmentées et suggestives, sans point de vue imposé, sans histoire prédéfinie, dans une intemporalité, dans un mystère passionnel… sans début, sans milieu, sans fin… Est-ce un souvenir ? Une projection ? Un mirage ? Est-ce avant le premier rendez-vous ? Après ?

Anouchka souhaitait, à travers, ce texte évoquer une passion, l’évidence d’une rencontre, la puissance physique du désir, une intensité indescriptible et impossible à représenter concrètement sans tomber dans une intention trop sexuée ; d’où le choix d’une forme de caméra subjective morcelée. Nous nous sommes toutes les trois impliquées devant l’objectif, ce qui est nouveau, et nous avons chacune tenté de mettre en lumière, par notre regard et notre choix de plan, l’écho que ce texte produisait en nous.

  • « Chronos » est un magnifique hommage au cinéma muet et, ainsi, semble représenter une renaissance dans vos envies artistiques. Est-ce une manière de revenir aux origines en progressant dans votre connaissance de Proksima, afin d’en repousser toujours plus les limites ?

Paola, Elodie et Anouchka : Le clip « Chronos » instrumental, comme son titre l’indique, propose un questionnement sur le temps, cet espace dénué de repères qui se prête à interprétation malgré une fuite immuable à laquelle nous sommes tous soumis. Le cinéma muet renvoie, quant à lui, à une forme d’intemporalité, à un réel qui se ressent déjà comme un souvenir, à un passé qui se réactualise dans le présent. Nous avons fait ce choix stylistique, mais aussi celui de l’alternance entre le noir et blanc et la couleur afin, notamment, de souligner cette perte de marqueur temporel ; Anouchka y danse telle une marionnette que le Temps guide de ses mains.

Suite à ce clip instrumental, Anouchka a écrit un texte sur cette musique qui questionne profondément notre existence et cherche à dessiner les empreintes marquantes dans cet espace vertigineux et désorientant qu’est le temps. Il y a, en effet, une forme de renaissance, comme tu le soulignes, mais elle est davantage liée à un sentiment intime qu’à nos envies artistiques. L’espace de création que nous offre Proksima est l’un de nos rares espaces de vraie liberté et nous tâchons de ne pas nous enfermer dans une méthodologie ou des règles prédéfinies. Nous protégeons nos élans artistiques dans leurs vastes possibilités !

  • « Comment te croire » est un combat autant qu’un hymne de la Terre parlant à l’homme qui s’obstine à la détruire et à la dépouiller. Dans le clip, Anouchka semble enfermée dans une spirale infernale et sans issue, tandis que les souvenirs de temps heureux, en noir et blanc, percutent de douloureux constats. Quelle est, ainsi, votre vision de la position de l’homme et de son orgueil démesuré par rapport à celle à qui il doit la vie ? Est-ce un sentiment d’impuissance ou une révolte ?

Paola, Elodie et Anouchka : C’est une révolte ; l’impuissance serait de ne rien dire, de se taire, de subir… La seule chose que nous puissions faire est de l’exprimer. Ces réalités sont insoutenables et notre création est bien peu de choses en comparaison aux monstruosités faites aux êtres vulnérables quels qu’ils soient, mais se voiler la face serait d’autant plus insupportable. Dans le clip, Anouchka est enfermée dans cette spirale rouge sang mais elle se bat, elle livre une bataille, un combat ; en ceci, notre révolte est un cri vital en réponse à toute cette violence banalisée, ces horreurs affichées.

  • « Vulnérable », qui clôt le disque, est chargé d’espoir et demeure terriblement marquante, sentimentalement et humainement parlant. Finalement, Proksima n’est-il pas un moyen, pour vous trois, de montrer que cette vulnérabilité est une force qui peut éveiller les consciences et déplacer des montagnes ?

Anouchka : Tu as tout à fait raison, de nos jours la confusion se fait entre la vulnérabilité et la faiblesse, la première étant une grande sensibilité qui n’a pas peur d’être affirmée, tel un homme qui ose s’abandonner à pleurer, ce qui pour moi est la représentation de l’humanité qui reste de nous, et la seconde, la faiblesse, qui pour moi est la lâcheté, qui ne montre rien, ne laisse rien transparaître et n’ose pas dire les choses qui la touchent. Ma démarche traduit la force d’avoir conscience des maux et de pouvoir les apprivoiser afin de les transformer, « accepter d’avoir mal pour ne plus avoir mal » .

Paola : J’ai toujours pensé que la musique savait déclencher des émotions enfouies ou cachées de notre conscience et de ce fait, d’être hypersensible… ceci est très subjectif mais, pour moi, une musique qui me fait pleurer est LA musique que j’aimerais faire. Je crois donc en la vulnérabilité pour avancer et grandir dans ce monde resté souvent petit et cruel, comme un enfant mal construit.

Elodie : L’éloquence de l’émotion dans son authenticité, dans sa fragilité est, selon moi, une force inébranlable qui donne tout son sens à l’existence et toute sa raison d’être à Proksima.

  • « Diagonale » présente le titre en version vocale, puis instrumentale. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est qu’elle offre la possibilité à l’auditeur d’y imprimer ses propres mots, en complément des vôtres ou en développant ce que vous exprimez. Aimeriez-vous, un jour, partager cette création avec d’autres, comme vous l’avez fait avec Dominique A ?

Paola, Elodie et Anouchka : Oui, nous sommes curieuses des partages que savent offrir les rencontres autour de la musique, des mots, de la voix, de la danse… C’est intrigant d’observer comment des gens qui ne se connaissent pas directement peuvent produire de magnifiques créations avec d’authentiques connivences.

  • Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Paola, Elodie et Anouchka : Nous travaillons à la réalisation du clip « Le pacte » : « …et puis, s’envoleront les mensonges, dans un pacte sans retour… »

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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.