[Live] Pitchfork Music Festival Paris 2017

Pour cette nouvelle édition du Pitchfork Festival à Paris, notre reportage s’arrête notamment sur les performances de The National et Jungle, groupes les plus attendus de l’événement pour leurs retours sur scène en passant par les révélations HMLTD et Tommy Genesis, ou encore la claque Kamasi Washington. Récit de trois folles journées à la Grande Halle de la Villette.

The National - crédit : Alban Gendrot
The National – crédit : Alban Gendrot

Nous commençons le festival par Kate Stables alias This Is The Kit, projet basé entre Paris et Bristol, invité par The National (curateur de ce premier jour) dont elle faisait la première partie à Paris en 2013. À ses côtés figurent guitaristes, bassiste, un saxophiste ou encore un trompettiste alors qu’elle prend le lead – avec son fameux gros bonnet sur la tête – pour cette première prestation généreuse et collective de l’événement. D’autres musiciens invités se glissent sur certains morceaux, pour qu’elle interprète au mieux son « Moonshine Freeze », nouvelle production qui a éclairé la scène folk cette année.

This Is The Kit – crédit : Vincent Arbelet

Un peu plus tard, Ride nous a proposé un petit retour dans les années 90 avec show lumineux et stroboscopique. Le quatuor a fait son come-back presque en même temps que Slowdive et Jesus And The Mary Chain pour montrer que le shoegaze a plus que bien vieilli. La voix du chanteur Mark Gardener n’a en tout cas pas pris une ride et a porté des refrains pop cultes qui ont secoué la fibre nostalgique de nombreux festivaliers.

crédit : Vincent Arbelet

Place ensuite à Kevin Morby, venu rejouer son « City Music », un quatrième disque parfaitement introduit pendant le set par sa chanson-titre, probablement la meilleure. Étirée sur sept minutes intenses, elle est entrecoupée de séquences instrumentales, et résume tout le talent mélodique et de songwriting du Texan aux faux airs de Val Kilmer. Sur la scène de la Grande Halle, les arrangements se font plus rock grâce au trio de musiciens l’accompagnant (dont Meg Duffy alias Hand Habits), tandis que le chanteur aux cheveux bouclés coulant fait le show à la guitare ou au clavier, avec une classe à la hauteur de son smoking (bleu pour ce soir-là) décoré de notes de musique. La setlist met l’accent sur les contemplations new-yorkaises de « City Music », à l’image des géniaux « Crybaby » ou « Aboard My Train », des compositions mystérieuses, élégantes, candides et avant tout citadines. Des nouveaux morceaux qui sont une ode aux petites villes rurales de Californie et de l’Oregon qui ont inspiré l’ex-bassiste de Woods pour son album et où il a enregistré ce long-format, l’un des meilleurs de cette année.

Première grosse tête d’affiche à prendre pied sur la scène de la Grande Halle, The National fait son retour avec un énième disque dans ses bagages. Après nous avoir habitués aux grandes prestations de plus de deux heures (on se souvient notamment d’un concert culte au Zénith de Paris il y a quatre ans), la performance des Américains est cette fois-ci plus taillée pour le festival avec quinze titres et de belles surprises. « Karen » en ouverture, qui fait par la même occasion son retour en setlist, en est une, même si le tout frais « Sleep Well Beast » va évidemment s’offrir faire la part belle de la prestation. Un album à nouveau magistral dont l’excellent single « The System Only Dreams in Total Darkness » est la caution pop et où Matt Berninger laisse éclater sa voix avec une rage inhabituelle. La suite est un best of de la carrière du groupe d’indie rock le plus important du moment, de « Don’t Swallow The Cap » que le désormais Parisien Bryce Dessner dédicace à sa femme (Mina Tindle), au magnifique « I Need My Girl », ou l’incontournable « Terrible Love » en clôture. Un grand set qui met à nouveau en valeur le songwriting précieux d’un Matt Berninger jamais décevant, album après album depuis maintenant près de 20 ans.

En ouverture du second jour, HMLTD (prononcez Happy Meal Limited) a immédiatement placé la barre très haute. La formation de Londres imprime une ambiance paillettes et strass avec son glam rock aux contours punk et électroniques. Énergiques et décalés, les Anglais (trois Français, deux Anglais et un Grec en vérité) ringardisent l’opéra rock avec leur esthétique queer et leur leader Henry Spychalski, chanteur aux expressions animales, cheveux bleus coiffés en arrière, et à la voix presque démoniaque. Au centre de la performance, déchaîné, il mène le show torse poil, à la façon d’un Mick Jagger ou d’un Iggy Pop. Avec ses maniérismes vocaux changeants, il enchaîne ainsi les titres sur un ton grave ou dément, quand il ne s’amuse pas à passer sous le filtre d’un vocodeur. La prestation s’achève sur le dingue « Stained », qui s’appuie sur des boucles électroniques agressives et un clip un brin glauque. C’était un peu court, mais suffisant pour transmettre une énergie folle et intense, la présence électrisante des six musiciens justifiant leurs statuts de phénomène outre-Manche. Il ne reste plus qu’à transformer l’essai en studio puisqu’on attend un premier album de pied ferme.

Si on adore Andy Shauf, son set pas très bien glissé juste après cette petite tuerie a provoqué une certaine chute d’intensité. Le Canadien à la voix suave et tendre a eu du mal à exister dans une Grande Halle un brin refroidie, même si personne n’a osé bouder les perles folk de « The Party », son dernier long-format sorti en 2016. Le résident de Saskatchewan à la mine timide et mélancolique a transposé sur scène ses douces partitions à la Elliott Smith telle que la bien nommée « The Magician », qui fait figure de temps fort autant sur le nouveau disque que lors de cette prestation toute en sobriété et en nonchalance. On reste dans le même pays, mais avec une autre ambiance et un autre style quand Tommy Genesis fait son apparition peu après. Peut-être propulsée sur la grande scène un poil vite, l’Indo-Canadienne s’est jetée dans la fosse dès le premier son lancé par sa DJ et a lâché son rap piquant au milieu de ses fans électrisés. Même si on aurait souhaité la voir un peu plus maîtriser et dominer la scène, ses compositions parlent pour elle et nous laissent une assez bonne impression.

Andy Shauf – crédit : Vincent Arbelet

La nouvelle vraie claque du deuxième jour intervient finalement grâce à Kamasi Washington, héros jazz de la programmation. Avec son live band élargi, il propose une prestation instrumentale de classe cinq étoiles, entrecoupée de séquences chantées par une vocaliste d’un autre temps. Une orchestration bien réglée assure une superbe fanfare de cuivres, cordes et percussions entremêlées, qui reprennent les partitions géniales du compositeur et saxophoniste. Pas le temps évidemment de faire le tour complet de son dernier disque (qui dure trois heures) ni même de son EP de trente minutes sorti en septembre : ce sont ainsi une poignée de titres, cinq tout au plus, qui sont étirés au possible pour notre plus grand bonheur sur l’heure de temps qui lui est réservé. Ambiance jazz oblige, presque tous les musiciens se lancent dans des enchaînements de solos passionnés qui témoignent d’une technique pointue et d’une expérience scénique certaine : trombone, saxophone (Kamasi lui-même), flûte (interprétée par son père), batterie (sans doute le plus impressionnant), basse et évidemment le roi des instruments, le piano. La chanteuse du live-band va quant à elle prendre le lead lors d’un final épique. Un ensemble génial qui a ravi les spectateurs parisiens en apportant un style assez unique au sein de la programmation de l’événement, au point de réclamer un « encore » pendant de longues minutes, mais vainement dans le cadre d’un festival qui ne peut souffrir d’aucun retard dans son planning.

Minuit passé, place au set le plus attendu de cette deuxième journée : les Londoniens de Jungle sont de retour à Paris pour présenter leur nouvel album en avant-première. Pas encore officiellement annoncé, ce disque ne devrait pas montrer le bout de son nez avant le printemps prochain, mais paraît déjà fort prometteur si l’on se fie aux sonorités funky des cinq ou six titres inédits interprétés pendant la prestation : la soul-pop du collectif aux sept membres prenant même une couleur plus rétro sur une de ses partitions. Sur scène, la formule reste fidèle aux débuts enflammés du groupe, avec ses deux voix lead perchées, ses choristes habités et ses percus tropicales. Pendant plus d’une heure, Jungle a ainsi retourné la Grande Halle avec ses tubes de 2014, comme il l’avait déjà fait ici même il y a trois ans : « Time » ou « Busy Earnin » demeurant comme toujours ces instants symboliques de la frénésie dansante que les Anglais tentent d’inculquer à chacune de leur performance. Et le potentiel addictif de ce nu-disco est loin d’avoir perdu de sa superbe : vivement la suite !

Le lendemain et ultime jour, les meilleurs moments étaient peut-être déjà derrière nous. Mais cela ne nous a pas empêchés de nous laisser porter par la scandi-pop de Sigrid, qui cherche un espace musical entre Aurora et Anna of The North. Une destinée ainsi toute tracée, mais au contenu assez inégal, et qui malgré une bonne dose de fun et de refrains catchy est sûrement légèrement trop calibrée pour un public jeune… à l’image de la horde d’adolescents venus agiter la lampe torche de leurs smartphones sur les balades de la Norvégienne (eh oui, les briquets c’est un peu old-school.). La nuit tombée, on essaye de rentrer dans le délire électronique de Jacques, qui sample des sonorités toujours plus improbables pour construire ses morceaux sur scène. On lui apporte ainsi un aquarium et un poisson rouge, afin qu’il enregistre le bruit de sa main trempée dans l’eau. Une performance fidèle à ses bizarreries habituelles, mais finalement vite oubliée après le passage encore plus convaincant de BADBADNOTGOOD. Les Canadiens sont venus faire découvrir leur jazz expérimental, comme un écho au set de Kamasi Washington la veille. Malgré la partie vocale manquante (aucun de leur featuring n’étant présent sur scène), la prestation instrumentale s’est montrée hypnotique et addictive grâce à des mélodies bien senties inspirées par leurs collaborations hip-ho, de Franck Ocean à Snoop Dogg.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens