[Interview] Juliette Armanet

Juste avant son concert au Temps Machine le 10 octobre dernier, dans le cadre du Causette Tour, Juliette Armanet nous a reçus pour un riche entretien. Avec sa formule « une voix, un piano, des textes », elle a su se faire un nom grâce à une variété chic aux textes faussement naïfs. Nous avons parlé avec elle de ses concerts, de sa collaboration avec Fishbach, de son premier rôle au cinéma, mais aussi de la condition des femmes.

  • Merci de me recevoir, Juliette ! C’est une soirée un peu spéciale, car elle est en partenariat avec le magazine Causette qui explore la condition des femmes. Est-ce que tu as prévu une configuration particulière pour ce soir ? Est-ce que tu as des musiciens avec toi ?

Aucune configuration particulière, non. Je suis venue en tant qu’être humain de sexe féminin et j’ai ramené quatre autres êtres humains de sexe masculin qui seront sur scène avec moi.

  • Comment as-tu trouvé les musiciens qui t’accompagnent ?

Il y en a certains qui ont fabriqué le disque (l’album « Petite Amie », NDLR) avec moi, d’autres que j’ai rencontrés assez récemment. On avait fait carrément des auditions à l’ancienne il y a un an et demi, au début, quand je commençais à faire quelques dates en groupe. Je ne connaissais personne dans le monde de la musique, donc il fallait que je rencontre un peu des gens. Et puis, voilà, on est en train de créer, je crois, un son ensemble. Ça prend pas mal de temps, de créer un son de groupe, quand on arrive tous d’univers assez différents et qu’on n’a pas vraiment joué ensemble, donc ça se fait doucement. C’est très émouvant, le fait de voir un groupe se faire, se fabriquer, se créer ; et, même pour moi, c’est assez nouveau de jouer en groupe, parce que j’ai beaucoup joué en piano-voix. Donc, je suis beaucoup plus coutumière du piano-voix que du son du groupe, qui est encore une vraie découverte.

  • J’ai eu l’occasion de te voir en concert à Stéréolux à Nantes et au Printemps de Bourges. J’ai remarqué qu’il y avait un lien particulier qui se tissait entre toi et le public pendant les prestations. Il y a une certaine complicité qui survient assez rapidement. Le public plaisante facilement avec toi et il participe souvent à ce que tu lui lances. Comment ça te fait réagir ? Est-ce que tu t’en rends compte ?

Ça vient sans doute du fait que j’ai joué beaucoup toute seule – on en parlait avec Pauline Drand, qui va jouer aussi ce soir et qui est venue toute seule avec sa guitare – et il y a forcément un instant où l’on se dit que le meilleur ami du moment quand on est sur scène, c’est le public. Parce que, lorsque que l’on est seule avec un instrument, il y a une bienveillance qui se crée de la part du public. Donc, j’ai assez rapidement eu envie d’aller parler à mon public, de le faire monter sur scène. C’est assez naturel pour moi. D’ailleurs, je ne le conscientise pas trop ; sinon, je perds un truc de fraîcheur je pense. Mais j’adore ça, parce que ça rend le concert assez unique de parler avec les gens, de les regarder vraiment dans les yeux. Ça évite d’avoir la sensation de dérouler une setlist qui est toujours la même et de rentrer chez soi en se disant « je ne sais même plus où j’ai joué cette semaine ». Mais c’est un pacte qui se fait à deux, c’est-à-dire qu’il faut aussi que le public ait cette envie de partage, de risque et de rigoler. Donc, ça se fait ensemble. Mais la notion de public est très étrange, parce qu’une même personne ne réagira pas de la même manière à un concert qu’elle y aille le mardi ou le mercredi soir, selon sa journée, selon le lieu où l’on joue, selon les gens autour d’elle ; donc, en fait, c’est une notion qui n’existe pas vraiment. C’est plus un temps qu’on partage avec des gens dans certaines conditions qui crée un concert.

  • Ce que tu veux dire, c’est que chaque concert est vraiment unique.

C’est banal à dire, mais c’est la réalité. Rien que le fait de devoir refaire une balance tous les jours, de retrouver des marques, de travailler avec le son naturel d’une salle et d’avoir un public qui arrive d’une journée de travail, de certaines préoccupations… Il va falloir créer quelque chose qui nous relie, qui ne soit pas artificiel, qui soit vrai ; avec toutes les maladresses que ça comporte, d’ailleurs. Mais c’est ça qui est intéressant, à mon sens.

  • Tu écris tes propres chansons, mais tu écris aussi pour les autres parfois, notamment Fishbach récemment sur le morceau « Un autre que moi ». Peux-tu nous raconter comment tu as rencontré Fishbach et collaboré avec elle ?

J’ai rencontré Fishbach sur Internet, parce que j’étais sur Soundcloud et que j’écoutais je ne sais plus quoi. Et, d’un coup, il y a une chanson à elle, qui est une reprise d’ailleurs et qui s’appelle « La Babouche », qui est arrivée et j’ai totalement flashé sur la chanson. Je l’ai trouvée absolument géniale : j’ai adoré la voix, j’ai adoré les arrangements et je lui ai écrit – c’est un truc que je fais vraiment assez rarement – en lui disant « salut, c’est trop beau, bravo ! », et elle m’a répondu. Elle connaissait un peu mon boulot. On s’est rencontrées et on a bien sympathisé, on s’est fait écouter pas mal de trucs à elle, à moi. Puis, on a eu envie d’échanger, de travailler ensemble. Je lui avais demandé de m’aider sur certaines productions, ce qu’elle a fait avec beaucoup de talent. Tout son répertoire, je le connais vraiment par cœur et je crois qu’elle aussi. Donc, il y a eu une espèce de rencontre et, un soir, on était à Pete The Monkey, elle m’a appelée en me disant « voilà, est-ce que ça te dirait de m’aider à finir d’écrire cette chanson ? » ; et je l’ai fait avec un grand plaisir et, en même temps, un peu de stress, parce que c’est quelqu’un que j’estime beaucoup. Et je suis très fière qu’elle chante ce texte tous les soirs ou presque, puisqu’elle joue tout le temps.

  • Elle est en tournée, comme toi, en ce moment.

Elle est en tournée depuis plus longtemps. Elle a commencé il y a plusieurs mois déjà et j’ai été voir sa première Cigale. Moi, c’est ma première Cigale demain, donc elle a du kilomètre au compteur, un peu plus que moi pour le moment.

  • Est-ce que tu penses que ta musique s’adresse plutôt au grand public ou est-ce que tu te considères comme une artiste que l’on peut qualifier d’indépendante ? Comment tu te situes par rapport à ça ? Est-ce que tu te situes quelque part, d’ailleurs ?

Ni l’un ni l’autre, en fait. Je n’essaie pas de conscientiser à quel type d’étiquette j’appartiens. C’est-à-dire que je n’essaie pas d’appartenir ni à une variété grand public ni à une variété très « indé ». Je pense que ça se fait un peu naturellement. Dans mes concerts, je vois un peu les gens, ils sont disparates. Il y a pas mal de gens très différents, je pense. Et ça, c’est plutôt une richesse, donc je ne me mets pas d’étiquette. J’essaie d’aller là où le vent m’emmène (rires).

  • Ce soir c’est une soirée du magazine Causette. On te sait féministe. Comment, dans ton travail, conjugues-tu le féminisme et l’art ?

Je ne suis pas particulièrement féministe. Je ne suis pas un être politique. Je ne me sens pas du tout politique. Après, je peux me reconnaître dans le féminisme, dans la mesure où la notion d’égalité est essentielle pour moi dans l’humanité. C’est-à-dire qu’on ne peut pas penser l’humanité, vivre ensemble sans qu’il y ait cette notion d’égalité. C’est la condition sine qua non pour la vie en communauté. Après, j’ai hérité d’une liberté de femme qui est incomparable à celle qu’avait ma grand-mère… J’ai la pilule, je peux travailler, je peux faire des tournées aujourd’hui, je peux faire un enfant ou ne pas en faire, je peux épouser un homme ou une femme si ça me chante, ou les deux. Bref, ça n’empêche pas qu’à mon sens, toutes ces libertés-là, qui sont acquises sur le papier, ne requièrent pas qu’il faille continuer à penser la condition de la femme et qu’il faut continuer de la défendre ; d’autant plus qu’elle est souvent mise en péril. On voit ce qui se passe en Amérique, en Hongrie, etc. Donc il ne faut pas se dire que, sous prétexte qu’on a acquis certaines libertés, le chemin n’est plus à faire. Mais je pense aussi que le chemin est à faire du côté des hommes. C’est-à-dire que j’ai la sensation que les hommes ne doivent pas avoir peur de la liberté de la femme ; au contraire. Cette liberté-là, acquise, est un terrain de jeu exceptionnel pour les hommes, eux aussi, et ça peut les aider à sortir eux-mêmes des carcans de ce qu’on attend de la virilité. Il y a une très belle chanson en ce moment d’Eddy De Pretto qui s’appelle « Kid » qui est assez touchante parce que, justement, lui aussi parle de ça, du fait que l’on impose aux hommes une certaine identité. Donc, le féminisme, ce n’est pas finalement quelque chose auquel je suis accrochée comme une moule à son rocher, si je peux me permettre (rires). Je suis plutôt accrochée au fait qu’on ne soit pas dans des stéréotypes identitaires. C’est-à-dire que je suis avant tout une personne et aussi, accessoirement, une femme. Et je n’ai pas de problème avec ma féminité : j’en ai une, je me sens assez féminine, parfois oui, parfois non, ça dépend des humeurs. Mais le vrai combat, si tant est qu’il y en ait un, c’est de ne pas s’auto-enfermer dans des identités sexuelles, ni en tant qu’homme, ni en tant que femme, et de se laisser libre en fait, de s’inventer, d’inventer sa propre individualité.

  • J’en reviens un peu à l’actualité. Jean Rochefort a disparu récemment. Est-ce que le cinéma et les acteurs t’inspirent ? Est-ce que tu aurais même envie de travailler pour le cinéma ?

Bien sûr, le cinéma m’inspire complètement. Et puis, les B.O. – par exemple celles de Claude Sautet, qui sont pour moi l’incarnation de l’élégance absolue – sont des vrais terrains d’inspiration avec toute la mythologie du cinéma. C’est aussi fait pour ça, la musique, quand on l’écoute dans la rue. C’est fait pour avoir une sensation cinématographique du réel, pour « romantiser » le réel. La musique et le cinéma communiquent complètement. Quant à moi, je viens de tourner dans un film, c’était plutôt marrant. C’est un long-métrage que réalise l’acteur Ralph Fiennes. Il fait un film sur Noureev, le danseur. Et il se trouve qu’il m’a demandé  une chanson de Gainsbourg comme si j’étais une chanteuse des années soixante. Donc, j’ai été maquillée, pouponnée, pomponnée même et j’ai chanté « La Chanson de Prévert » dedans. On verra, je ne sais pas du tout si j’ai bien réussi à faire le truc, c’était assez nouveau pour moi. Mais c’était marrant.

(Entretien réalisé en collaboration avec Radio Campus Tours, NDLR)


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Yann Puron

Découvreur musical avide d'émotions fortes aussi bien sur disques qu'en concerts