[LP] Ulrika Spacek – Modern English Decoration

Entre rêve et cauchemar, le nouvel album de Ulrika Spacek s’amuse des codes du rock et du psychédélique pour en extraire une musique à la hauteur de ses exigences pourtant élevées. Le résultat est une jouissance totale, un trip entre paradis artificiels et apocalypse noise qu’il sera difficile d’oublier.

Chaque piste, chaque arrangement des Londoniens de Ulrika Spacek n’est pas là par hasard ; car, sous une fausse apparence de simplicité instrumentale et de frénésie électrique, le groupe parvient toujours à glisser, au moment opportun, le détail qui fera toute la différence. Ces petits riens qui engendrent les grands disques, qui nous appellent sans que l’on puisse résister, qui nous dévorent de l’intérieur en nous prenant aux tripes pour ne plus nous lâcher. Mais, avec « Modern English Decoration », le projet va encore plus loin, alternant sobriété et ivresse rock avec une maîtrise radicale et passionnante. Troubler le jeu pour mieux se l’accaparer, pour franchir les mers chaotiques de mélodies déchaînées et immédiatement prenantes. Un miracle, en somme.

Sans attendre, « Mimi Pretend » offre une beauté subjuguante à la distorsion et à la dissonance, nous plongeant dans un monde sans repère précis mais où l’extase n’est qu’à quelques brasses. La menace gronde parfois, sans jamais s’étaler ni se dévoiler (« Silvertonic », « Full of Men »), attendant son heure afin de mieux surgir et saisir une proie sans défense. C’est alors que tout explose, que les lumières se font aussi brûlantes qu’éblouissantes, que la négation incinérée d’une musique électrique se reconstruit sous nos yeux, alors que nous assistons, impuissants, à la naissance d’une créature hybride et nerveuse : « Everything, All The Time » surgit des limbes et plante ses griffes dans le sol meuble de nos convictions, alors que « Victorian Acid » fait bouillir nos sangs et nous voit transpirer, douleur lancinante aussi saisissante qu’agréable et à laquelle « Saw a Habit Forming » injecte de précieux antibiotiques pour éviter l’infection. Celle-là même qui, quelles que soient nos tentatives, se répand dans nos veines et nous paralyse, nous ankylose et nous fait sombrer dans un coma aussi ravageur que séducteur et onirique. L’art de l’ambivalence, entre méfaits énergisants et désirs incandescents, drogues spirituelles et anxiolytiques mélodiques aux effets secondaires imprévisibles (« Protestant Work Slump »).

Tantôt poétique, tantôt macabre, « Modern English Decoration » serait la bande-son idéale des poèmes d’Edgar Allan Poe, entre fantasme, fantastique et ivresse de substances acides et amères. Un breuvage qui ne cesse de s’imposer comme essentiel à notre propre équilibre, remettant à plat nos a priori sur la nature mortifère d’un rock à tendance éthérée et sinueuse. Pas de doute : Ulrika Spacek frappe un grand coup, mais avec douceur, subtilité et un brin de sadisme que l’on ne refuse absolument pas.

crédit : Sandra Conrod

« Modern English Decoration » de Ulrika Spacek est disponible depuis le 2 juin 2017 chez Tough Love Records / Associated Electronic Recordings.


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Raphaël Duprez

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