[LP] Perfume Genius – No Shape

Du burlesque théâtral au génie perpétuellement torturé, il n’y a qu’un homme. Du fard à joue, des couleurs acidulées, des sons acérés, déviants, transgenres. Perfume Genius réussit l’exploit là ou d’autres n’auraient réussi qu’un vaudeville dévitalisé. La mise en scène affriolante de « No Shape » est d’une luminosité incomparable et sert de contre-pied à la musique grandiose de Mike Hadreas, qui ne semble avoir aucune limite dans la beauté de son talent, continuant sa quête introspective de l’identité et du genre. Sans demi-mesure, avec toute l’objectivité que nous pouvons y apporter, ce quatrième album est un chef-d’œuvre moderne en tous points, dans ses intentions comme dans sa forme ; et bien plus, puisqu’il tend à redéfinir, sans prétention, la musique et ses tourments.

« Too Bright », son précédent album, mettait déjà en évidence une facette nouvelle de l’artiste, exubérante mais policée, respectant une mise en forme esthétique et extatique au service d’un profond intérieur dévoilé au compte-gouttes. Ce déploiement était traduit par des sons rêches et profonds, plus sophistiqués et instrumentalement amples – contrairement à l’acoustique subliment pudique et élégiaque de « Learning » et « Put Your Back N 2 It ». Avec « No Shape », Hadreas continue d’étendre son spectre de lumières vives et criardes en réalisant des chansons puissantes, tout en gardant cette patte du confinement vocal fidèle à ses tourments originels.

Balançant d’un rythme à un autre, dans un esprit mauvais enfant, toutes les chansons (sans exception) transpirent le rock’n’roll : un rock’n’roll redéfini, qui touche du doigt une multitude de genres musicaux : pop, électronique, R’n’B, etc. Cette palette constitue la touche maîtresse de l’artiste : une musicalité transgenre qui ne se connaît pas encore, qui se cherche et se démêle avec ses démons – et qui définit, bien sûr, le moi tout entier de l’artiste. Même si ses précédents albums étaient en quête de réponse, « No Shape » semble jeter l’éponge en laissant ses questions en suspens, en paix avec sa singularité frivole, balançant à tout va l’indifférence de sa différence. En s’acceptant – ou, plutôt, en oubliant de s’accepter – Hadreas mène sa musique vers un point d’accomplissement jamais atteint, où son implication converge vers un pêle-mêle joyeux, attendrissant et forcément sans cesse surprenant.

« Je paie mon loyer. Je commence à bien me porter. Les choses qui me dérangent personnellement sont moins claires, plus confuses. Je ne pense pas les avoir bien comprises avec mes chansons. Il y a quelque chose de libérateur dans la façon dont je m’en suis sorti. Déballer de petits morceaux, grossir mon malaise, marcher à travers le mal enterré, rire ou creuser le drame embarrassant de tout cela. Peut-être que je n’en ressortirai jamais plus fort, mais c’est vivifiant d’essayer et, avec un peu de chance, utile, au final. Je pense que beaucoup d’entre eux abordent l’idée d’être heureux devant quelques conneries que j’ai créées pour moi-même ou combien tout et tout le monde est affreux. »

Ces mots de Hadreas font appel à une forme de résignation absolue ; d’où l’énergie de son nouvel opus, comme un cri pour les maux et heurts passés. Quelque chose d’irrésolu magnifie encore le travail de Mike Hadreas et le rend plus beau que la norme. Comme pour le cinéma, ce sont souvent les « feel good movies » qui nous donnent le cafard, car ce sont ceux qui nous éloignent le plus de la réalité. En terminant sur une citation de Joann Sfar, parlant sur le sujet dans l’une de ses œuvres : « Pour que la dramaturgie nous fasse du bien, elle doit traduire cette juxtaposition permanente de conflits irrésolus. C’est pourquoi je tiens les adeptes des méthodes de scénario pour responsables du malheur de nos contemporains. »

« No Shape » de Perfume Genius est disponible depuis le 5 mai 2017 chez Matador.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante