[LP] Blanck Mass – World Eater

Un disque moins pesant que ses productions précédentes, mais Blanck Mass n’en oublie pas pour autant une marque de fabrique qui fascine autant qu’elle dérange : celles de pistes déconstruites, saturées et déstabilisantes, s’incrustant sous les pores de nos peaux brûlées pour mieux y ramper et nous emprisonner dans un carcan étroit et sombre.

Beaucoup vous diront que la musique du Britannique Benjamin John Power, alias Blanck Mass, est loin de respirer la joie de vivre ; ce que l’on peut tout aussi bien confirmer que remettre en question. En effet, le producteur et compositeur nous a habitués à ses atmosphères déroulant leur substance noire et visqueuse pour mieux nous recouvrir et nous étouffer, à l’image de son précédent « Dumb Flesh », désespéré et d’un noir d’encre et de cendres. Or, avec son nouvel album, « World Eater » (tout un programme…), introduit par une pochette affirmant d’ores et déjà l’agressivité sous-jacente qui s’apprête à nous frapper en plein visage, Blanck Mass offre une dimension nouvelle à ses pistes pesantes et nerveuses. Les samples n’ont jamais été aussi bien menés et séquencés, pour un résultat aussi déroutant que fulgurant.

Ainsi, « John Doe’s Carnival Of Error » pourrait presque sembler positif et lumineux, version inédite des fantômes qui hantent le créateur de ces zones d’ombre et de mouvements étranges et, souvent, repoussants. Doit-on pourtant y voir une réorientation d’un style bien à part et inédit ? Les fulgurances pénétrantes de « Rhesus Negative », entre hurlements, rythmique industrielle et synthé éclairé, dévorent ce qu’il nous reste d’humanité pour mieux nous entraîner vers les hauts fonds. Ceux-là mêmes que fréquente notre homme, sans pour autant oublier de nous faire visiter des îlots jamais foulés par aucun conquérant (« Please ») ou des grottes mystiques et au silence quasi-religieux, avant d’assister aux invocations de dieux anciens (« Silent Treatment ») et d’êtres extraterrestres suprêmes, poussant la technologie dans ses retranchements les plus percutants (« Hive Mind »). Même les ambiances semblent feutrées, méditées et inspirées de cauchemars autant que de songes purificateurs et luminescents (« The Rat ») ou atmosphériques (« Minnesota / Eas Fors / Naked »). Un tour de montagnes russes au bord du précipice, mais auquel on se raccroche grâce à son incroyable et imprévisible générosité et son immense capacité d’évasion.

Comme chacun de ses opus, « World Eater » fait un bien fou, tant au niveau de nos synapses nerveux que de nos chairs meurtries. Car, en transcendant la musique électronique, Blanck Mass expérimente, triture et fait naître dans ses œuvres une ambition humaine incomparable, dressant les stèles de soldats morts au combat et dont les esprits flottent parmi nous, entre confidence et frayeur. Il n’y aura décidément qu’un seul artiste capable de mêler aussi parfaitement la peur et le soulagement ; thérapeutique en diable, ce futur classique en puissance nous murmure à l’oreille, nous possède et nous délivre. Exceptionnel.

crédit : Owen Richards

« World Eater » de Blanck Mass est disponible depuis le 3 mars 2017 chez Sacred Bones Records.


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Raphaël Duprez

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