[Interview et session exclusive] Rag N’ Bone

L’Australie a de l’énergie à revendre. Loin de nos yeux, mais pas de notre cœur, elle recèle de trésors musicaux, tel Rag N’ Bone, quartette endiablé installé à Perth, qu’il serait une faute professionnelle de ne pas mettre sous les spotlights d’indiemusic. Dont acte(s).

crédit : Nicolas Nithart
crédit : Nicolas Nithart

Acte 1

Concert de Stephen Malkmus à Shanghai : il y a pire comme endroit pour faire connaissance d’un groupe dont on ne sait pas grand-chose, mais dont l’indie rock énergique et transhumé nous a conquis à l’écoute de leurs premiers titres. Grands fans de Pavement, c’est après avoir suivi religieusement le set du maître que les élèves survitaminés sont venus nous rejoindre backstage pour planifier plus tard une interview et une captation acoustique. Car ils sont sur le départ d’une mini tournée chinoise devant les emmener loin du chaos et du fourmillement de Shanghai, dans des villes plus reculées, voire inhospitalières.
Excités et curieux donc de l’intérêt que peut leur accorder un média français, depuis la Chine, les accolades sincères et chaleureuses des quatre membres engagent un rapprochement inhabituel. Nous nous sentons tous rapidement sur la même longueur d’onde et la discussion bat rapidement son plein, comme si nous nous connaissions depuis longtemps…

Rag N' Bone avec Nicolas
Rag N’ Bone avec Nicolas
  • Salut les Rag N’ Bone. Sans vouloir vous offenser, le groupe n’est pas connu en France. Racontez-nous la genèse du projet… si vous vous en souvenez bien sûr (rire)

Jamie : C’est pas si loin, en 2012. Les autres se connaissaient depuis l’université, moi j’étais simplement ami (enfin je crois), avec Kiera et ils parlaient tous de monter un groupe.

Kiera : Oui, on étudiait la musique à Perth et c’est Axel qui, la première année lors de la semaine de découverte, a demandé si des mecs voulaient le rejoindre dans son groupe appelé Sex Funerals. Il avait juste ce nom, sans connaître quiconque. On gravitait tous autour de lui en nous demandait qui était ce type avec un nom de groupe aussi bizarre… On a eu pas mal de cours avec lui, pendant 3 ans, et on a fini par être de super amis, partageant la même passion pour la musique. Il y avait pas mal de batteurs, mais on a flashé sur Jamie, qui est écossais, et qui jouait dans un autre groupe, Pet Shower. Un jour pendant des vacances, on a bu pas mal de bières et on a décidé de monter un groupe…

  • Vous partagiez les mêmes goûts musicaux ?

Jamie : Moi, j’étais très jazz, Nick Cave et PJ Harvey. Mais je me suis dit que ces lascars étaient vraiment bons et fous, et qu’on allait pouvoir s’éclater ensemble.

Kiera : On achetait aussi souvent des CDs ensemble et on se les échangeait. On avait certainement des goûts communs, mais la richesse du groupe vient aussi du fait qu’on aime individuellement des styles très différents.

  • Et comment faisiez-vous de nouvelles découvertes en Australie ? En allant aux concerts, en écoutant la radio… comment les nouvelles influences vous arrivaient-elles ?

Jamie : J’étais dans le circuit depuis déjà pas mal de temps donc j’allais souvent voir des groupes en live ou jammer avec des formations locales. Perth était bon pour cela et aujourd’hui est encore plus extraordinaire.

Sara : Le niveau des musiciens à Perth est super bon. Et ils essayent vraiment de véhiculer et transmettre de belles choses. Bien sûr, il y a des groupes moins bons que d’autres, mais globalement, c’est du très haut niveau donc cela te motive à te surpasser pour être meilleur que les autres. Et tout le monde s’entraide pour faire la meilleure musique qu’il soit car tout seul au fond, tu as beaucoup moins de chances d’y arriver. Quand tu joues d’une ville à l’autre, il faut que tu sois au top, que tu puisses gagner un peu d’argent, que tu aies les moyens de bouger donc le succès passe par un niveau qui doit être hyper bon.

  • Premier single en 2013 (« Crossing »), premier clip en 2014 (« Wood and Wire »), à quel rythme travaillez-vous, quel est votre plan de bataille ?

Kiera : La première année, on se contentait d’improviser dans le salon de la maison du père de Sarah. On ne savait pas trop où on allait, nous n’avions pas encore de son en particulier. Puis à force de répéter toutes les semaines, nous sommes arrivés à nous structurer, parfois en changeant plusieurs fois de style musical. Axel est plutôt celui qui écrit, qui amène l’intention…

Axel : …sur des idées que j’avais en tête depuis pas mal de temps. En studio, cela créait un écho chez chacun, Sarah répliquait avec une ligne de basse. C’est vrai qu’on avance pas forcément rapidement, mais en même temps nous n’avons pas la pression… seulement celle que nous nous mettons.


Acte 2

Nous retrouvons le groupe une semaine plus tard dans le QG d’indiemusic à Shanghai, après leurs quelques dates au presque fin fond de la Chine. Encore sous l’émotion de tout ce qu’ils ont pu vivre en une semaine (leur premier concert en dehors de Shanghai s’étant joué dans un club qui… n’était même pas fini de construire !), les Rag N’ Bone partagent sans tabou leur expérience loin de l’Australie (y compris l’apprentissage des toilettes publiques à la chinoise), qu’on devine leur manquer

crédit : Amber Bateup
crédit : Amber Bateup
  • Comment s’est montée cette tournée en Chine ?

Sara : On jouait chez nous et on a rencontré un mec qui s’appelle Archie, qui a monté le festival chinois Echo Park, devenu depuis Concrete and Grass. On avait fait quelques showcases à Singapour et on s’était dit qu’on pourrait étendre notre voyage ici. Nous avons eu cette chance de pouvoir le faire grâce à Archie. Et le tout sans se prendre la tête, car c’était totalement en mode DIY. Il fallait juste nous assurer de faire les choses correctement, de trouver quelques dates, d’avoir un aide qui pourrait s’occuper localement de nous.

Kiera : Jusqu’ici, on a pratiquement tout fait par nous-mêmes. En auto financement. Incluant cette tournée en Chine. On a un manager pour nous aider depuis seulement l’été 2016, pour pouvoir faire de plus grosses scènes en Australie, mais aussi tourner à l’international.

Axel : La seule pression est de faire bonne impression, en livrant des supers concerts. En fait, on ne savait pas trop à quoi s’attendre ici. D’autant plus avec cette telle différence de culture.

  • Qu’est-ce que vous pensez retenir de la Chine ? Est-ce que cela vous a par exemple permis de prendre du recul par rapport à votre musique ?

Kiera : Comme la Chine est gigantesque, on s’attendait à ce que la scène locale soit immense aussi. Mais, en fait, tout est encore en développement et l’intérêt pour la musique occidentale ne fait que grandir de jour en jour. En tant que groupe australien, l’accueil et le feedback ont été très positifs. On a eu plus de retours que prévus. Et ça nous a donné super envie de revenir. C’est fou ici ! (rires)

  • Vous n’avez pas de label, comment voyez-vous demain ? Vous pensez que vous pouvez continuer sans « l’industrie musicale » ?

Sara : Ce n’est pas tant avoir ou ne pas avoir un label, mais plutôt comprendre comment on peut nous aider pour nous développer.

Crédit : Amber Batup
Crédit : Amber Batup
  • Sur quelle base d’échanges peut-on coopérer ? Qu’est-ce qui nous conviendrait le mieux ? Sony est Sony par exemple, mais que pourrait-il faire de mieux ou de moins bien qu’un plus petit label ?

Axel : Ce qui est primordial est qu’en tant que groupe, nous puissions jouer et rester ensemble. Et le reste suivra. On n’avait déjà pas imaginé que jouer dans un salon dans le nord de Perth nous mènerait jusqu’en Asie… Et là, quand tu joues en Chine, et qu’un mec fait 3 heures de route pour venir te voir et te montrer qu’il joue sur la même guitare que toi, c’est assez dingue… On verra bien pour la suite… On ne s’attend à rien en particulier si ce n’est de continuer à nous éclater tous les quatre et défendre ce que l’on fait.

  • Imaginez que vous êtes dans un ascenseur avec Mr Sony et que vous avez 10 secondes pour lui expliquer votre musique. Quel pitch lui donner vous ? (rires)

Sara : Pas commerciale, indépendante, rock’n roll. On a notre propre définition qui est « polished scunge ».

Kiera : Notre contenu, mais aussi notre façon de jouer sont crados, bordéliques, mais que l’on polit dans le groupe avec nos paroles et nos arrangements. C’est quelque part du garage, mais avec du glitter !

  • On va donc retrouver cela sur votre premier album ?

Kiera : Nous l’avons enregistré en juin 2016 à Perth avec Dave Parkin, un vrai magicien que nous avons choisi, avec lequel nous avions déjà enregistré deux chansons avant de partir en tournée sur l’île de la Réunion.

Axel : On est rentré avec neuf chansons pour un album de trente minutes. Court, mais intense.

Kiera : On en est super fier ! Un truc qu’on a fait intégralement ensemble du début à la fin. Une belle aventure qu’on prend beaucoup de plaisir à écouter. Et en fonction des finances qui finissent par dicter un peu tout, on sortira du matériel avant pour teaser l’album. On veut être prêt avec un show encore plus fort, pour la prochaine saison des festivals. Tout ce qu’on planifie est en mode DIY donc on verra sur la base de ce qu’on a appris et de nos erreurs.

  • Vous êtes donc sur les starting-blocks avec un nom d’album, une couv’, etc. ?

Jamie : Il s’appellera « A Handful of Ash », tiré d’une de nos chansons…

  • Un rapport avec les cendres du volcan de La Réunion ? (rires)

Kiera : Haha, peut-être. Ça nous rappelle quand on a tourné le clip là-bas de « I Don’t Feel At Home In This World Anymore » : on jetait les cendres en l’air pour le besoin de la vidéo et on se les prenait en pleine figure.

Jamie : Il y a beaucoup de trucs dans l’album qui font référence à la mémoire, à la mort, à l’histoire. En ce moment, c’est assez dur et bizarre en Australie d’un point de vue politique…

  • Y a-t-il seulement un endroit au monde où tout va bien ?

Kiera (rires) : Pour l’Australie, il y a l’idée qu’on s’en fait et la réalité. Et quand tu y vis, quand tu vois nos politiciens, quand tu connais notre histoire passée qui reste cachée, faut que tu puisses réagir et t’exprimer… parce que peut-être que ça ne va pas du tout (rires).

Sara : Notre passé a tout été rapporté et divulgué de différentes façons. Cela n’a jamais été très clair ou on n’a jamais eu tous les détails. Nous on a besoin d’en parler, comme dans notre dernier EP (« A Woman Under The Influence »).

Axel : C’est vrai qu’on évoque beaucoup de cela dans nos chansons. Pour en parler et peut-être aussi pour évacuer. On essaye de donner un sens à tout ce bazar.

  • « Making a sense of mess »… ça serait un joli titre pour une prochaine chanson !

Acte 3

Quand nous avons proposé à Rag N’ Bone d’immortaliser son passage à Shanghai par la captation intime d’un titre en acoustique, non seulement le groupe s’est porté volontaire, mais il a modifié ses dernières 24 heures en Chine pour pouvoir le faire tranquillement et boire quelques bières ensuite. En mode light, avec des instruments prêtés, le groupe a donné le meilleur de lui-même en seulement trois prises, comme reconnaissant de ces échanges de valeurs et d’amitiés initiés ici en Asie. Les quatre amis reviendront ici, c’est certain, mais partiront d’ici là sans doute en Europe et aux États-Unis. Si vous les croisez, dites bien que vous venez de notre part. Ou pas. Car de toute façon, vous aurez toujours droit au meilleur accueil, c’est cela la sincérité australienne !

Kiera Owen (chant) (également leader du projet LGBT « Uh-Huh » et fondatrice de Lickmypalooza), Axel Carrington (guitare), Sara McPherson (basse) et Jamie Gallacher (batterie)

Merci à l’agence mano et à Greig de www.247tickets.com


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans